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10 avr. 2013

Tromper, c'est tendance ?

A en croire le marketing des sites de rencontres spécialisés dans les liaisons extraconjugales, l'infidélité est devenue banale, presque à la mode. Ce serait même le ciment des couples durables ! A voir...

Multiplier les amants a révélé la femme qui sommeillait en elle. En six mois, Anne a rendu son tablier de mère exemplaire, perdu 26 kg et changé de look : «Je porte des bas plutôt que des collants, des talons plutôt que des ballerines.» Depuis un an, elle s'est inscrite sur un site spécialisé dans les rencontres extraconjugales, qu'elle écume sans relâche. Il suffit de quelques clics, d'un badinage sur écran, et rendez-vous est pris. Dans un café, un bar d'hôtel voire directement dans une chambre où ces approches virtuelles prennent corps. «A 50 ans, dit-elle, après vingt ans de mariage sans accroc, j'ai eu besoin de m'éclater. Ces infidélités sont le complément alimentaire de mon couple.» 

Une histoire banale ? Trente-quatre pour cent des hommes et 24 % des femmes reconnaissent avoir eu au moins une aventure - et entre les deux, l'écart tend à se réduire. Comme Anne, ils sont nombreux à recourir à ces plates-formes réservées aux personnes mariées qui rendent le «cinq à sept» accessible par clavier interposé. «Tout le monde peut se tromper, surtout maintenant», tance Gleeden, qui revendique 800 000 adeptes en France depuis 2009. 

«Il est 18 heures, savez-vous où se trouve votre femme ?» susurre Ashley Madison, fort de 200 000 adhérents en moins de deux ans de bons et loyaux services. «Notre site démocratise l'infidélité en allant à l'encontre de l'hypocrisie générale, argue Anne-Sophie Duthion, chargée de communication pour Gleeden. Aujourd'hui, un mariage sur deux se solde par un divorce à Paris, un sur trois en province. Avec l'augmentation de l'espérance de vie, l'érosion du couple se creuse. Gleeden ou pas, les gens sont infidèles.» 

Noel Biderman, fondateur d'Ashley Madison, va plus loin : «Il est persuadé de sauver des mariages, affirme Hélène Antier, sa porte-parole. Pour lui, l'infidélité est peut-être le secret de la longévité du couple. On ne devrait pas divorcer sans avoir essayé.» A les en croire, l'écart conjugal serait devenu courant, le cocufiage, banal, presque «tendance». 

Selon un sondage Ipsos-Gleeden au libellé bouffon, «37 % des Français auraient été infidèles ou pourraient l'être». Ce marketing sulfureux a le don d'irriter la sociologue Charlotte Le Van, auteur d'une étude fouillée, les Quatre Visages de l'infidélité en France (1). «Ces sites font de l'intox, ça commence à me fatiguer ! tonne-t-elle. Ils lancent des campagnes avec des chiffres fantaisistes relayés dans toute la presse. Leur échantillon n'est pas représentatif et ils amalgament des questions incompatibles. Ça ne veut rien dire ! 

» Avec une équipe interdisciplinaire dirigée par Nathalie Bajos et Michel Bozon, la chercheuse a sondé la vie intime de 12 364 personnes (2). Verdict : seuls 3,6 % des hommes et 1,7 % des femmes déclarent avoir eu un autre partenaire que le légitime «durant l'année qui précède» - avant, c'est une autre histoire... «Des chiffres marginaux et en baisse. Non seulement l'attachement à la fidélité est plus important qu'avant, mais les Français sont moins tolérants à l'égard de l'infidélité. Toutes les enquêtes sérieuses vont dans le même sens.» 

Pour le chercheur Pierre Bréchon (3), la multiplication de ces sites n'est pas un indice de mesure de la frivolité : «Internet est un lieu où les groupes minoritaires, tenants de formes de sexualité différentes ou propagandistes du "no sex", trouvent à s'exprimer. En réalité, il n'y a pas plus de volatilité sexuelle qu'hier, au contraire. La tendance serait plutôt à une moindre légitimation. La fidélité est davantage proclamée, notamment chez les jeunes. Dans les années 80, un sur deux la défendait. Aujourd'hui, 80 % la plébiscitent.» 

D'ailleurs, alors que le «mariage pour tous» fait figure de valeur progressiste, sa revendication témoigne selon lui d'un besoin de tradition plutôt conservateur : «Que demandent les homosexuels ? Pas le droit à une sexualité débridée, mais celui de se marier comme les autres. Ils veulent la convenance du mariage, l'institution traditionnelle. Au fond, ils disent : "On est capables d'être aussi fidèles que les hétéros."» «Bientôt, on parlera surtout du divorce pour tous», raille l'avocate Michèle Rayer, qui mesure l'importance de la loyauté conjugale à son ombre portée : l'infidélité, inégalable pour sonner le glas des amours. 

Si le travail reste le grand pourvoyeur de relations clandestines, cercle amical, réseaux sociaux et sites de rencontres sont des entremetteurs dévoués. «Les possibilités ont explosé, souligne l'historienne Agnès Walch (4). Dans ce monde extrêmement ouvert, il y a une facilité donnée à l'infidélité.» Ces tiraillements entre la quête d'un idéal et les sirènes de la tentation redessinent une carte du Tendre aux contours incertains. 

«Le couple ne tient que par les sentiments, relève la psychologue Alexandra Choukroun (5). Très labiles, ils fluctuent, déclinent, ça ne dure pas toute une vie.» De là à parler d'adultère à tous les étages... «Certes, l'infidélité n'est plus taboue, elle est devenue banale, admet-elle.Mais c'est toujours une blessure.» Les couples ont beau s'y attendre, «ça reste un tsunami, fait observer le psychiatre Serge Hefez. La moitié d'entre eux consulte pour un problème d'infidélité». Parodiée au cinéma avec les Infidèles ou propulsée dans l'arène publique par les frasques des politiques, de Clinton à DSK, l'infidélité menace plus que jamais de faire exploser les couples en vol. 

Pour éviter de se trahir, Maé s'est créé une adresse e-mail dédiée. A 45 ans, le discours de cette commerciale est pragmatique : «Je suis avec mon conjoint depuis cinq ans. Je l'aime. Seulement, ce n'est pas un épicurien. J'ai eu du mal à identifier que j'avais besoin d'autre chose.» Il y a un an, elle s'inscrit sur un site spécialisé. Suit une rencontre. Sans mauvaise conscience ni culpabilité : «L'infidélité n'a rien d'anormal. Il faut arrêter de dramatiser.» 

Nadège, styliste de 38 ans, relativise aussi. En couple depuis sept ans, elle se jure fidèle, malgré trois coups de canif imprévisibles. Son jardin secret. «Je ne lui en parlerai jamais, même sous la torture. Je ne veux pas que ça ait d'impact sur mon couple. Et ça ne servirait qu'à libérer ma conscience.» Elle prend ces caprices d'un soir comme «de petites distractions. Ça s'est passé en séminaire. Quand on est en voyage, ça ne compte pas, dit l'adage»... 

«Ce sont des choses qui arrivent», «On ne peut pas être fidèle toute sa vie», «C'était un accident» : autant de formules qui semblent admettre l'irruption de fausses notes dans la partition conjugale. La fidélité, un vœu pieux ? «Personne ne s'engage pour être infidèle, tempère Pierre Bréchon. L'idéal de la famille va de pair avec la fidélité, productrice d'épanouissement et de bonheur.» Une fois ce modèle entamé, l'adultère est classé «secret défense». 

Olivier adhère à cette méthode, de loin la plus répandue. A 41 ans, ce traducteur, père de trois enfants et marié depuis dix-huit ans, s'est inscrit sur Femmes mariées rencontres (FMR) : «Je n'éprouve pas de culpabilité. Même si je suis mal à l'aise quand ma femme fait mon éloge. Si elle l'apprenait, notre couple exploserait instantanément.» Maé, elle, a continué de préméditer ses extras en douce, «une quinzaine de fois», avant de ralentir. «Jusqu'à 35 ans, j'ai été très prude, dit-elle. J'avais des regrets de ne pas savoir ce qui se passait de l'autre côté de la frontière. En fait, de l'autre côté, c'est bien.» 

«L'infidélité est sans doute plus décomplexée, avance Janine Mossuz-Lavau, directrice de recherche à Sciences-Po, mais la jalousie demeure. Chacun sait qu'il vaut mieux ne pas l'éveiller chez l'autre.» Depuis que sa femme a «explosé [son] iPhone» sous le coup de la jalousie, François, 58 ans, est très prudent. En vingt-cinq ans de mariage, ce kinésithérapeute s'est fait pincer une fois : «J'ai été puni par un an de séparation.» Vaine pénitence. 

Pour lui, mariage rime avec vagabondage. «Considérer qu'on va rester fidèle est une aberration, dit-il sans passion. Evidemment, il y a des tentations. Pourquoi devrait-on s'infliger d'y résister ? Par morale ? Par amour vertueux ? Dans ce cas, désirer quelqu'un d'autre est déjà une tromperie. Il faudrait s'interdire de l'éprouver ? Impossible. Le réprimer ?» Pour lui, ces liaisons n'exigent que de la discrétion, moins par égard que pour s'épargner des tracas : «Toujours avec des femmes mariées, pour éviter les problèmes, et sans prolongations pour éviter l'implication. C'est étanche. Calculé.» 

Du côté des trompés, sachant qu'en la matière la distribution des rôles n'est pas figée, l'infidélité reste une déflagration. Nombreux sont ceux qui font irruption dans les cabinets d'avocat. Avec la lassitude, qui se porte comme un charme, la principale raison du divorce, c'est l'infidélité, toujours aussi difficile à vivre, assure Me Rayer : «Dans les années 70, on défendait la liberté, la parenthèse enchantée. Aujourd'hui, les gens sont beaucoup plus classiques dans leur façon d'appréhender le couple. On redevient comme papa et maman. Il y a un repli sur la famille.» Mais, dans la vie de tous les jours, l'amour dure cinq ans, le temps des noces de bois. 

Ce délai atteint, le taux de divorce culmine. Le cumul des mandats amoureux y est pour beaucoup. «La fidélité reste le socle fondateur du couple, constate Me Poivey-Leclercq.Comme la rupture n'est plus frappée du sceau de l'infamie et qu'on se sépare plus facilement qu'autrefois, son importance est exacerbée. Les gens sont très décomplexés par rapport à la rupture. Pas par rapport à l'infidélité.» Elle reste l'atteinte ultime. 

Eric, 60 ans, médecin, joue dans la catégorie «infidèle ancestral» : il est chef de famille, sa femme, en charge des trois enfants. Il n'a jamais boudé ses plaisirs parallèles. Jusqu'au jour où il s'est fait prendre. «Je l'aurais quittée, raconte-t-il. Mais la dimension dramatique m'en a dissuadé.» Selon Alexandra Choukroun, «les hommes ont plus de mal à partir que les femmes, qui ont la garde des enfants. Quitter leur famille et l'image maternelle de leur femme leur donne un sentiment d'abandon.» Eric est resté. 

Dix ans après, le sujet est encore sensible. Beaucoup de conjoints dupés finissent aussi sur le divan. Ils parlent de trahison, de violation. «L'infidélité blesse l'idéal de transparence qui prévaut, analyse Serge Hefez. Elle vient encorner cette belle image de perfection conjugale. La part de secret, la dimension cachée, la dissimulation sont très difficiles à accepter.» 

En couple depuis cinq ans, Laure, une jolie brune de 40 ans, qui travaille dans la com, est en pleine tourmente. Lors d'un voyage à Venise avec Paul, son ami, chef d'entreprise, elle est tombée sur des SMS, ces délateurs zélés qui trahissent les volages plus sûrement qu'une trace de rouge à lèvres sur un col de chemise. Choc. «J'ai fouillé, reconnaît-elle. J'avais des doutes. Il niait. J'ai voulu en avoir le cœur net.» Dans la foulée, elle plie bagage. «Ce n'est pas l'infidélité en soi qui est insupportable, dit-elle. L'insupportable, c'est que, au milieu, d'un séjour qu'il qualifiait de "voyage de noces", il se soit manifesté en des termes amoureux à une autre. Cette duplicité altère le capital confiance.» Des arguments que Paul peine à entendre :«On ne met pas son couple à sac pour une tocade. Cet accroc a le mérite de révéler nos failles.» 

Pour surmonter ces scènes de la vie conjugale, le psychiatre Christophe Fauré a consigné son expérience dans Est-ce que tu m'aimes encore ? (6), véritable mode d'emploi de la reconstruction : «Quand une infidélité survient, c'est une bombe. Elle engendre beaucoup de souffrance. Mais ce n'est pas grave. Cela peut même être salutaire. A condition d'en identifier les raisons.» Olivier, l'adepte de FMR, les connaît, mais reste incapable d'en parler avec son épouse. «J'ai toujours été motivé par le devoir d'être un bon mari, un bon père, un bon professionnel. Et puis j'ai voulu ma part de plaisir. Mon corps s'est réveillé, il s'est rappelé à mon bon souvenir. J'ai eu envie de bouger, d'être hors d'haleine.» Il a rencontré quelques femmes, «cinq en tout», pour un soir, parfois pour plusieurs mois. 

Au début, ces jeux ont ranimé sa bonne humeur, puis ils se sont teintés d'amertume : «J'ai découvert les motivations de femmes, leur besoin de renouer avec le désir. J'en suis sorti plus triste, avec un dégoût de moi-même, l'impression qu'il y avait là plus de mal fait que de bien donné.» Il se souvient d'Hélène, mariée, «pleine de peur en même temps que de désir. De passage à Paris, elle est allée plus vite que sa propre musique, elle avait réservé l'hôtel. Quand je l'ai raccompagnée, elle n'osait pas me regarder, elle est partie le plus vite possible». Ils ne se sont jamais revus. Il en ressort sceptique : «J'aimerais rencontrer quelqu'un. Etre désirable n'est pas suffisant. Et je n'ai pas envie de morceler mon désir.» 

Des scrupules qui tranchent avec l'infidélité assumée de certaines. Car, si les hommes restent plus volages que les femmes, ils n'ont plus le monopole de l'adultère, longtemps toléré par des épouses économiquement dépendantes. Elles ont «plus d'opportunités de rencontre et peuvent potentiellement rompre», souligne Charlotte Le Van. Elles sont aussi plus exigeantes et moins surveillées. 

«Autrefois, leur infidélité posait surtout un problème : celui du bâtard, rappelle Agnès Walch. Basé sur la présomption de paternité, le mariage avait pour corollaire la fidélité de l'épouse. Jusqu'à la loi de 1975, seules les femmes pouvaient être poursuivies pénalement pour infidélité.» Dans son cabinet, Me Rayer constate ce papillonnage féminin, très mal ressenti par les hommes. «Elles ont du mal à s'épanouir dans leur rôle de mère, d'épouse, de travailleuse, et recherchent dans des paradis artificiels une relation affective plus poussée. Elles réalisent qu'au bout de quatre ans on ne fait plus les pieds au mur.» 

Le désir, Edith, une belle plante de 45 ans, chercheuse, n'a pas hésité à le disperser façon puzzle. Avant de catapulter quinze ans de mariage, Adopteunmec, Attractiveworld ou Meetic sont devenus des supports familiers. En cachette, évidemment : «Je n'avais plus de sexualité avec mon mari. J'avais besoin de tester ma capacité de séduction. Très vite, tous ces hommes qui m'admiraient m'ont redonné confiance.» Elle énumère ces relations «pluripartenaires» à la façon d'un tableur Excel. Détachée. Clinique. «Je voulais du non-engagement, tout en prenant mon pied. Internet rend les choses faciles. Si on se débrouille bien, en moins de deux heures, on a un plan cul. Après, on consomme, jusqu'à saturation. C'est très addictif.» 

Un appétit que Charlotte Le Van met en perspective : «L'infidélité est plus répandue chez les cadres. Parmi ceux qui multiplient les aventures, il y a quelques femmes souvent désenchantées.» Ces rendez-vous compulsifs ont conforté Edith dans sa décision de divorcer, l'infidélité servant souvent de transition entre une vie conjugale et une autre. Il lui a fallu un an pour convaincre son mari d'entamer un nouveau chapitre sans elle. 

Gare à la suspicion généralisée : ces consommateurs effrénés ne sont pas si fréquents. «Il ne faut pas surestimer l'utilisation d'Internet, insiste Charlotte Le Van. C'est surtout un support fantasmatique. Beaucoup y vérifient leur capacité de séduire. C'est du flirt à distance, une manière d'être infidèle sans fauter ni mettre son couple en péril.» S'il a lieu, le passage à l'acte n'est pas synonyme de séparation. Certains l'incorporent à leur petite cuisine conjugale. Sans mélanger sexe et sentiments. 

Un comportement longtemps attribué aux hommes, qui semble gagner les femmes. En couple depuis cinq ans, Lise, 35 ans, fonctionnaire, a fait deux rencontres via le Net pour congédier la monotonie. La seconde était la bonne : un homme marié, qui vient chaque semaine à Paris pour son travail, et plus si affinités. Ses hommes sont désormais les deux faces d'une même pièce. Lise ne pense pas quitter son compagnon : «Je l'aime, je ne me vois pas vivre avec quelqu'un d'autre. J'envisage de faire un enfant avec lui.» Elle ne pense pas non plus quitter son amant : «Si ça venait à s'arrêter, j'en chercherais un autre. Sinon, je m'ennuie.» A l'inverse, elle supporterait mal d'être trompée. 

C'est l'ère du couple sur mesure, écartelé entre ses valeurs et la pratique, entre devoir et désir. Avec ses déclarations d'intention, ses petits arrangements entre amants. Et une tolérance à géométrie variable, selon qu'on est l'abuseur ou l'abusé. Des paradoxes qu'Agnès Walch résume bien : «L'infidélité a certainement perdu en gravité dans le cadre social, mais les gens ne supportent pas qu'on les rende cocus.» A la fois Graal et martyr, sacré et profané, le couple est soumis à des aspirations contraires et des injonctions contradictoires, de la transparence absolue au respect du jardin secret. 

D'autant plus porté aux nues que les tentations se multiplient, l'amour avec un grand a fait figure d'assurance contre une incertitude anxiogène. «On n'a jamais autant plaidé pour la vie de couple en la représentant comme une chose extraordinaire, estime l'historienne. Elle est la vie rêvée, le refuge où trouver l'épanouissement, l'espace protégé où l'on se dit qu'il y a au moins des gens qui tiennent à soi. Surtout en temps de crise.» 

D'après les dernières études, la justification de l'infidélité est mal jugée : elle obtient une note de 3 sur 10 seulement. «Il y a une baisse de sa légitimité, assure Pierre Bréchon. En tant que valeur, elle n'est pas tendance.» Toutefois, la condamnation des relations extraconjugales tend à s'affaiblir lorsque la durée du couple augmente. Plus qu'une norme absolue, la fidélité relève d'une norme situationnelle, elle est «moins centrale dans des couples que l'on peut considérer comme stabilisés, alors qu'elle reste essentielle dans les couples naissants», relève le sociologue Michel Bozon (7). 

Pour Marc, 42 ans, trois enfants, le breuvage s'est révélé amer. Marié dès 20 ans, ce documentaliste s'est engagé très librement : «On a toujours su qu'on ne passerait pas notre vie sans connaître d'autres personnes. Alors, on ne s'est pas juré fidélité.» Ces échappées lui ont longtemps donné l'impression de protéger son mariage : «C'était une façon de renforcer les liens, avec un amour supérieur qui traversait les années et des à-côtés sans importance. La longévité du couple passe par là. Ce n'est pas un manifeste, pas une provocation, c'est une conviction.» Un beau discours aussi. Car, depuis cinq ans, Marc revoit sa copie. Son épouse s'est engagée dans une double vie. 

Il a découvert le pot aux roses en tombant «par hasard» sur des SMS éloquents : «Cette fois, il y a concurrence, nous sommes en péril, tout est instable. Je fais attention à ne pas intégrer de jugements moraux qui seraient une ligne de conduite. Il faut être très souple pour s'adapter à une situation incongrue.» Ses amis l'incitent à rompre. Marc s'y refuse. Pour tenir, il multiplie les aventures - «Internet est devenu un outil industriel de recherche» - et essaie de dompter sa souffrance. «Par idéal et par amour, dit-il. C'est un schéma assez conservateur...» 

Comme lui, beaucoup inventent leurs règles et naviguent sans boussole. Une traversée périlleuse, guidée par la quête du bonheur commun mais rythmée par le désir de rester maître de sa vie. «Valeur montante, l'individualisation, cette volonté de décider de tout sans modèle, est assez angoissante, relève Pierre Bréchon. Le passage d'une culture de l'institution à celle que l'on construit soi-même fait à la fois la force de l'idéal et la fragilité de nos existences contemporaines.» 

Une faille bien repérée par les sites de rencontres qui surfent sur une prétendue banalisation.«Ils incitent à s'épanouir sexuellement, en trompant et en sortant de l'hypocrisie, déplore Alexandra Choukroun. C'est leur discours qui est hypocrite. Il consiste à dire : "L'infidélité a toujours existé, allons-y." Ce raisonnement est extrêmement douteux. Il n'y a pas seulement là une mouvance, il y a une accessibilité, une facilité de naviguer, d'aller d'une page à l'autre et de se laisser tenter. Les corps y sont des objets de consommation virtuelle qui peuvent devenir réels.» 

C'est le cas pour Anne, cette mère de famille de 50 ans, en bas et talons, qui a perdu 26 kg. Elle assume un peu crânement des fantaisies à l'horizontale si régulières qu'elle a fini par en informer son mari. Tout en s'évertuant à le rassurer : «Ça ne va pas durer, je finirai par retrouver la quiétude d'avant.» Obnubilée par son image, elle est «en alerte permanente. Je fais tout le temps attention à être au top. J'ai l'impression de vivre dans le corps d'une autre. Je ne connais pas ce mummy porn qui débride la bourgeoise rangée.» Ses enfants partis faire leur vie, elle craint d'être rattrapée par le temps, son pire ennemi : «Je n'ai pas envie d'être grand-mère, pas envie de voir mon mari vieillir, ni de rejoindre la mutuelle des anciens combattants.» Derrière l'idéal du couple durable, ne reste-t-il donc qu'une aventure à vivre : l'adultère ? 

(1) Payot, 2010. 

(2) Enquête sur la sexualité en France, de Nathalie Bajos et Michel Bozon, La Découverte. 

(3) La France à travers ses valeurs, Armand Colin. 

(4) Où va le mariage ?, Fayard. 

(5) Si tu m'aimes, trompe-moi ! L'Archipel. 

(6) Albin Michel. 

(7) Dans «Amour, désir et durée. Cycle de la sexualité conjugale et rapports entre hommes et femmes» in la Sexualité aux temps du sida, de N. Bajos, M. Bozon, A. Ferrand, A. Giami, A. Spira, PUF.



source : Marianne.net

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