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12 juin 2013

La grande évasion fiscale

Monaco - RICHARD POHLE/THE TIMES/SIPA
Diffusé pour la première fois en prime time, le magazine d'Élise Lucet, Cash investigation, est revenu hier sur le scandale de l’évasion fiscale, un sujet qui faisait il y a quelques jours la Une de Marianne.

Alain Pault - appelons-le ainsi, il n'existe pas - est un contribuable honnête et consciencieux. Pour remplir sa déclaration de revenus, il a posé une demi-journée de RTT, rassemblé les attestations nécessaires, lu toute la notice gracieusement fournie par Bercy et sorti sa calculette. 

Pas question de se tromper de 1 € dans le montant des intérêts déductibles liés à l'emprunt qu'il a souscrit pour le trois-pièces familial acheté en juin 2010 et non labellisé «bâtiment basse consommation» (case 7VV). « En ce monde, rien n'est certain, à part la mort et les impôts », disait Benjamin Franklin. Alain a fait sienne cette docte devise. 

Alors, quand il allume son beau MacBook Apple pour chercher des infos sur le nouveau paquet fiscal du gouvernement Ayrault, il maugrée quelques secondes contre la marque à la pomme. Et pour cause : contrairement à lui - et toutes proportions gardées -, cette dernière ne paye quasiment pas de taxe sur les bénéfices en France. 

D'après l'étude du cabinet Greenwich Consulting réalisée il y a quelques semaines à la demande de la Fédération française des télécoms, Apple ne se serait acquittée en 2011 que de 6,7 millions d'euros d'impôt sur les sociétés en France. Soit 47 fois moins que ce que la firme aurait dû payer si elle n'avait pas eu recours à une série d'artifices comptables - et légaux - à l'échelle européenne. 

D'après le Congrès américain, qui vient de mener l'enquête, l'un des holdings d'Apple, installé en Irlande depuis 1980, aurait affiché entre 2009 et 2012 pas moins de 30 milliards de dollars de profits. Comme ses trois responsables ne vivent pas en Irlande, cette coquille échappe aux taxes de l'île. Et comme elle n'a pas de présence physique aux Etats-Unis, elle échappe aussi à l'impôt chez l'Oncle Sam. Belote et rebelote. 

Le scandale est tel outre-Atlantique que Tim Cook, le successeur du mythique Steve Jobs, a dû s'expliquer devant les élus de son pays. «Vous cherchez le Saint-Graal de l'évasion fiscale», lui a reproché le sénateur Carl Levin, outré mais impuissant à caractériser juridiquement la faute. 

Apple n'est pas la seule entreprise à exploiter les failles des législations européennes. En cliquant sur la bannière commerciale du site impot-calcul-2013.fr qui s'affiche dans sa recherche Google, l'ami Alain participe de nouveau, et bien malgré lui, à ce sport national qui consiste à gruger le fisc tricolore.


Selon un schéma complexe décortiqué il y a un an par le sénateur UMP Philippe Marini, une première société installée à Dublin encaisse l'ensemble du chiffre d'affaires publicitaire réalisé par Google en Europe, France incluse, soit 8,5 milliards d'euros. 

Elle paye à une autre société de droit irlandais, mais basée cette fois aux Bermudes, une redevance de «propriété intellectuelle» de 4,1 milliards, somme qui correspond, peu ou prou, au montant des profits réalisés par le siège Europe de Google. 

L'irlandaise de Dublin passe le paiement de cette redevance en charge déductible de son impôt sur les bénéfices, ce qui le réduit considérablement. Et l'irlandaise des Bermudes échappe à toutes taxes, car son management, comme dans le cas d'Apple, n'est pas localisé officiellement au pays de la Guinness mais sous les cocotiers... 

Manque à gagner pour Bercy : plus de 150 millions d'euros rien qu'en 2011, estime Greenwich Consulting.



PLOMBER LES MARGES
« Les gains de productivité générés par l'économie numérique ne se traduisent pas par des recettes fiscales supplémentaires pour les grands Etats. Cette situation est sans précédent historique », ont alerté en janvier dernier le conseiller d'Etat Pierre Collin et l'inspecteur des finances Nicolas Colin dans un épais rapport remis à Bercy. Leur constat ? 

L'e-commerce « découple de façon systématique le lieu d'établissement du lieu de consommation », ce qui rend de plus en plus difficile de « localiser la valeur créée par cette économie et d'y appliquer les règles d'un droit fiscal désormais inadapté ».


Les exemples abondent : quand Alain commande sur Amazon le dernier CD du résident suisse Johnny Hallyday, il enrichit... le Luxembourg. Le géant américain de la vente à ligne en trouvé bien pratique d'y installer son centre de facturation, pour la bonne et simple raison que le grand-duché pratique un taux de TVA de 15 %, contre 19,6 % en France (et 20 % en 2014) sur la plupart des biens et services. 

Rien d'illégal là encore : une directive européenne autorise la perception de la TVA non pas dans l'Etat membre où se fait l'achat, mais dans celui du siège de l'entreprise, dès lors qu'il fait partie de l'Union. La même règle vaut pour eBay où Alain a finalement décidé de remettre en vente la galette du vieux rocker exilé : une fois de plus, c'est le Luxembourg qui touche.


Après de laborieuses négociations, les 27 pays de l'UE sont convenus qu'à compter du 1er janvier 2015 la TVA commencerait partiellement à s'appliquer en fonction du lieu de résidence de l'acheteur, avant un basculement complet en 2019. Mais, d'ici là, Google, Apple (avec iTunes), Facebook ou Amazon vont encore consolider leurs positions sur le marché français, en bénéficiant d'une quasi-franchise fiscale : d'après le Conseil national du numérique, ces quatre acteurs du Web génèrent à eux seuls entre 2,5 milliards et 3 milliards d'euros de revenus par an dans l'Hexagone et n'en reversent qu'un pouième au fisc. 

La France n'est évidemment pas la seule à vouloir mettre la main sur ses taxes et impôts évaporés dans le brouillard de la mondialisation. Le G20 réuni à Moscou en février a décidé de faire la lumière sur le sujet, en confiant aux experts de l'OCDE une mission sur les stratagèmes d'optimisation fiscale développés par les multinationales et leurs bataillons d'avocats. 

Dans l'Union européenne, la Commission de Bruxelles prépare un texte qui obligerait toutes les firmes à déclarer leurs activités réelles et leurs impôts, pays par pays. Mais, comme il s'agit de fiscalité, l'accord des 27 membres est requis, y compris celui des grands gagnants du système actuel, comme le Luxembourg ou l'Autriche. 

Le sommet européen du 22 mai dernier était censé faire avancer les choses : on en est loin. Il y a pourtant urgence, car l'évasion fiscale, loin d'être l'apanage des sociétés Internet, s'est invitée dans le quotidien le plus trivial des consommateurs.


Alain risque ainsi de tomber de son fauteuil à roulettes Malkolm en apprenant que l'enseigne où il l'a acheté, Ikea, plombe délibérément sa marge en France - et son impôt -, en versant chaque année plusieurs dizaines de millions d'euros de royalties à une société néerlandaise, détenue par un holding luxembourgeois, lui-même propriété d'une fondation au Liechtenstein... 

D'après les recoupements du site bfmtv.com, qui a pisté ces flux financiers, la marque suédoise ne réglerait à Bercy qu'une quarantaine de millions d'euros d'impôt sur les sociétés par an, pour un chiffre d'affaires supérieur à 2 milliards. 

Les cafés Starbucks utilisent la même - grosse - ficelle : leurs filiales européennes versent un énorme écot (6 % de leur chiffre d'affaires) à deux sociétés internes au groupe basées en Suisse et aux Pays-Bas, et censées leur proposer divers services comme la torréfaction des grains ou l'aménagement des magasins. Rien de tel pour faire passer les comptes du vert au rouge.


Le ministère des Finances britannique s'est ému récemment que l'inventeur du Frappuccino n'ait pas versé depuis trois ans la moindre livre au Trésor de Sa Majesté, malgré un chiffre d'affaires de près de 400 millions de livres (465 millions d'euros). 

En France, Starbucks a toujours déclaré des pertes - et a donc évité l'impôt sur les sociétés - depuis son arrivée en 2004. Curieux quand on sait que ses effectifs ont sextuplé sur la période, et que son chiffre d'affaires a été multiplié par 16. Si la patrie du café-croissant était si peu rentable, pourquoi diable les Américains s'entêteraient-ils à nous servir leur Caramel Macchiato ? Il y a comme qui dirait un os dans le muffin...


Et dans le poulet servi par les restaurants KFC ? On vous le donne en mille : pareil ! A en croire les patrons de Yum, la maison mère américaine de la chaîne de fast-foods, leurs meilleurs points de vente ne sont pas à Louisville, Kentucky, mais à Lyon ou à Paris. 

Sauf que, là encore, les 140 restaurants tricolores de l'enseigne ne génèrent aucun euro de recettes fiscales : ils réduisent leurs bénéfices à zéro, en payant grassement au siège américain le droit d'utiliser la marque ainsi que les intérêts des emprunts contractés par les Etats-Unis lors de l'achat des murs en France.



TOUR DE PASSE-PASSE
« Raison de plus pour que je ne mette jamais les pieds dans ces usines à malbouffe », songe Alain, en remplissant la case 6GU - «Autres pensions alimentaires» - de sa déclaration. Dopé aux antibios fiscaux, le poulet frit n'emballe guère notre contribuable modèle. La banane, en revanche, constitue son péché mignon. Quoi de plus simple et innocent qu'une banane, achetée sur l'étal du marché en provenance directe de... Jersey ! 

Car, aussi surprenant que cela puisse paraître, l'île anglo-normande de 120 km2 est le premier exportateur de ce fruit tropical vers l'Europe. A l'instar de Chiquita ou Dole, la multinationale qui a «produit» la banane dont Alain s'est délecté au déjeuner donne depuis longtemps dans l'optimisation. 

De la Colombie à la France, tout est pensé pour minorer ses impôts. Sa filiale colombienne est aussi pauvre que les petits producteurs locaux auprès desquels elle se fournit. La marge n'est pas réalisée là-bas : les fruits sont achetés pour 0,10 €/kg, presque leur prix de revient. Du coup, peu ou pas de taxes à payer dans le pays producteur. 

La suite ressemble à un grand tour du monde comptable, ponctué d'arrêts fictifs dans des paradis fiscaux. Aux îles Caïmans, le kilogramme prend 0,08 € de plus, au titre de la rémunération de la centrale d'achat domiciliée là-bas. Puis encore 0,08 € au Luxembourg pour les frais financiers, 0,04 € en Irlande pour les frais de marque, 0,04 € encore sur l'île de Man, il faut bien payer les assurances.



DU GRAND ART
Dernière étape : Jersey, où 0,17 € est encore ajouté pour payer les frais juridiques et les salaires des managers du groupe. Vendue 0,51 € au grossiste de Rungis, elle finit dans la main d'Alain à 1 €/kg. 

Bilan des courses : 0,41 € de valeur ajoutée - soit près de la moitié du total - qui n'est taxé ni dans le pays où la banane est produite, ni dans celui où elle est consommée. Du grand art... 

Les géants de l'agroalimentaire ne sont pas les seuls à exceller dans ces montages exotiques : aux dires du sénateur UDI Jean Arthuis, toutes les enseignes françaises de la grande distribution pratiquent elles aussi ce petit jeu, avec une affection particulière pour la Belgique et la Suisse. 

Les banques, elles, s'y adonnent depuis des lustres. La chose est connue. Ce qui l'est moins, c'est le détail. Pour régler ses courses - et ses bananes -, Alain a retiré 50 € à un distributeur automatique de BNP Paribas. Qui sait ? Ces billets proviennent peut-être de la montagne de liquide qui s'accumule à Monaco dans les coffres de BNP Paribas Wealth Management, une banque privée contrôlée par la filiale suisse de BNP Paribas ? 

Surnommé «la lessiveuse africaine», cet établissement monégasque est soupçonné de blanchiment, d'évasion fiscale et de fraude au contrôle des changes au détriment de pays africains. L'affaire, débusquée récemment par le Canard enchaîné sur la foi des éléments recueillis par l'association Sherpa, est croustillante.


Incapable de traiter le surplus de cash provenant du trafic de chèques qu'elle avait mis en place au début des années 2000 entre l'Afrique et la principauté, BNP Monaco s'est retrouvée contrainte d'en prêter une partie à BNP France. 

Ce qui, comme Marianne l'a raconté il y a quelques semaines, avait conduit la banque à spolier le fisc du Rocher. Les intérêts de ce prêt représentaient, en effet, la quasi-totalité du résultat de la succursale monégasque. Et, comme ils n'avaient aucun lien avec une activité bancaire localisée sur le micro-Etat - condition sine qua non pour être exempté d'impôt sur les sociétés -, BNP Monaco aurait dû payer sa dîme au percepteur d'Albert II. 

Qu'à cela ne tienne : une petite manipulation comptable en relation avec Guernesey eut tôt fait de gonfler artificiellement le chiffre d'affaires de l'antenne monégasque, réduisant à néant l'impôt qui lui pendait au nez...


Poursuivons notre balade sur les rives de la Méditerranée : Marseille-Marignane, son aéroport international et ses billets à bas prix pour l'Europe et le Maghreb proposés par Ryanair. Dans le petit monde de l'aérien, la compagnie «ultra low cost» - c'est ainsi qu'elle se présente - fait figure aujourd'hui de mètre étalon en matière de libéralisation sauvage. 

Son patron, l'éruptif Michael O'Leary, a décrété que les 120 salariés marseillais seraient régis par le droit très peu social de son pays natal, l'Irlande, en application «du droit européen» ! Ryanair se refuse donc à payer le moindre impôt sur les salaires et la moindre cotisation obligatoire (retraites, maladie, famille) que doivent acquitter les compagnies «normales».



ACROBATIES FINANCIÈRES
Quant à ses déclarations fiscales, elles sont aussi inexistantes que les boissons gratuites à bord. Pour tous ces motifs, la direction de Ryanair a comparu ces jours-ci devant le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence. Les griefs ? Travail dissimulé, entrave au fonctionnement du comité d'entreprise et emploi illicite de personnels navigants. 

L'Urssaf réclame 4 millions d'euros de cotisations impayées. Furieux d'être ainsi traîné en justice, O'Leary avait fermé sa base à Marignane début 2011 pour la rouvrir quelques mois plus tard, mais uniquement pendant la saison estivale. Une astuce qui lui a permis d'envoyer des salariés irlandais dans ses avions et de contourner ainsi la réglementation sur le personnel permanent... On ne crache pas aussi vite sur 1,7 million de passagers au départ des Bouches-du-Rhône ! 

A Nice, c'est un scénario similaire qui se joue. Mais pas dans l'aéroport, dans ses parkings. Les principaux loueurs de voitures - Avis, Europcar ou Rent A Car - y alignent leurs cylindrées. Des voitures toujours propres à l'intérieur comme à l'extérieur, avec le plein à ras bord comme il se doit. Qui se doute que ces loueurs sous-traitent le pomponnage des véhicules à une entreprise nommée Arwe qui fait venir sept mois par an sur la Côte d'Azur une quarantaine de travailleurs grecs, sous contrat de détachement allemand, très souple ! 

«C'est pour éviter de recruter des intérimaires dans les Alpes-Maritimes», s'insurge le délégué CFDT Philippe Coltat, qui a fait les comptes : ces «réfugiés économiques», qui travaillent six jours sur sept et dix heures par jour, reviennent à «2 409 euros par mois» à la maison mère allemande, soit 1 000 e de moins qu'un travailleur niçois. 

La principale victime est la Sécu qui «perd» 600 euros par employé et par mois. Mais, pour Arwe, tout est bordé, car conforme à la directive européenne sur les «travailleurs détachés». L'entreprise a juste été contrainte, après une visite de l'inspection du travail, de modifier à la marge les contrats de travail de ses laveurs grecs... 

«Allez, se dit Alain en mettant la dernière main à son pensum annuel, la prochaine fois que je descendrai dans le Sud, je prendrai le train. Avec la SNCF, pas d'embrouilles...» Comment l'Etat, actionnaire unique de l'établissement public qui constitue le cœur du groupe ferroviaire, pourrait-il se livrer à des acrobaties fiscales ? 

Ce serait perdre d'une poche ce qu'il gagne de l'autre. Page 806 de l'encyclopédique rapport sur l'évasion fiscale présenté en juillet 2012 par le sénateur communiste Eric Bocquet, on peut lire l'exposé suivant : «Le Luxembourg constitue le plus grand centre européen pour les captives de réassurance. [...] Une captive de réassurance permet à la société qui la possède d'assurer certains risques et ainsi de garder une partie de la trésorerie dans le groupe tout en bénéficiant d'avantages fiscaux, notamment au Luxembourg où le résultat n'est pas imposé grâce à une provision spéciale.» 

Celle de la Société nationale des chemins de fers français, SNCF RE, est domiciliée au 145, rue du Kiem, à Strassen, dans la banlieue ouest de la capitale grand-ducale. 

Article paru dans le numéro 841 du magazine Marianne, en kiosques du 1er au 7 juin 2013




2 % des marges nettes de la grande distribution partent vers la Suisse et la Belgique 

par Jean Arthuis, sénateur (UDI), membre de la commission des Finances 

Marianne : En 2008, dans une interview au Parisien, vous aviez déclaré que les fournisseurs de la grande distribution étaient «obligés de verser une somme d'environ 1 % du montant du marché passé à une société basée en Suisse, chaque grand distributeur possédant sa propre entité juridique hors de France, pour les uns à Zurich et pour les autres à Genève». Vos propos ont-ils été contestés, démentis ? 

Jean Arthuis : Absolument pas. Pis, j'ai la conviction, à partir de nouveaux témoignages qui me sont parvenus depuis, que ces pratiques se sont amplifiées, en se généralisant à toutes les enseignes. Les sociétés qui perçoivent les commissions sont désormais basées non seulement en Suisse mais aussi en Belgique. Je l'ai d'ailleurs dénoncé à plusieurs reprises à la tribune du Sénat où j'ai interpellé le ministre de la Consommation de l'époque, Luc Chatel, sans plus de réactions. 

A combien estimez-vous les montants ainsi soumis à cette forme d'évasion fiscale ? 

J.A. : Je pense que, grâce à ce système, la grande distribution dissimule 2 % de ses marges nettes. Ce qui, au passage, lui permet d'annoncer des marges de 1,5 % et d'expliquer que, finalement, elle n'est pas si vorace que cela avec ses fournisseurs. Alors qu'en réalité la grande distribution est responsable de la désindustrialisation du pays. 

Comment une enseigne peut-elle exiger d'un fournisseur qu'il règle une facture à une société avec laquelle il n'a pas traité ? 

J.A. : Ces commissions prennent la forme d'une «coopération au développement international» de la chaîne qui pourrait, prétendument, profiter au fournisseur en élargissant ses débouchés. En vérité, dans le rapport de forces actuel entre distributeurs et fournisseurs, les PME sont dans l'impossibilité de refuser de payer, sous peine d'être déréférencées. Tout cela me fait dire que le système de distribution français est l'un des plus archaïques qui soient, contrairement à l'image qu'il voudrait se donner. 

Propos recueillis par Jean-Claude Jaillette

L'IMPUISSANCE MONDIALE 

Comment défaire en quelques années des règles qu'on a mis des décennies à imposer au niveau international ? C'est la question que se pose aujourd'hui l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Depuis l'après-guerre, les pays industrialisés se sont efforcés de réduire les barrières fiscales. 

«Pour faciliter les investissements et la circulation des personnes, il fallait éviter la double imposition», explique Pascal Saint-Amans, le directeur des politiques fiscales de l'OCDE. Le résultat a surpris même les plus zélés défenseurs de la mondialisation : les multinationales ont déplacé massivement leurs profits vers les pays les moins gourmands en impôts. 

Un chiffre donne une idée du phénomène : pour échapper au fisc, les groupes américains détiendraient aujourd'hui 2 000 milliards de dollars dans des paradis fiscaux. «Ils y dormiront tant que le Congrès n'aura pas décrété une amnistie fiscale», explique un haut cadre d'une multinationale. 

Autre indice : le taux d'imposition sur les bénéfices des grands groupes mondialisés est passé en deux décennies de 20 à 9 % et, pour certains, il tourne même autour de 2 % ! «Nous devons désormais lutter contre la double exonération», reconnaît donc Pascal Saint-Amans. Un changement de cap d'autant plus indispensable que la révolte ne cesse de monter dans les Etats où la crise de la dette s'est traduite par des hausses massives d'impôt sur le revenu et de TVA. 

Le travail n'est rien moins que simple. Il existe actuellement 3 000 conventions entre pays réglementant la «double imposition» - ce qui est payé en taxes dans un Etat ne l'est pas dans l'autre. Les renégocier toutes ensemble est impossible. L'OCDE promet, pourtant, de présenter au G20 en juillet prochain une solution globale dont la mise en œuvre pourrait se faire «d'ici à deux ans». 

L'exemple européen ne rend pas optimiste. Faute de pouvoir réprimer le vagabondage fiscal des grandes firmes, l'Union n'envisage pour l'instant que de les contraindre à un minimum de transparence. «Il faut qu'elles disent combien elles payent d'impôts, où et à qui», exige Michel Barnier, le commissaire en charge du Marché intérieur et des Services. 

Fort bien, mais après ? La Commission s'est révélée incapable d'imposer une définition commune de l'assiette de l'impôt sur les sociétés, car les pays préférés des multinationales (Luxembourg, Irlande et Royaume-Uni) n'en veulent pas. Le ministre luxembourgeois des Finances, Luc Frieden, trouve même encore le culot de plaider pour «une concurrence fiscale entre les Etats au nom de la libre circulation des capitaux, pierre angulaire de la construction européenne». Angulaire ou tombale, la pierre ?

YAMINA BENGUIGUI : UNE HISTOIRE BELGE 

Réalisatrice et écrivain, comme l'indique en gros caractères la page d'accueil de son site Web perso, la ministre déléguée à la Francophonie aime les images et les mots. Son penchant pour les chiffres est moins connu. Et pourtant : derrière les lunettes fumées dont elle ne se sépare jamais, Yamina Benguigui cache un talent insoupçonné en matière de... comptabilité belge. 

A partir d'octobre 2005, cette cinéaste a siégé sans discontinuer au conseil d'administration de G2, une société anonyme domiciliée à l'adresse d'un cabinet d'avocats bruxellois. Elle n'a démissionné de ce mandat qu'en août 2012, deux bons mois après son entrée au gouvernement. 

Créée il y a treize ans par son ami producteur Philippe Dupuis-Mendel, G2 est une coquille vide mais confortablement dotée - près de 3 millions d'euros de capitaux propres -, qui contrôle une vraie société française, Bandits Production, laquelle a financé l'essentiel des œuvres de Yamina Benguigui, dont Mémoires d'immigrés (1997), le documentaire en trois parties qui l'a fait connaître. 

Un schéma classique d'optimisation fiscale : en Belgique, les plus-values réalisées par un entrepreneur lorsqu'il cède les parts de sa société sont totalement exonérées d'impôt alors qu'en France elles sont aujourd'hui alignées, à quelques abattements près, sur le barème de l'impôt sur le revenu. 

Moins classique : ladite société G2 comptait à l'origine pour actionnaire une autre coquille belge, Tactic Productions, détenue, elle, par deux trusts immatriculés à Jersey : Damor Investments Limited et Royal Bank Of Canada Trustees Limited. Un joli mille-feuille dont on doute qu'il ait été conçu par simple amour du multiculturalisme... 

Contactée par Marianne, Yamina Benguigui nous a précisé qu'elle ne possédait aucune participation au capital de G2, mention qu'elle aurait dû porter, le cas échéant, sur sa déclaration officielle de patrimoine. Dont acte : l'entreprise belge ne publiant pas la structure de son actionnariat dans ses comptes annuels, l'information est impossible à vérifier. Le charme des sociétés... anonymes.

LES 6 MILLIARDS DE BERNARD CAZENEUVE 

Le nouveau ministre délégué au Budget, Bernard Cazeneuve, croit fermement que la lutte contre la fraude fiscale représente un formidable gisement de revenus pour l'Etat. En 2014, il escompte récupérer 6 milliards sur les 60 à 80 milliards d'euros d'impôts qui s'évadent chaque année. Son projet de loi est impressionnant. 

Pour les grands fraudeurs, la police fiscale pourra procéder à des écoutes et à des gardes à vue de quatre jours, les peines seront renforcées (jusqu'à sept ans de prison) et les biens pourront être saisis, y compris ceux des entreprises. Depuis l'an dernier, les grands groupes doivent aussi démontrer que leurs montages fiscaux sont sincères, surtout lorsqu'ils transitent par l'étranger. Du solide. 

Quant à la manne attendue, il faudra voir à l'usage : de l'aveu même de Ramon Fernandez, le directeur du Trésor, la cellule de régularisation fiscale mise en place pendant quelques mois en 2009 n'a rapporté que 900 millions d'euros l'année suivante et 300 millions seulement en 2011.


source : marianne.net

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