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14 mai 2012

Le Mediator envoyé aux urgences judiciaires



Juger avant qu’il ne soit trop tard. Le procès du Mediator, qui s’ouvre ce matin à Nanterre (Hauts-de-Seine), est une première. Jamais un scandale sanitaire n’avait été jugé aussi rapidement, moins de deux ans après le retrait du produit. Le pire contre-exemple ayant été l’affaire de l’hormone de croissance contaminée, où les audiences avaient démarré plus de vingt ans après les faits, après dix ans d’instruction, avec des prévenus sourds et très âgés, le principal mourant juste après le premier procès.

A moins d’un accroc de procédure, le laboratoire Servier devrait donc être jugé, ainsi que cinq de ses cadres. Dont le fondateur, Jacques Servier, 90 ans, élevé en 2008 au rang de Grand-Croix de la Légion d’honneur par Nicolas Sarkozy. Il devra expliquer à la barre pourquoi des patients qui avaient pris du Mediator pour perdre quelques kilos se retrouvent avec des graves ennuis cardiaques. Sans oublier les morts, 1 300 en trente ans, selon la dernière étude de l’Inserm, dont les travaux sont contestés par Servier.

Face au laboratoire, près de 300 victimes se sont constituées partie civile. C’est pour elles que les avocats François Honnorat et Charles Joseph-Oudin ont choisi de court-circuiter l’information judiciaire menée par trois juges parisiens (pour escroquerie, tromperie, homicides involontaires, etc.). «J’ai connu l’affaire du sang contaminé, puis celle de l’hormone de croissance. D’où la volonté de ne pas se perdre dans une procédure interminable», raconte Me Honnorat. Ce fut donc la citation directe, plus rapide, mais qui ne couvre qu’un seul aspect de l’affaire : la «tromperie aggravée».

«Ce qui se joue à Nanterre est essentiel pour les victimes. Que Servier soit condamné pour tromperie leur donnera bien plus de chances ensuite d’être indemnisées», dit l’avocat. D’autant que le laboratoire«refuse systématiquement d’assumer ses responsabilités, même lorsque les expertises médicales sont favorables» aux malades, ajoute Me Joseph-Oudin.

L’enjeu est lourd pour Servier, qui risque une interdiction d’exercer. Ce«serait catastrophique», a déclaré au magazine l’ Usine nouvelle sa directrice des affaires extérieures, Lucy Vincent. Mais «nous sommes sereins devant la solidité de notre dossier scientifique et technique» ,a-t-elle ajouté. «C’est une affaire unique, lui répond la Dr Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest, qui a été décisive dans la révélation de l’affaire. Elle ne relève en rien de problèmes classiques de l’industrie pharmaceutique, c’est une affaire de grand banditisme.»

Le procès sera-t-il maintenu ?

L’audience va débuter par une bataille de procédure. Servier n’a pas engagé Me Hervé Témime par hasard. Ce redoutable expert va tenter de tuer le procès dans l’œuf : il a annoncé qu’il soulèvera deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Dont l’une dénonce l’existence de deux procédures parallèles. «Il nous apparaît impensable d’être jugés à Nanterre pour des faits tronqués et sur lesquels enquêtent déjà des juges d’instruction parisiens extrêmement dynamiques», plaide-t-il. Si le tribunal jugeait la demande recevable, le procès serait reporté de trois à six mois et serait susceptible d’être annulé par le Conseil constitutionnel.

Les avocats des victimes ne sont «pas inquiets», puisque la Cour de cassation a déjà décidé à deux reprises de ne pas regrouper l’affaire à Paris. Hervé Témime va abattre une seconde carte : il soulèvera d’autres points de droit susceptibles d’entraîner un renvoi.

Que reprochent les victimes au laboratoire ?

Les parties civiles ont choisi de concentrer leurs tirs sur une seule accusation, «très simple» : «Servier n’a pas informé les consommateurs de la dangerosité du médicament.» Une étude du laboratoire de 1993, jamais publiée, démontre que le Mediator est transformé («métabolisé») par le corps en norfenfluramine. Exactement comme le Ponderal et l’Isoméride, deux coupe-faim de Servier retirés du marché pour des raisons de sécurité en 1997. Or, une étude scientifique, publiée en 2000, démontre que la norfenfluramine est responsable des graves effets secondaires communs aux trois molécules. «Servier savait depuis 1993 que le taux de norfenfluramine dans le sang produit par le Mediator était semblable à celui de l’Isoméride et du Ponderal. Ces données, ils les ont cachées», dit Me Honnorat. «Depuis qu’il sait, en 2000 que la norfenfluramine est un produit toxique, Servier avait l’obligation d’informer les patients que c’était le métabolite actif du Mediator. Il ne l’a pas fait, ce qui a mis leur santé en danger» , ajoute Me Joseph-Oudin.

Comment Servier va-t-il se défendre ?

Le laboratoire veut démontrer que la norfenfluramine est un métabolite mineur du Mediator. «On ne savait pas que le Mediator pouvait avoir des effets néfastes avant les années 2000», a assuré Lucy Vincent. Servier va produire un volumineux dossier, qu’il promet de «rendre le plus clair possible», sur «la nature du médicament et […] son efficacité». Le laboratoire ne s’en cache pas, sa stratégie repose sur un glissement : il s’agit non pas de débattre de la tromperie, où le dossier risque d’être accablant, mais du rapport bénéfices-risques du Mediator. Servier va demander une expertise pharmacologique, voire un supplément d’information permettant au tribunal de diligenter des investigations. Bref, Servier veut lancer un débat scientifique, en insistant sur le caractère «complexe» et «technique» du dossier. Tout l’inverse de la volonté de simplicité des parties civiles, qui accusent Servier de vouloir noyer ce scandale sous une pluie de détails.

Source : Libération

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