Autorisé par le droit européen, le recours à des travailleurs dits « détachés » venus de toute l’Europe explose. Au prix de nombreux abus
Chantier de l’université des métiers de Bayonne. Maxppp
Ne tirez plus sur le plombier polonais : la France, à présent, doit composer avec des maçons bulgares, des cueilleurs roumains ou des chauffeurs de poids lourds slovaques. Des salariés que l’on appelle « détachés », censés travailler pendant quelques semaines ou quelques mois dans un autre pays, en conformité avec la directive européenne sur le détachement. Leur rémunération nette est alignée sur celle de la branche dans laquelle ils travaillent.
En revanche, leurs cotisations sociales sont versées dans leur pays d’origine. Avec de solides économies à la clé : en 2011, les seules charges patronales se montaient à 38,9% du salaire en France, mais à 6,3% à Chypre… De la main-d’œuvre low cost, comme les centaines de travailleurs (polonais pour la plupart) qui ont été embauchés sur le chantier de l’EPR à Flamanvi
Concurrence faussée
Ce procédé reste difficilement quantifiable, car il est sous-déclaré. Une chose est certaine, il n’est plus marginal. En 2011, la Direction générale du travail a recensé 145.000 salariés détachés, pour un nombre d’heures équivalant à 21.000 jobs à temps plein (+30% par rapport à l’année précédente). Et elle a estimé à 300.000 le nombre réel de travailleurs détachés. Plusieurs fédérations professionnelles ont alerté les pouvoirs publics. Au printemps, deux rapports parlementaires sont parus sur le sujet : celui d’Eric Bocquet au Sénat, et celui cosigné par Gilles Savary, Chantal Guittet et Michel Piron à l’Assemblée nationale.
Pour le profane, difficile de faire la différence entre cette directive détachement et la fameuse directive Bolkestein, rebaptisée « du plombier polonais ». L’une (Bolkestein) autorise les entreprises étrangères à élire domicile dans un autre Etat membre. L’autre, la directive détachement, permet à une entreprise basée dans un pays X d’envoyer ponctuellement ses salariés dans un pays Y pour une prestation donnée.
Cette disposition bouleverse la donne dans plusieurs secteurs, comme le BTP, l’agriculture ou les transports, qui concentrent le gros des effectifs. En cassant les prix, elle fausse la concurrence. « Nous avons vu des offres à 10 ou 12 euros, quand un ouvrier français coûte, toutes charges comprises, autour de 34 euros l’heure », affirme Didier Ridoret, président de la Fédération française du bâtiment. Les entreprises qui y ont recours sont donc favorisées. En outre, elles bénéficient de procédures simplifiées.
« Avec les salariés détachés, l’employeur achète une prestation, explique Claude Cochonneau, vice-président de la FNSEA. Au lieu d’établir une fiche de paie par employé saisonnier, il s’acquitte d’une facture. » Au fur et à mesure qu’il se développe, le phénomène met un terme à l’idée des « jobs non délocalisables » tant vantés il y a quelques années. « On n’envoie plus la fabrication à l’extérieur, on fait venir les salariés », se désole Didier Ridoret.
A la limite de l’esclavagisme
Cette course à l’optimisation sociale occasionne un manque à gagner difficilement chiffrable pour la Sécurité sociale. Et elle génère d’importantes dérives, comme le raconte Philippe Béart, référent régional de lutte contre le travail illégal pour l’Urssaf de Lorraine. « Récemment, nous avons repéré une entreprise de bâtiment qui avait une dizaine de salariés début 2012 et qui n’en comptait plus que deux à la fin de l’année.
L’essentiel de l’équipe travaille toujours en France mais sous contrat luxembourgeois. L’entreprise qui les détache est fictivement installée au Luxembourg, mais, physiquement, elle a gardé ses entrepôts en France. » Un cas très limite, car, pour être en règle, une entreprise qui détache des salariés doit pouvoir justifier d’une réelle activité dans son pays d’origine. Bien souvent, ce n’est pas le cas.
Les abus sont légion. Certaines entreprises rémunèrent leurs salariés au tarif en vigueur dans le pays d’accueil, mais prélèvent, dès leur retour, une part importante de leur rémunération au titre du transport et du logement. Autre artifice : établir un contrat de 35 heures et faire travailler le salarié 60 heures par semaine. Quant aux conditions d’hébergement et de transport, elles fluctuent selon les employeurs, mais, ajoutées à la confiscation régulière de papiers, certaines situations sont décrites comme étant proches de l’esclavagisme.
Article complet sur Challenge.fr
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire