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23 juin 2013

Le génie du crime est de retour

En lançant une intégrale "Fantômas" après "San-Antonio", la collection Bouquins rend hommage à un des plus fameux héros de la littérature populaire. Un genre qui, défendu par des amateurs passionnés, revient régulièrement hanter les librairies.

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A quoi tient l'histoire ? Fantômas a bien failli s'appeler Fantômus, comme Rigolus, Tristus ou Tullius Détritus. Ce n'est qu'au dernier moment, parce que le nom était mal écrit sur une feuille passée de l'auteur à l'éditeur, qu'il est devenu Fantômas. Comme Barrabas, Leonidas ou Jonas.

Son flamboiement aurait-il été le même sans ce changement de voyelle, qui le fait passer à en croire l'alphabet de Rimbaud du vert au noir, le noir dont il se drape quand, terrifiant, il enjambe Paris sur une des plus célèbres affiches de la belle époque ? Pas certain. Et c'eût été dommage, tant le personnage est depuis devenu légendaire. 

Héros de films (du chef-d'œuvre de Louis Feuillade aux pantalonnades d'André Hunebelle avec Louis de Funès, jusqu'au remake récemment annoncé puis abandonné par Christophe Gans et son producteur Thomas Langmann) et d'une série télé signée Claude Chabrol, apparaissant dans les collages de Julio Cortazar, icône des surréalistes, «le maître du crime», également surnommé «le génie du crime», «l'insaisissable» «le sinistre comédien», est devenu sans doute l'incarnation la plus fantasmatique du Mal en action. Aurait-il pour autant dévoré ses créateurs ? La réédition des 32 volumes de la saga originale par les éditions Bouquins, à l'occasion du centenaire de l'œuvre, prouve que non. Cette vaste fresque filant à toute allure, d'une imagination débordante, d'une invention flirtant avec le délire, reste un des chefs-d'œuvre de ce genre qu'on appelle avec condescendance «littérature populaire» et qui, de Lupin en Rocambole, de Tarzan en Pardaillan, de Bob Morane en San-Antonio, a donné à beaucoup d'entre nous l'envie de passer une partie de notre vie à tourner des pages. Conseillons cependant à ceux qui la découvrent d'éviter soigneusement de lire la préface du premier volume de cette intégrale-ci qui, malgré son intérêt, dévoile avec un exaspérant mépris du lecteur et de son plaisir à venir tous les coups de théâtre de la fin de la série. 

Rythme de travail ahurissant 

L'histoire même de la création de Fantômas est déjà un roman. En 1910, Arthème Fayard, éditeur, veut créer une série de romans policiers, qui sera publiée dans la collection «Le livre populaire», la seule à l'époque à publier des romans entiers à très bas prix, brisant ainsi le monopole sur cette littérature du feuilleton livré quotidiennement dans la presse. Il demande de s'y mettre à un avocat reconverti dans les affaires et le journalisme, Pierre Souvestre, qui a déjà coécrit quelques romans avec un collaborateur beaucoup plus jeune que lui, Marcel Allain. Le contrat de départ prévoit qu'il y aura au moins cinq volumes, et 24 si la série marche. Les deux hommes acceptent, et se mettent au travail, à un rythme ahurissant : en trois ans, ils signeront 32 Fantômas, soit un volume de 30 000 lignes enregistré tous les quinze jours, livré le 20 du mois, et tapé au fur et à mesure de la dictée par plusieurs dactylos. Car, à ce rythme-là, on n'écrit pas, on dicte. Usant d'un enregistreur, un Business Phonograph Edison, chacun à son tour reprend oralement un chapitre là où l'autre l'a laissé, et en aligne un autre. C'est de l'écriture en cadavres exquis. Cela n'empêche d'ailleurs pas nos deux marathoniens du mot de pondre en même temps que Fantômas deux autres séries : l'une, Naz en l'air, de 15 volumes, l'autre, Titi le Moblot, de cinq volumes. Naz en l'air et Titi seront moins immortels, mais Fantômas commence à paraître avec un succès immédiat en février 1911. Il vivra trois ans : en 1914, Pierre Souvestre meurt, à 40 ans. Douze ans plus tard, Marcel Allain épousera la compagne de son mentor, Henriette Kistler, et reprendra les Fantômas. S'il fut sans doute heureux en ménage, il ne retrouvera pas seul le style de cette première et inimitable série. 

A la recherche des originaux 

Ce qui pourrait ne relever que de la performance conditionne en fait complètement l'œuvre : cette rapidité de création, si elle entraîne évidemment approximations et facilités, crée aussi un rythme qui fait que la saga se dévore avec passion, s'emballant souvent jusqu'au délire : Fantômas vole l'or du toit des Invalides, bombarde le casino de Monte-Carlo, emprisonne un roi sous l'obélisque de la Concorde, verse du poison dans les flacons de parfum des Galeries Lafayette, se taille des gants dans les mains d'une de ses victimes pour laisser ses empreintes à elle à la place des siennes, prend la place du chef de la police pour se traquer lui-même... Souvestre et Allain, stylistes médiocres, on s'en doute, se révèlent avoir un génie de la situation et du retournement qui en remontrerait aux plus efficaces des séries télé d'aujourd'hui et à leurs cliffhangers tant vantés. Notre préférence va toutefois à la fin du Cercueil vide, qui voit Fantômas et son ennemi juré l'inspecteur Juve s'affronter à coups de pistolets, déguisés en bonnes sœurs, auprès d'un cercueil dont le contenu a disparu... Le roman se termine par cette interrogation fondatrice : « Qu'allait-il se passer ? » 

Eh oui, que va-t-il se passer ? Tout n'est que poursuites, plans diaboliques, révélations familiales aussi capillotractées que réjouissantes, et dévoile une vision très ambiguë du bien et du mal : le monde dans lequel évolue Fantômas est un monde trouble, où personne n'est ce qu'il affirme être, et où même les plus intouchables, présidents ou hommes d'affaires, dissimulent d'horribles secrets. Fantômas triomphe souvent, sacrifie des innocents à la pelle, et œuvre beaucoup plus pour l'amour de l'art criminel que pour bâtir une énorme fortune, à l'inverse d'un Zigomar, autre meurtrier de la littérature populaire, dont on a beaucoup dit que Souvestre et Allain s'en étaient inspirés. 

Comme toujours, l'histoire de ces classiques de la littérature populaire est très complexe : éditions tronquées, manuscrits perdus, fascicules abandonnés rendent la tâche des maîtres d'œuvre plus proche de l'archéologie que de l'édition. Ainsi Dominique Vincent, responsable du projet, a-t-elle dû aller dans la famille de Marcel Allain retrouver les romans originaux. Fruits d'une édition à bon marché, écrits en caractères minuscules sur deux colonnes par page, ceux-ci étaient souvent abîmés. Il était impensable de les donner comme tels à l'imprimeur. Il a donc fallu photographier les pages l'une après l'autre, puis les numériser. Quatre mille photos ont été prises. Parfois, certains cahiers manquaient, obligeant à faire de nouvelles recherches du texte original dans des bibliothèques universitaires ou chez des collectionneurs. 

Travail inutile que la restauration de ces textes « mineurs » ? Du tout, bien au contraire. On découvre en comparant la version précédente de Fantômas (de gros volumes rouge et noir, regroupant chacun deux romans et parus dans les années 60 chez Robert Laffont avant d'être repris, pour certains, au Livre de poche et aux Presses Pocket) qu'avaient été coupées beaucoup de visions aujourd'hui passionnantes de la vie quotidienne dans la France d'avant 1914. C'est tout un Paris qui revenait sous nos yeux, avec des descriptions presque journalistiques d'un voyage en train, d'un intérieur bourgeois, d'un cabinet d'avocats... La saga Fantômas est aussi la photographie d'un monde, et l'absence de toute recherche stylistique ne rend que plus patent son intérêt documentaire. Le recours à l'actualité est beaucoup plus marqué ici que dans les versions tronquées : poids des faits divers de l'époque (bande à Bonnot ou naufrage du Titanic...), mutations d'un Paris soudain livré à l'électricité et aux voitures, échos de l'anarchie, fragilité de la paix sociale... Ces coupes sont d'autant plus absurdes que sans doute cette insertion d'aventures délirantes dans un monde dépeint, lui, avec précision et souci de la vérité, a été pour beaucoup dans l'engouement des surréalistes pour le maître du crime. Ce cachet de véracité s'étendait aux couvertures des romans originaux, qui, dues aux mêmes artistes que ceux qui faisaient les unes du Petit Journal, de l'Illustration ou de l'Intransigeant, les marquaient aussi au coin du réalisme. 

Il faut l'aimer, cette littérature, pour ainsi aller la traquer, la reconstituer, la réunir. Sans l'élan de passionnés, elle disparaîtrait. Saluons les Francis Lacassin, Jean-François Merle, François Rivière, Hélène Amalric, Claude Aziza qui la maintiennent vivantes. Mais il faut à ces joyaux des écrins à leur dimension. Ces feuilletons se conçoivent en cycles, en sagas, en milliers de pages. Rares sont les collections qui peuvent leur offrir la distance adéquate. Bouquins et Omnibus sont les deux éditeurs privilégiés de ces intégrales. Les liens entre les deux rivaux sont d'ailleurs nombreux : Omnibus était sur les rangs depuis longtemps pour faire une intégrale San-Antonio, quand Bouquins l'a pris de vitesse (le tome XI vient de sortir...), et cette intégrale Fantômas a été mise au point par Dominique Vincent, fondatrice des éditions Omnibus et qui en fut brutalement licenciée il y a trois ans. 

Une intégrale Bob Morane 

Mais ailleurs ? La liste des tentatives avortées est presque aussi longue que celle des victimes de Fantômas. Si l'on peut espérer que Bouquins ira au bout de Fantômas et de San-Antonio, combien de séries n'ont-elles jamais été finies ? Ainsi Tarzan, l'un des plus mythiques de ces héros, n'a encore jamais vu en France ses aventures intégralement publiées. Les défuntes éditions Néo se sont arrêtées au numéro 15 sur les 24 écrits par Edgar Rice Burroughs. Jean-Claude Lattès, puis 10/18 ont sorti neuf volumes dans un cas, deux seulement dans l'autre. Et Omnibus, récemment éditeur d'un volume reprenant les cinq premiers titres, n'ira pas au-delà. Zulma a tenté de ressusciter un autre génie du crime, le méchant Fu Manchu : même échec, et même arrêt prématuré de la série. Les éditions du Masque avaient lancé au milieu des années 80 une superbe collection, « Les intégrales », qui s'est éteinte après avoir sorti 71 volumes, démarré 32 cycles et n'en avoir terminé qu'un : celui de l'intégrale Agatha Christie. Un éditeur belge, Lefrancq, plus courageux que gestionnaire, semble-t-il, avait lui aussi un programme fort ambitieux en la matière : une intégrale Bob Morane, interrompue au bout de 20 volumes, une intégrale Harry Dickson, stoppée au bout de cinq volumes, quelques titres de Doc Savage, Biggles et Conan le Barbare... ainsi que le Cycle de Mars, le Cycle de la Lune et le Cycle de Vénus d'Edgar Rice Burroughs, allés, eux, jusqu'à leur terme. Quel héros nous rendra tous ceux de notre enfance ?H.P. 

Fantômas, de Pierre Souvestre et Marcel Allain, Bouquins, tome I et II, 1 280 p., 30 €. Tome III à paraître en septembre 2014. 

source et suite de l'article sur marianne.net

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