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14 juin 2013

Comment les Russes de Turquie vivent la contestation

Comment les Russes de Turquie vivent la contestation Tous les soirs, après le journal de 20h, Sofia Khadjibekirova, 45 ans, sort sur son balcon et se met à taper frénétiquement sur une casserole avec une cuillère en métal. C’est ainsi que, depuis quelques temps, de nombreuses femmes au foyer qui ne peuvent se joindre aux manifestations de la rue protestent.

De sa ville natale Iessentouki, dans le Nord-Caucase, Sofia s’est installée à Istanbul il y a une quinzaine d’années. Ici, elle a trouvé un travail dans une agence de tourisme, a fait la rencontre de son mari turc et a donné naissance à sa fille, Yacia.


« Erdogan fait tout ce qu’il veut. Il est trop prétentieux et ne veut pas écouter le peuple, se confie-t-elle à La Russie d’Aujourd’hui. Le mécontentement des gens s’est accumulé pendant trop d’années et a progressivement mûri. Je déteste surtout ses initiatives en matière de droit des femmes. Tout a débuté avec le fait qu’il a comparé les femmes portant le voile à des « appartements sans rideaux ». »


« Vous comprenez, j’aime la Turquie, et particulièrement parce que c’est un pays oriental laïque et occidentalisé, où les femmes ont toujours été respectées. Et je souhaite que ce soit toujours le cas. Quelle que soit l’issue de ces évènements avec les autorités, je ne compte pas partir », poursuit-elle avec conviction.

La Turquie connaît depuis plusieurs jours une vague de protestation massive contre la politique du parti au pouvoir, des milliers de manifestants exigeant la démission du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. A l’origine de ce soulèvement, un meeting organisé par les opposants contre le projet de loi du gouvernement de raser le parc Gezi d’Istanbul, l’un des rares parcs de la ville, situé juste à côté de la place Taksim. Contre toute attente, des actions de solidarité se sont multipliées dans tout le pays et se sont rapidement transformées en protestations de masse contre le gouvernement en place.

Oksana Loukianenko vit en Turquie depuis six ans déjà. Directrice et représentante d’une prestigieuse société internationale, elle se joint tous les soirs aux manifestations avec son équipe de travail.

« Avec mon compagnon, nous habitons le centre-ville. Fin de semaine dernière, nous ne pouvions même plus ouvrir les fenêtre tellement l’odeur des gaz était forte. J’ai accueilli les blessés chez moi et les ai soignés », a-t-elle raconté à notre envoyée spéciale.

Aujourd’hui, près d’un million de ressortissants des pays de l’ex-URSS vivent en Turquie, selon les autorités locales. Istanbul compte la plus importante communauté russe (18 000 environ). Suivent Antalya (10 000) et Ankara (5 000). Le reste est dispersé dans quelques autres centaines de villes turques.

Les Russes ne partagent pas tous la même analyse des événements. Inès, la fille de Sofia Khadjibekirova, a 23 ans. Elle a émigré en Turquie avec sa mère, où elle a étudié. A Istanbul, elle gagne bien sa vie.

Si elle a participé quelques fois aux manifestations de la place Taksim, elle pense aujourd’hui sérieusement à rentrer à Iessentouki, où elle compte encore des parents et plusieurs amis.

« Si une guerre civile se déclenche, je ne réfléchirai pas : mon conjoint et moi (il est turc) partirons en Russie, tranche-t-elle. La société est divisée. Les autorités ne veulent rien entendre et n’ont pas l’intention de faire des concessions, c’est ce qui me déçoit le plus. »

Le quartier de Laleli, à Istanbul, a été rebaptisé par ses habitants le « quartier russe ». Dans les rues, la langue russe est partout, et les magasins portent des enseignes et panneaux en cyrillique : « Attention à la marche ».

Nombreux sont les Russes ayant émigré en Turquie qui ont trouvé leur premier job à Laleli, centre du textile et de la mode. C’est ici que les grossistes russes viennent se fournir pour revendre ensuite les marchandises au pays.

« Mes proches appellent tous les jours pour me demander : "Comment vas-tu ? T’es-tu procurée un masque à gaz ? Tu n’as pas peur ?" », rapporte Narguiza, installée depuis 9 ans en Turquie. Originaire du Turkménistan, mais se considérant comme Russe, elle est passée de simple vendeuse à gérante du grand magasin de prêt-à-porter Fimka.

« Ici, c’est plutôt tranquille, mais à cause des reportages à la télévision qui montrent comment la police gaze la population, les grossistes russes refusent de venir s’approvisionner. Dans l’ensemble, on a déjà perdu 20% du chiffre d’affaires. »

Tous les habitants du quartier de Laleli ne sont pas aussi prolixes sur la situation politique du pays. Katia (le prénom a été changé à sa demande) explique par exemple que dans leur magasin, les employés soutiennent en majorité le parti du Premier ministre Erdogan. Ils ne sont que trois à épouser la cause des opposants.

« J’ai deux enfants et je ne veux pas de problèmes », essaye de se justifier Katia. « A mes amis, oui, je leur dis la vérité : à Taksim et dans d’autres villes il y a des manifestations, mais à Istanbul, qui est une ville immense, et dans d’autres régions, on peut venir sans problème, comme avant. »

Natalia possède depuis longtemps la citoyenneté turque et a un train de vie plutôt aisé. Elle vit avec son mari et ses trois enfants dans le quartier asiatique d’Istanbul. Nous nous donnons rendez-vous dans le centre-ville, mais elle me rappelle et, contre toute attente, annule tout : son mari lui a conseillé de ne pas parler aux journalistes.

« Vous comprenez, nous devons continuer à vivre ici, me dit-elle. Nous ne savons pas comment cela peut tourner. »

Chaque année, près de 3,5 millions de Russes se rendent en Turquie. Malgré la crise politique que traverse le pays, le flux touristique ne diminue pas, assurent les agences de tourisme turques. Le nombre de touristes européens, en revanche, a nettement baissé. A cause des événements qui secouent le pays, plusieurs croisières au départ d’Istanbul ont d’ores et déjà été annulée.


Source : La Russie Aujourd'hui

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