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22 déc. 2012

Google Influences : le lobbying habile du géant d'Internet en France

Olivier Esper avait accepté de nous recevoir au coeur de l'été, au siège de Google, un somptueux hôtel particulier du 9e arrondissement, alors que le Tout-Paris des affaires était déjà parti en vacances. Pour faire son "job" de lobbyiste, s'assure que la journaliste du Monde avait bien "toutes les informations" pour boucler son article.


Il a encore dit oui à une nouvelle rencontre, début novembre, alors que les tensions avec les éditeurs de presse redémarraient de plus belle. Toujours aussi sympathique et bien élevé. Un peu à l'image de Google, celle que le groupe semble vouloir donner de lui-même aujourd'hui en France : une multinationale, certes très puissante, mais ouverte au dialogue, responsable.

"Dans l'Hexagone, c'est le géant de l'Internet qui fait le plus de lobbying. Et pour cause : notre pays représente une faible part de marché pour Google mais un maximum d'emmerdes", estime Giuseppe de Martino, secrétaire général de la plate-forme de vidéos Dailymotion, un concurrent de YouTube, filiale de Google. Un peu exagéré : en Allemagne ou en Belgique, Google a eu maille à partir avec les éditeurs de presse ou les opinions publiques. En Chine, son moteur de recherche a été censuré à plusieurs reprises.

Mais pas faux : dès ses débuts en France, le groupe californien fondé en 1998 a rencontré de fortes résistances, et celles-ci vont en s'intensifiant. Sa position hégémonique, son ambition prométhéenne (numériser et classer toutes les informations du monde...) semblent y inquiéter tout particulièrement.

Il y a eu la fronde judiciaire menée, à partir de 2006, par l'éditeur La Martinière, puis Hachette et le Syndicat national de l'édition. Le milieu du cinéma, toujours prêt à dégainer son "sacro-saint" droit d'auteur : Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), rappelant à qui veut l'entendre que c'est à Beaumarchais qu'on le doit...

Il y a aussi les éditeurs de presse, qui estiment que Google devrait payer pour l'indexation de leur contenu en ligne. Sans parler de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), qui a sanctionné Google pour son service de géolocalisation Street View. C'est également de France qu'est partie l'une des plaintes qui ont poussé la Commission européenne à ouvrir une enquête antitrust sur le moteur de recherche, dont on attend toujours les conclusions. Sans parlerdes gouvernements, de droite comme de gauche, qui veulent lui faire payer plus d'impôts...

"UNE STRATÉGIE TRÈS BIEN CALIBRÉE"

Du coup, chez Google, on s'est organisé. "Leurs dirigeants ont une stratégie très bien calibrée pour la société française, ils ont compris que, dans ce vieux pays, il y a des usages qu'il est bon de respecter. Ils ont recruté des lobbyistes qui saventparler aux pouvoirs publics", selon un haut fonctionnaire, qui connaît bien la multinationale.

Olivier Esper, leur chef, est un "X Télécom", "une personne de ce calibre à ce type de poste, c'est assez rare", note cette source. Ce corps prestigieux permet des contacts partout dans l'industrie, notamment chez les opérateurs de télécommunications, eux aussi sur la défensive : ils voudraient que Google contribue au financement de leurs réseaux.

Benoît Tabaka, recruté au printemps, est l'ex-secrétaire général du Conseil national du numérique, où il a planché sur les questions de fiscalité de l'Internet... Sa nomination a fait grincer des dents au cabinet de Fleur Pellerin. La ministre déléguée à l'économie numérique n'a pas non plus digéré l'arrivée chez Google duconseiller d'Etat Francis Donnat. Il était détaché auprès de la Cour de justice de l'Union européenne.

"Le Conseil d'Etat donne un réseau incroyable : les directeurs de cabinet de l'Elysée, de Matignon, la plupart des directeurs juridiques des grands groupes en viennent", précise encore ce haut fonctionnaire. Quant à Jean-Marc Tassetto, le directeur général de Google France depuis 2010, c'est un ex-directeur général de l'opérateur de télécoms français SFR. Pas un Américain débarqué de Mountain View - le siège californien du groupe - avec un français approximatif...

Et ces "influenceurs" ne ménagent pas leur peine : ils sont de tous les colloques, séminaires et autres consultations publiques. Il y a quelques semaines, ils ont reçu l'inspecteur des finances Nicolas Colin et le conseiller d'Etat Pierre Collin, qui planchent pour Bercy sur une fiscalité adaptée à Internet. "On a trouvé leurs idéesintéressantes...", glisse-t-on à la direction de Google.

Ils ont été auditionnés par Pierre Lescure dans le cadre de la mission que lui a confiée le gouvernement sur l'exception culturelle à l'heure du numérique. "Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils ne pratiquent pas la politique de la chaise vide !" reconnaît Giuseppe de Martino.

"ON EST LÀ POUR LE LONG TERME"

Il n'en a pas toujours été ainsi. Quand la multinationale a débarqué en France, elle a commencé par braquer ses interlocuteurs. A la CNIL, on retient surtout son arrogance. "Ils n'étaient pas désagréables pris individuellement, mais c'est la structure qui pouvait être brutale", rappelle un proche de l'autorité.

"En début d'année encore, Google a mis la CNIL devant le fait accompli, en ne la prévenant que quelques jours avant la mise en place de sa nouvelle politique de données personnelles [le groupe s'autorise désormais à croiser toutes les données de ses utilisateurs : mails, photos, recherches, etc.]. Le temps des régulateurs, Google n'en tient pas compte", assure cette source. Mais "ils apprennent vite de leurs erreurs", constate Jean-Louis Missika, l'adjoint au maire de Paris chargé de l'innovation.

En plus de ses lobbyistes, le groupe a mis - assez substantiellement - la main au portefeuille. Il a déboursé 100 millions d'euros pour l'achat de son siège socialparisien, où il a installé un pôle de recherche et développement. "Cela prouve qu'on est là pour le long terme", précise sa directrice de la communication, Anne-Gabrielle Dauba Pantanacce. Un centre culturel y ouvrira au printemps.

Certains, au gouvernement, prétendent qu'il s'agissait d'un "deal" avec le présidentNicolas Sarkozy : on investit en France mais vous laissez tomber votre projet de taxe Google. "C'est n'importe quoi", corrige la députée UMP de l'Eure-et-Loir, Laure de La Raudière, bonne connaisseuse des enjeux français du numérique. Google finance aussi cinq équipes du CNRS, deux prix du journalisme avecSciences Po, et a pris en charge la venue de journalistes tunisiens au Mondedébut 2012...

INTERNET SANS ENTRAVES

Toutes ces initiatives ont évidemment pour but de préserver ses intérêts. Quels sont-ils, au fait ? Google, qui propose des services gratuits contre de la vente d'espaces publicitaires en ligne, se nourrit de l'expansion du Web. Il promeut donc un Internet sans censure ni contrôles. "Le message qu'ils répètent à toutes les tribunes, c'est : laissez-nous tranquilles !" selon Auke Haagsma, directeur du lobby bruxellois Icomp, dont l'un des membres fondateurs, Microsoft, est un grand concurrent de Google.

Le moteur de recherche a ainsi déployé les grands moyens lors du récent congrès de Dubaï, où il s'agissait de voter un nouveau traité international des télécommunications. Il y avait un risque que des pays non démocratiques tentent d'y faire adopter le principe d'un contrôle de la Toile par les Etats. Google a lancé une pétition, dépêché des salariés sur place, fait monter au créneau un de ses lobbyistes américains les plus chics, Vinton Cerf, un des pères fondateurs du Net...


Autre pilier du modèle économique ultra-efficace de Google (37,9 milliards de dollars, soit 28,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2011, 9,7 milliards de dollars de bénéfices) : les données disponibles sur le Web, dont il fait la matière première de ses services, qu'il classe, héberge... Mais qu'il ne contribue pas à créer et dont il ne paye pas la manipulation. Pas question donc d'accéder aux demandes des éditeurs qui revendiquent des droits d'auteur.

Pour l'instant, la multinationale mène plutôt bien sa barque. Pascal Rogard, de la SACD, trouve "les gars de Google sympathiques" depuis qu'ils ont accepté defaire la chasse aux contenus piratés sur YouTube. Hervé de La Martinière, PDG du groupe La Martinière, maintenant qu'il a enterré la hache de guerre avec eux, estime que l'ennemi a changé de camp : désormais, c'est à Amazon qu'il est reproché de faire de l'optimisation fiscale en logeant une partie de ses activités auLuxembourg.

PETITS CADEAUX ET COUPS DE PRESSION

Ce qui est apprécié, c'est aussi que les "Googliens" viennent rarement les mains vides à la table des négociations. "Nous sommes une entreprise d'ingénieurs, nous sommes là pour trouver des solutions", explique Bill Echikson, un ex-journaliste pour le Wall Street Journal, devenu le patron de la communication de Google à Bruxelles.

Vous avez un problème ? Vous perdez de l'argent à cause d'Internet ? On va vousexpliquer comment, au contraire, en gagner. Google propose gracieusement des sessions de formation. Fin novembre, il a financé la logistique d'un atelier de deux jours, dans les locaux du Nouvel Observateur, pour sensibiliser les journalistes à l'utilisation des photos sur le Web.

Parfois, quand même, Google sort le chéquier. Tout récemment avec la presse belge francophone, à qui le groupe a versé quelques millions d'euros de dédommagement, pour n'avoir pas payé le référencement de leurs articles sur l'agrégateur Google Actualités. Avait-il le choix ? La cour d'appel de Bruxelles avait donné raison aux éditeurs.


Quelquefois, le groupe montre les dents, mais c'est rare. Ainsi de cette lettre, cet automne, qui menaçait les éditeurs de presse français de déréférencer leurs contenus s'ils continuaient à exiger une loi l'obligeant à payer des droits d'auteur. Le groupe n'hésite pas non plus à prendre à partie les internautes. Comme en Allemagne avec cette pétition appelant ses utilisateurs à "défendre leur Internet", alors qu'un projet de taxe Google commençait d'être discuté au Parlement.

Pour l'instant, Google a réussi à ne rien céder sur l'essentiel. Mais les semaines et les mois à venir seront rudes : arrivera-t-il à éviter la "lex Google" des éditeurs français ? La future fiscalité du numérique, à laquelle pourrait s'atteler le gouvernement Ayrault ? A peser sur les conclusions de l'enquête antitrust de la Commission européenne ? Ses lobbyistes ont beau avoir l'air "cool", ils sont sur les dents.

Source : Le Monde. 

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