L’action du câblo-opérateur s’est envolée de 15% ce vendredi pour sa première journée de cotation, lui donnant une capitalisation de plus de 3 milliards. N'en déplaise à Free, qui a tenté de torpiller l'opération, en demandant
l'interdiction du document de référence qu'il jugeait "erroné et dévalorisant" à son encontre, l'introduction en Bourse de Numericable est un succès. La demande a été 10 fois supérieure à l'offre de titres et le prix a été fixé tout en haut de la fourchette, soit 24,80 euros. Vendredi, pour sa première journée de cotation, l'action qui cote sous le symbole "NUM" s'est envolée de près de 15%, clôturant à 28,50 euros.
Certes, on est loin des 73% de Twitter mais tout de même ! Le câblo-opérateur a réalisé une opération de 652 millions d'euros, dont 250 millions d'argent frais, et présente ainsi une capitalisation boursière de 3,2 milliards d'euros, soit un peu moins que PSA mais plus que TF1 et un milliard de plus que Havas, M6 ou Air France ! Autant dire un nouveau poids lourd de la cote parisienne. Pour le comparer à des entreprises du secteur, c'est la moitié du câblo néerlandais Ziggo et un tiers d'Iliad la maison mère de Free.
Plus grosse opération depuis 2009
"La Place de Paris peut être fière de cette opération de référence en Europe, en capitaux levés et capitalisation boursière, qui préfigure un regain d'activité durable sur notre marché primaire » s'est félicité le directeur général adjoint de NYSE Euronext, Dominique Cerutti. Eric Denoyer, le PDG de Numericable, a sonné la cloche pour ouvrir la séance, comme le veut la tradition à la mode Wall Street, dans les bureaux de Nyse Euronext à Paris (voir la vidéo de la cérémonie).
"Numericable est un beau dossier, avec un caractère spéculatif : une entreprise bien restructurée qui a un bon actif mais ne fera pas sa vie toute seule : on sait que Numericable sera rapproché un jour où l'autre d'un SFR ou d'un autre acteur. Tout le monde a en tête l'introduction de Neuf qui s'est fait ensuite racheté par SFR. Mais c'est un peu cher et il risque d'y avoir un peu de volatilité, car lorsque les marchés se mettent à douter, les valeurs spéculatives baissent" analyse Cédric Chaboud, gérant de la Sicav Skylar Origin de la SPGP, spécialisée dans les introductions en Bourse.
Numericable est la plus grosse opération sur le marché parisien depuis 2009 et d'autres dossiers devraient suivre : on attend notamment un des leaders mondiaux des revêtements de sols, Tarkett, qui pourrait placer 400 à 500 millions d'euros et Atos Worldline, la filiale de paiement de la SSII, qui pourrait être valorisée 2,5 milliards d'euros selon le gérant.
Une liste d'attente de 200 entreprises en Europe
"Il y a une liste d'attente importante d'entreprises qui veulent venir en Bourse chercher des financements qu'elles ne trouvent pas auprès des banques, environ 200 actuellement en Europe, qui ont déjà leurs banques conseil et ont commencé le prémarketing, ce qui comprend une cinquantaine de dossiers venant de fonds de Private Equity", indique Cédric Chaboud.
"On sort d'une ère obligations qui a duré 6 ou 7 ans, les rendements monétaires baissent ce qui libère l'appétit pour les risques. Nous entrons dans une ère actions. Aux Etats-Unis, c'est déjà reparti, avec une opération de 300 millions de dollars par jour et 40 milliards émis en un an",relève le gérant. En Europe, outre Numericable, le propriétaire du musée de cire Madame Tussauds (Merlin Entertainment) a également réalisé une entrée en fanfare ce vendredi à London Stock Exchange, gagnant 10%. (1.)
Mais au fait qui est Patrick Drahi, l'homme qui se cache derrière Numericable?
Paradoxe. Numericable est sous le feu des projecteurs en raison de sa prochaine cotation. Mais son homme fort, Patrick Drahi, reste dans l'ombre.
Patrick Drahi |
Jeudi 19 septembre, il n'était présent ni lors de la conférence de presse, ni lors de la présentation aux analystes. Dans l'épais prospectus de 380 pages déposé à l'AMF, son nom n'apparaît que deux fois, pour indiquer qu'il a fondé Numericable, et qu'il en est l'actionnaire indirect, via sa holding Altice.
Un millionnaire très discret
Car Patrick Drahi, qui vient de fêter ses 50 ans, est un homme discret. Des interviews rarissimes. Aucune notice biographique au Who's who ou sur le site de ses sociétés. Aucun portrait dans la presse. Aucun titre opérationnel dans les multiples câblo-opérateurs qu'il possède. Aucun mandat social non plus -il ne fait pas partie du conseil d'administration de Numericable.
Mais Patrick Drahi reste sans aucun doute l'homme fort de Numericable. Lors des négociations de fusion avec SFR, c'est lui qui est allé discuter avec le patron de Vivendi, Jean-René Fourtou.
Plusieurs anciens salariés raconte qu'il continue à suivre de près la vie de ses sociétés. "Il venait 2-3 jours par mois, s'installait dans une salle de réunion, passait toute la boîte en revue en faisant défiler le managers, et prenait des décisions sur tout, des offres tarifaires aux campagnes de pub", se souvient l'un d'eux, qui ajoute: "l'indicateur auquel il accorde le plus d'importance est toujours le cash généré".
Et cela n'est pas gratuit. En effet, les comptes indiquent que Numericable rémunère Altice pour des prestations de "conseil" dans moult domaines (gestion, marketing, communication, technologie), et verse aussi à Altice des management fees.
Un génie de la finance
Ceux qui l'ont cotoyé décrivent un homme sympathique et brillant, souvent présenté comme "un génie de la finance". "Quand il lit un bilan comptable, il voit instantanément ce qui cloche", dit l'un d'eux.
Un ancien salarié ajoute: "parti de rien, il a construit un empire réalisant deux milliards d'euros de chiffre d'affaires. Pas grand monde ne peut en dire autant..."
Toutefois, sa fortune est difficile à estimer, car on ne sait pas quelle est la part du capital qu'il détient lui-même dans ses multiples sociétés. Il serait ainsi actionnaire à 5% ou 6% de Numericable affirme Challenges qui, selon les années, a estimé sa fortune entre 65 et 900 millions d'euros.
Au milieu des fils de bonne famille
Ceux qui ont travaillé avec lui lui reconnaissent aussi une rage de réussite peu commune. D'où vient-elle? "Cela doit dater de sa jeunesse, lors de son passage à Polytechnique, où ce natif de Casablanca s'est retrouvé au milieu de fils de bonne famille", suppose un ancien salarié.
Diplômé de l'X en 1983, puis de Télécom Paris, il travaille ensuite cinq ans chez Philips sur les récepteurs satellite, puis dans le groupe suédois Kinnevik. Selon L'Express, il a aussi fait un bref passage chez France Télécom.
Une bourse du melon
Mais la volonté de créer son entreprise le taraude. En 1993, il crée un cabinet de conseil baptisé CMA. Puis il décide de se lancer dans le câble. "Il racontait qu'il avait regardé le classement des fortunes de Forbes, et avait jeté son dévolu sur le secteur où il y avait le plus de millionnaires", se souvient un proche.
En 1994, il crée donc Sud Câble Services, un câblo-opérateur à Cavaillon, et convainc le câblo-opérateur américain Rifkin d'y investir. "Il racontait à l'époque que le réseau câblé permettrait de créer une bourse électronique du melon, et donc d'en vendre à l'étranger", sourit un ancien collaborateur. Rapidement, Sud Câble Services est racheté par un autre câblo-opérateur américain, Intercomm.
Cinq rachats en moins d'un an
En 1995, Patrick Drahi crée son second 'câblo': Mediaréseaux, qui raccorde Marne-la-Vallée. Il convainc UPC, un autre géant américain du câble, d'y investir. Il conserve 0,4% du capital, plus des warrants pour monter à 5%, une participation qu'UPC a promis de lui racheter.
Au printemps 1999, UPC lui confie la responsabilité de ses activités pour l'Europe occidentale et méridionale, un poste basé à Genève. Patrick Drahi s'installe alors à Cologny, près de Genève.
Très riche, UPC avale des câblo-opérateurs à tour de bras. En France, il dépense sous la houlette de Patrick Drahi 330 millions d'euros (plus 100 millions d'euros de reprise de dettes) pour en racheter cinq en moins d'un an (RCF, Time Warner Cable, Rhône Vision Câble, Videopole, Intercomm France), et se hisser au rang de quatrième 'câblo' français.
Concours de beauté
En 2000, Patrick Drahi rencontre un autre succès. Le régulateur lui accorde une des deux fréquences nationales de boucle locale radio (une technologie de haut débit sans fil), au nez à la barbe de tout le gratin français des télécoms qui était aussi en lice.
Pour y arriver, Patrick Drahi avait trouvé deux alliés de poids: NRJ et Wendel, alors dirigé par Ernest-Antoine Seillière. Ce trio avait promis d'investir 2,7 milliards d'euros pour créer "le quatrième opérateur télécoms français". Le montant est jugé peu crédible, mais permet au trio de l'emporter, car les fréquences sont attribuées en fonction des investissements promis... Une fois la victoire emportée, le trio forme un nouvel opérateur, baptisé Fortel, dont Patrick Drahi est président du directoire.
Période glaciaire
Toutefois, cette belle époque touche à sa fin. Au printemps 2000, la bulle internet explose. Les télécoms et le câble rentrent dans une longue période glaciaire. Début 2001, UPC jette l'éponge dans la boucle locale radio. Fortel doit être revendu à la casse, et ne construira jamais le réseau promis. En janvier 2002, UPC cesse de payer ses créanciers, puis se met en faillite en septembre 2002.
De tout ceci, Patrick Drahi ne se soucie guère. En effet, il a revendu à temps ses 5% dans UPC France, apparemment en 2000. Le montant du chèque n'a pas été communiqué. Mais on sait que début 2000, lors du rachat d'Intercomm France, UPC France était valorisé 800 millions d'euros...Quoiqu'il en soit, Patrick Drahi quitte UPC peu après. En mai 2001, il crée sa propre société, Altice.
En 2002, il rachète un premier câblo-opérateur, l'alsacien Est Vidécommunication. L'opération passe inaperçue, mais elle marque le coup d'envoi de la consolidation du câble en France. En moins de quatre ans, Patrick Drahi rachète 99% du câble français: Numericable, Noos, France Télécom Câble, TDF Câble et UPC France. "C'était le seul à croire au câble quand personne n'y croyait plus", résume un ancien salarié.
L'addition se monte à environ 2 milliards d'euros (hors reprise de dettes). Patrick Drahi vient se faire épauler par deux fonds: le britannique Cinven puis l'américain Carlyle. Lorsque, début 2008, Carlyle prend 38% du capital de l'ensemble, c'est le jackpot. Altice et Cinven reçoivent un milliard d'euros, de quoi rembourser leur mise de départ. Avec environ un tiers du capital, Altice aurait touché près de 300 millions d'euros.
Le roi du câble
Patrick Drahi est devenu le roi du câble français, mais le plus dur l'attend. En effet, il a hérité d'un patchwork de réseaux hétérogènes où tout est différent: la technologie, les offres, le logiciel de facturation...
Commence alors un colossal travail d'intégration, qui épuisera quatre directeurs généraux en deux ans... Surtout, la qualité du service en pâtit. Les clients furieux vont se plaindre en boutique, et des vigiles doivent alors être embauchés pour protéger les vendeurs... Le taux de désabonnement grimpe jusqu'à 30% des clients par an -il est redescendu depuis à 18%. Finalement, en 2007, la marque Noos, trop "abîmée" est abandonnée, pour conserver uniquement Numericable.
Nouvelle vie en Israël
Mais Patrick Drahi est déjà passé à l'étape suivante. Il se lance dans le rachat de câblo-opérateurs hors de France: au Portugal, au Bénélux, en Afrique de l'Est, et surtout en Israël, où il rachète le câblo-opérateur Hot puis l'opérateur mobile Misr. Selon la presse locale, il s'installe à Tel Aviv et prend la nationalité israélienne -la législation l'impose à tout actionnaire détenant plus de 20% d'un opérateur. Il assure vouloir investir en Israël parce qu'il est sioniste.
Parallèlement, il se lance dans les contenus. En 2007, il crée un autre fonds, Altice IV, détenu par la société panaméenne Jenville SA. Ce fonds prend des participations dans plusieurs chaînes thématiques: Ma Chaîne Sport, Vivolta, Shorts TV et Newslux. Cette dernière société, immatriculée au Luxembourg, édite la chaîne d'information en continu i24news, lancée cet été, qui a pour objectif déclaré d'"améliorer l'image d'Israël".
Mise à jour: contacté, Patrick Drahi n'a pas répondu. (2)
Source 1 :http://www.latribune.fr
Source 2 : http://www.bfmtv.com
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