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17 mars 2012

Pourquoi Mélenchon fait-il semblant ?




Je suis étonné de la candidature de Mélenchon. Je suis étonné de ce hold up sur le social que tente un ancien lambertiste, donc un liquidateur du Parti communiste français, anti-ouvriériste, et qui semble obtenir quelque réussite sur internet.

Ma première interrogation se porte sur le parcours du personnage : cet ancien sénateur, membre du Parti socialiste pendant plus de 30 ans, a défendu publiquement et ratifié le Traité de Maastricht. Il a ratifié un traité préparant l’instauration de l’euro, et qui institutionnalise au niveau européen la privatisation de la monnaie : ce qui revient à donner les pleins pouvoirs à la saignée des Etats au profit des banques. Un traité que Philippe Seguin qualifiera de « 1789 à l’envers », dans l’une de ses formules profondes et ciselées. Ou comment un candidat qui se dit social, populiste et populaire soutient la contre-révolution européenne...

On ne peut comprendre aussi qu’une personne attachée aux acquis sociaux ait oeuvré au sein du gouvernement qui a aboli la séparation des activités bancaires et mis fin à l’échelle mobile des salaires, qui indexait les rémunérations sur la hausse du coût de la vie : soit le gouvernement « de gauche » sous l’égide de Mitterrand, Bérégovoy (qui ne s’en remit pas) et Delors... Il a d’ailleurs aussi siégé au sein du gouvernement qui a la palme de la privatisation : « Lionel Jospin privatise plus que Alain Juppé » (Le Monde, 07/08/1998).

Une lecture du programme du Front de Gauche permet de mettre à nu de multiples incohérences

Sans même prendre en compte l’absence de chiffrage, le programme du Front de Gauche interloque par une première position : la volonté de conserver l’euro, tout en souhaitant une réforme urgente de la Banque centrale européenne (mais ne fallait-il pas rejeter le Traité de Maastricht qui institutionnalise l’impossibilité pour la BCE de prêter directement aux Etats et qui impose la rigidité monétaire ? (Articles 104, 105, 107 et 111)).

Or la solution proposée par le Front de Gauche, dans le but de sauver la monnaie-dogme (ou monnaie-totem) qu’est devenu l’euro, consiste à monétiser la dette au niveau communautaire : on sait pourtant grâce à Jacques Sapir que cette solution est obsolète, et déjà enterrée... Une solution qui aurait été intelligente il y a an et qui ne vaut plus rien. Le Front de Gauche refuse de voir que l’euro est en « phase terminale ».

La conservation de l’euro pose d’autres problèmes. Comment expliquer que l’extrême gauche souhaite conserver une monnaie dont la conception est due en grande partie à l’European Round Table (ERT), qui réunit les multinationales les plus influentes d’Europe ? En témoigne le discours de Jacques Santer de la Commission européenne, en 1998, où il remercie chaleureusement ses « amis » de l’Union monétaire européenne, un groupe fondé par cinq grandes firmes membres de l’ERT : « Ce soir, je me sens vraiment comme chez moi parmi mes amis. Quand je suis devenu président de la Commission en 1995, l’Association était quasiment le seul oganisme à nous soutenir dans notre ferme conviction que la monnaie unique devient une réalité. C’est donc comme jouer sur son propre terrain ».

Une monnaie unique qui a permis la disparition de 160 000 agences bancaires, donc la concentration maximale du capital dans les mains de quelques groupes bancaires... Mais chut, "le démantèlement de l’euro et le délitement de l’Europe provoqueraient pour les peuples européens des décennies d’appauvrissement", nous martèle Laurence Parisot. Un économiste plus sérieux, Jacques Sapir, quelquefois présenté comme proche du Front de Gauche, écrit lui-même : « Parce qu’il est congruent avec les institutions du néolibéralisme, l’euro concentre donc sur lui la majeure partie des problèmes issus du néolibéralisme. C’est une deuxième réalité qu’ignorent tout autant ceux qui, à gauche, prétendent lutter contre le néolibéralisme mais veulent à tout prix conserver l’euro » (Faut-il sortir de l’euro ?, p182).

La crise de la monnaie unique est aussi l’échec de la centralisation européenne, comme l’ont démontré le même Jacques Sapir et Emmanuel Todd. Or, si l’Union européenne est la tentative de nier la diversité historique des nations européennes en les fondant dans un modèle politique unique, ni nécessaire ni progressiste, l’euro en est le versant monétaire. Un résumé que je ferai par trois citations :

« Le taux d’abstention, massif à l’échelle continentale, évoque l’inexistence d’une conscience collective européenne. L’indifférence des peuples explique, autant que les perspectives sombres de l’économie, la faiblesse de l’euro. Pas de monnaie sans État, pas d’État sans nation, pas de nation sans conscience collective ». (Emmanuel Todd, L’illusion économique, pXII)

« La stabilisation démocratique, l’apaisement n’implique nullement en Europe une convergence intégrale sur un modèle socio-politique unique. » (Emmanuel Todd, Après l’empire, p84)

« Il faut donc admettre que l’Europe, à vingt-cinq ou à vingt-sept, est un monstre institutionnel et un espace traversé de tels antagonismes que les compromis n’y sont plus possibles ». (Jacques Sapir, Le nouveau XXIème siècle, p233)

Aujourd’hui, ce sont au contraire les pays favorisant le plus possible l’autonomie, ou les parcelles les moins interconnectées (les mutuelles), qui résistent le mieux à la crise. Sans parler des pays qui ont conservé leur souplesse monétaire, à commencer par la Chine et son inconvertible yuan. Quant à l’Union européenne, le Front de Gauche admet peut-être timidement qu’il faut une refonte de nombreux aspects des traités européens, mais il n’est jamais fait mention de l’article 50 du Traité de Maastricht (49A du Traité de Lisbonne), qui permet de brandir la menace d’une sortie pure et simple en cas d’échec des négociations : avec Mélenchon au pouvoir, la France connaitrait-elle un destin similaire à la Hongrie de Viktor Orban, sommée de se conformer aux directives européennes ?

Le programme de Mélenchon ne contient pas une seule fois le mot « protectionnisme », comme pour ne pas effrayer le social-démocrate du PS qui pourrait hésiter entre Hollande et Jean-Luc. La timide tentative de protection douanière est tout juste esquissée au niveau européen : une tentative contraire à l’esprit même de la construction européenne, et qui ne tient pas compte non plus la diversité des nations et donc de leurs intérêts. Le protectionnisme européen ne prend pas en compte les besoins de chaque nation : un protectionnisme décidé nationalement permet une variabilité plus grande et plus ciblée des écluses douannières, une meilleure adaptation aux besoins de chaque économie, sans en finir en aucune manière avec la coopération.

Mais Jean-Luc Mélenchon, internationaliste, ne peut rompre avec une construction qui se veut supranationale, étant lui-même mû par une haine du patriotisme chevillée au corps (c’est une constante de son engagement politique, puisqu’il milita très tôt à l’Organisation communiste internationaliste).

Ce refus de la rupture se prolonge dans le refus d’aborder l’immigration sous l’angle du sérieux économique et social : alors que les analyses se multiplient sur le coût de l’immigration (Gourévitch, Laulan, le journal Marianne à travers l’article « Immigration : pourquoi le patronat en veut toujours plus », le récent dossier des Economistes atterrés parus lui aussi dans Marianne), que l’organe de presse de la finance internationale, le Wall Street Journal, loue l’immigration pour son effet « désinflationniste et de modération salariale » (pXII, Heaven’s Door : Immigration policy and American economy, 1999, George Borjas), l’extrême gauche valide une lecture purement émotionnelle, et offre une fois de plus un alibi humaniste et « multikulti » à la droite financière et patronale. Une position de lâcheté qui contraste avec la fermeté historique de la gauche :

« Dans une certaine conjoncture, lorsque nous manquons de main-d’œuvre, c’est tant mieux pour nous si nous pouvons en trouver dans un pays voisin. Mais dans d’autres cas, lorsque nous sommes menacés par le chômage ou lorsqu’il s’en produit dans notre pays, l’afflux de chômeurs venus du dehors et susceptibles, souvent, d’accepter des salaires sensiblement inférieurs à ceux qui sont pratiqués dans notre pays est évidemment de nature à provoquer des contrecoups et des difficultés que nous avons intérêt à éviter. »(Pierre Mendès France, « Marché commun européen », dans Journal officiel de la République française. 19/01/1957, n° 3, p. 159-166).

Ou bien encore : « Il faut résoudre l’important problème posé dans la vie locale française par l’immigration. Se trouvent entassés dans ce qu’il faut bien appeler des ghettos, des travailleurs et des familles aux traditions, aux langues, aux façons de vivre différentes. Cela crée des tensions, et parfois des heurts entre immigrés des divers pays. Cela rend difficiles leurs relations avec les Français. Quand la concentration devient très importante […] la crise du logement s’aggrave ; les HLM font cruellement défaut et de nombreuses familles immigrées, plongées dans la misère, deviennent insupportables pour les budgets des communes. »(George Marchais, Discours de Montigny-les-Cormeilles, 21/02/1981). Sans parler de l’Abbé Pierre, qui souhaitait un contrôle strict de l’immigration, ou de la loi Salengro sur la préférence nationale, votée par une assemblée socialiste...

Le refus également d’aborder frontalement le problème du sous-développement africain, corollaire à la lutte contre l’immigration. Son soutien à la guerre en Libye est éloquent : l’intervention « otanesque » a détruit le pays le plus développé d’Afrique, et l’a soumis à la violence communautaire (lutte tribale au sein même de l’opposition à Kadhafi, résurgence des partisans du défunt « Guide de la révolution », massacre de Noirs par les anti-kadhafi). Mais surtout, cette guerre a mis définitivement fin au projet d’indépendance et d’espérance que Kadhafi voulait pour l’Afrique : la mise en place d’un « dinar-or » ou « dollar africain », qui aurait permis une véritable autonomie de la zone monétaire africaine, un affranchissement de la tutelle du dollar et de l’euro (là encore, la conservation de l’euro apparaît criminelle, tant la monnaie européenne a détruit une zone franc CFA qui lui est arrimée).

En réalité, les contours de sa politique étrangère semblent flous. Quand Mélenchon fustige l’ingérence en Côte d’Ivoire, on ne peut qu’applaudir (même s’il a participé à un gouvernement qui s’est bien nourri sur la Françafrique, en soutenant des régimes brutaux et corrompus). Mais on ne peut tenir un discours que l’on délégitime de l’autre côté, en demandant une « ingérence humanitaire » en Libye, sur la base de fausses allégations (aucune preuve de massacres n’a pu être officiellement apportée). Mélenchon a en effet déclaré : « Kadhafi tire sur sa population. Au nom du devoir de protéger, l’ONU demande d’intervenir ». Il est vrai que l’ONU valide toutes les barbaries occidentales, mais enjolivées sous le vernis humanitaire : embargo en Irak (plus d’un million de morts), intervention en ex-Yougoslavie (là encore, BHL), lutte contre le terrorisme et pour le droit des femmes en Afghanistan...

J’ai bien un début de réponse : la communauté libyenne ne pèse pas beaucoup de voix en France... au contraire des pro-Gbagbo.

Je ne comprends pas bien non plus comment Mélenchon peut parler (à juste titre) de « paranoia » des USA, quand lui-même valide une guerre impérialiste où la France sous-traite pour Obama... Si les Etats-Unis sont paranoïaques, Mélenchon est schizophrénique.

Le programme du Front de Gauche contient quelques mesures salutaires, mais isolées, et ne propose en réalité aucune rupture. La proposition d’une différence maximale de 1 à 20 dans les salaires au sein des entreprises est certes morale, mais elle est demeure symbolique : ce n’est pas une telle mesure qui donnera de l’emploi ou créera de la richesse (et quid des dirigeants de multinationales se versant zéro euro de salaire, mais qui s’engraissent avec des actifs hors bilan ?).

L’augmentation du SMIC à 1700 euros, sans autre forme de procès (quid de l’augmentation des salaires par la mise en place du protectionnisme ?), aurait pour effet immédiat la décapitation des PME, notamment celles dont les soldes sont à peine positifs, voire quasiment nuls. On pourrait gloser sur un utopique SMIC européen, en gardant bien à l’esprit l’avertissement de Jacques Sapir : « Si l’Europe doit se faire, ce sera hélas ! sur la base du moins offrant et du moins coûtant ! Vouloir aujourd’hui prétendre le contraire relève soit de l’aveuglement le plus total, soit de l’imposture la plus complète » (Faut-il sortir de l’euro, p122).

Tout le reste de son travail idéologique consiste à relayer les poncifs éculés sur une « extrême droite » inexistante en France (si ce n’est quelques groupuscules, comme le Parti de la France) : à propager le mensonge d’un FN « arme » du patronat, quand Laurence Parisot consacre son énergie à écrire un livre à charge sur Marine Le Pen...

Le Front de Gauche rejoint d’ailleurs l’autre grande préoccupation de Madame Parisot : « Rester un pays ouvert est une nécessité. Nous sommes pour l’immigration en général car elle est source de richesses et d’ouverture. » Le Front de Gauche, idiot utile ou troupe de choc du MEDEF ?

Le Front de Gauche entretient également la fable du syndicalisme français, au moment où il apparaît très clairement que les directions syndicales (de la CGT et surtout de la CFDT) ont trahi toutes les revendications de la base, et se complaisent dans une évidente collusion avec le milieu du grand patronat (Nicole Notat, de la CFDT, est devenue la présidente du club Le Siècle où se réunissent grands responsables politiques de la gauche et de la droite, décideurs du monde financier et économique, et journalistes et éditorialistes influents ; François Chérèque, de la CFDT, l’homme de toutes les compromissions qui flanche généralement le premier lors des « négociations » ; la dérive de la CGT et de son représentant Bernard Thibault, particulièrement depuis l’entrée de la CGT dans la Confédération européenne des syndicats (CES), une création de l’Union européenne chargée de noyauter le syndicalisme de lutte ; enfin, le faible nombre de syndiqués, 1,7 millions de salariés sur 22,5 millions, qui démontre les dérives et le manque de représentativité du monde syndical). Reconnaître que le syndicalisme français lutte toujours pour le bien-être du travailleur, revient à considérer Libération, propriété du banquier Edouard de Rothschild, comme un journal éternellement à gauche... La mollesse de la CGT avait déjà été pointée du doigt par le « Conti » Xavier Mathieu ou Roger Silvain, syndicaliste de la première heure.

Cette étrange attitude est aussi perceptible chez Jean-Luc Mélenchon lui-même. Dans le film de Pierre Carles Fin de concession, le journaliste indépendant et subversif lui parle du club le Siècle. Mélenchon, socialiste pendant plus de trente ans, feint de ne pas connaître cette association, à laquelle participent pourtant les grandes pontes du PS (Martine Aubry, François Hollande, Pierre Moscovici, Manuel Valls ou encore Dominique Strauss-Kahn).

Plus tard, Mélenchon consacrera une petite partie de discours à la critique du club Le Siècle. On ne peut que se féliciter du changement de ton de l’homme politique. Mais comment peut-il critiquer une organisation opaque, qui fonctionne par cooptation et qui influence la vie politique française sans que les citoyens en soient informés, alors que lui-même appartient au Grand Orient de France, soit l’exacte réplique de l’association précédemment citée ?

Ajoutons à cela une critique bon teint du candidat de la Banque François Hollande, qui a récemment réaffirmé sa soumission (déclarations au Guardian visant à rassurer la City, et où il rappelle le rôle factuel de la gauche : la financiarisation et la privatisation comme jamais).

Mais une critique qui restera sans effet : le ralliement au candidat du PS au second tour, au nom d’une « union de la gauche » virtuelle (entre l’UMP et le PS, il n’y a pourtant qu’une différence de degré, et entre le FDG et le PS, une différence de nature), et les négociations locales déjà à l’oeuvre entre le PS et le Front de Gauche condamnent ces prises de position à rester sans effet.

Mourir pour des idées d’accord, mais de mort lente...


Source : agoravox.fr

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