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1 juin 2013

Ecrire au temps de la révolution numérique



Tweets, SMS, mails, aujourd'hui l'écrit triomphe, mais à quel prix simplificateur ? Un passionnant essai de Jean-Claude Monod, Ecrire à l'heure du tout-message, explore les révolutions mentales induites par ces nouveaux modes de communication.

Des jeunes s'échangent des messages - DURAND FLORENCE/SIPA
Avant, c'était simple : d'après le schéma de la communication élaboré par Jakobson, un émetteur émettait un message à l'aide d'un code et ce message était reçu par un récepteur apte, ou non, à le décoder. Mais, aujourd'hui, tout s'est brouillé. 

A qui parle-t-on sur Facebook ? Sur Twitter ? Qui se cache derrière tous ces pseudos ? Comment distinguer l'homme de la machine ? Où est le facteur qui transportait nos lettres ? Quel sens de la fatalité s'empare de nous au moment de cliquer sur l'irréversible touche « envoi » ? Quelle ruse de l'histoire, quel retour aux sources de l'écriture nous font omettre les voyelles dans nos SMS comme le faisaient les Hébreux ou les Phéniciens sur leurs tablettes ? (Leurs... « tablettes ». Allô !) 

Jean-Claude Monod, philosophe, chargé de recherche au CNRS, s'attelle à ces questions dansEcrire à l'heure du tout-message, un essai érudit et ingénieux qui ressemble à un recueil d'articles comme pouvaient l'être les livres de Barthes, tant les sujets abordés sont divers, comme l'attestent les titres de chapitres : « Dans les filets d'Hermès », « Le tweet de la première dame », « Le facteur de l'unique boîte aux lettres », « Du message à la messagerie », « Don't shoot the messenger», «SMS divins ?», «Les textos de DSK », « Le code génétique », « Communications animales »... 

De cette extrême variété, le livre tire tout son charme, passant avec aisance d'Aristote à la télé-réalité, de saint Paul à Google, d'Orwell à WikiLeaks, de Nietzsche, Heidegger, Foucault, Baudrillard au Minitel ou à Millenium. Articulé autour de quatre grandes parties, « Envoi », « Réception », « Objet », « Répondre », l'ouvrage pratique très exactement ce qu'on est en droit d'attendre de toute pensée : il fait des ponts.


D'emblée, il rappelle la spécificité de l'écrit : la communication est indirecte, elle ne s'effectue pas face à face, elle est différée. Le recours toujours plus massif aux mails et SMS au détriment du téléphone vocal révèle chez les utilisateurs une compréhension instinctive des avantages induits par cette particularité : plus doux, moins intrusif, moins frontal, le mode écrit de la communication est en train, qui l'eût cru, de triompher. (L'orthographe, c'est une autre histoire.) 

Contre toute attente, on n'a jamais autant recouru à l'écriture. Derrida peut être content, qui déplorait et contestait le statut inférieur accordé à l'écrit sur l'oral. 

L'écrit triomphe donc, mais à quel prix ? En adoptant les défauts de l'oral, en devenant, à son tour, bavardage, l'écrit se constitue en bruit, dessine les contours d'un brouhaha mondial monstrueux. Et puis surtout, plus que jamais, il laisse des traces. (L'oral aussi, notez, Jérôme Cahuzac peut en témoigner !) 

Auparavant, on pouvait toujours espérer récupérer la lettre volée pour la détruire. De nos jours, un tweet malheureux est immédiatement dupliqué en milliers d'exemplaires, un câble diplomatique se retrouve sur WikiLeaks. Chaque jour, nous semons d'innombrables preuves qui peuvent, un jour, se révéler à charge : un SMS de Beckham, un mail de Marcela Iacub, une note de Guéant... 

Et Umberto Eco, cité par Jean-Claude Monod, de préconiser le retour au bon vieux messager qui apprend le message par cœur avant de l'avaler. Dût-il mourir pour sa mission, comme celui de Marathon. 

FUITE ET INATTENTION
Autre problème induit par les nouvelles technologies : de véritables « pathologies du message » comme le Fomo (fear of missing out, la « peur de rater quelque chose de mieux que ce que vous êtes en train de faire »). 

Monod résume ainsi les effets pervers de la prolifération des infos, messages en tout genre, sollicitations continuelles : « La communication devient fuite, la connexion permanente devient inattention incessante. » Normalement, le nerd en nous voit assez bien de quoi il est question. 

Cependant, le livre de Monod n'a rien d'un pamphlet réactionnaire ou d'une rêverie nostalgique qui prônerait le « c'était mieux avant ». Monod considère avec gourmandise l'hypothèse que, en fait, « tout est message », dépassant, d'une certaine façon, Barthes et les sémiologues qui se contentaient d'affirmer que tout est signe. 

L'hypothèse est portée, entre autres, par le chercheur François Jacob dans sa Logique du vivant où, à la faveur de la biologie moléculaire, « disparaît... l'idée qu'un message devrait être intentionnel ». L'ADN, par exemple, en tant que code actualisé, est un message. Tout est message : après tout, c'était déjà la leçon qu'on pouvait tirer de Claude Lévi-Strauss, avec ses structures de la parenté... 

Un chapitre remonte ainsi aux sources de cette philosophie du « tout-message », donnant au monde de la communication qui est le nôtre un soubassement anthropologique très profond. 

Signalons encore les questions : 
- métaphysiques ; « Tout message est fini, contrairement à l'infini » 
- politiques (sur la transparence) ; « Toutes les violations de la vie privée qui ne servent pas l'intérêt général devraient être interdites » d'après le philosophe Peter Singer), 
- génériques (cf. le beau chapitre « Ecrire pour soi » sur le journal intime) 
- ou ontologiques ; « Si je n'apprends pas cette nouvelle, en un sens, elle ne s'est pas passée », résumé du livre de David Grossman Une femme fuyant l'annonce) soulevées par un ouvrage qui, décidément, brille par son éclectisme. 

Au-delà de la filiation avec Barthes, il y a du Montaigne dans cette balade à sauts et à gambades au pays du « tout-message ». Mais c'est par un trait de mélancolie relevant sans doute d'une ironie plus typiquement contemporaine que s'achève le livre : « Voulez-vous effacer ces messages ? - Oui. »


source : marianne.net

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