Le paysage maçonnique français présente l’image d’une Fraternité éclatée selon les eux, d’une palette aux multiples possibles selon d’autres. Quelques dix Obédiences en activité – une exception, dont une féminine – ce qui est rare. Trois d’entre- elles occupent le haut du pavé : le Grand Orient de France (GO), la Grande Loge Nationale Française (GLNF) et la Grande Loge de France (GLDF). Celle-ci peut se targuer d’un droit d’ancienneté : 1737, soit 20 ans après la création de la Grande Loge de Londres – 24 juin 1717 – considérée comme le point de départ de la franc-maçonnerie spéculative. Le Grand-Maître de la GLDF, Alain Noël Dubart, était ces jours-ci en Israël. L’occasion de faire le point sur la société des maçons qui attire, intrigue, fait jaser, médire et le bonheur récurrent des médias en mal de grosses manchettes, surtout dans la période creuse de l’été… Peut-être parce que l’on croît, qu’on la veut secrète, alors qu’elle n’est que discrète…
Mati Ben-Avraham : Que représente la GLDF, en chiffres, dans le paysage maçonnique français :
Alain-Noël Dubart : La GLDF est, aujourd’hui, forte de 850 Loges, 860 bientôt, et de 31000 frères réguliers, à jour donc de leurs cotisations, et de 2000 frères affiliés.
MBA : Et au plan économique, que pèse-t-elle ?
Alain-Noël Dubart : En chiffres d’affaires ? Et bien environ 9 millions d’euros par an. Une grande partie de ce chiffre sert, à la manière des autres Obédiences, à réaliser des investissements immobiliers. Nous avons besoin d’immeubles, pour édifier des temples, et permettre aux frères de se réunir. Sur le territoire hexagonal, la GLDF dispose de 78 sites. Bien souvent ces sites ne comportent qu’un seul Temple, ou deux. Il en va différemment dans les grandes villes de France. A Paris, le siège comporte 15 temples de travail habituel, plus deux à caractère plus prestigieux, à Lille nous avons sept temples, Lyon six, ainsi qu’à Marseille où nous projetons de construire deux autres temples dans les années à venir.
MBA : Réservés exclusivement aux membres de la GLDF, ou ouverts à d’autres Obédiences pour, dirais-je, rentabiliser le site, assurer au mieux sa maintenance ?
Alain-Noël Dubart : Hormis Puteaux à Paris où se trouve le siège de la GLDF, tous les autres sites sont ouverts à toutes les Obédiences, dans la mesure où, disons, elles ont pignon sur rue. Je veux dire par là qu’elles pratiquent une maçonnerie traditionnelle, reconnue. Il est, en effet, des petites Obédiences, qui pratiquent une maçonnerie plutôt curieuse, et que nous préférons ne pas héberger chez nous. Globalement, c’est une pratique qui repose sur la réciprocité, comme avec le GO par exemple qui possède le plus grand patrimoine immobilier de France, ce qui permet aux uns et aux autres de ne pas grever inconsidérablement leurs budgets respectifs. L’essentiel des Loges hébergées sont du GO, du Droit Humain de la Grande Loge Féminine de France, de la Grande Traditionnelle et Symbolique Opéra.
MBA : Vous voici en Israël. Vous vous êtes, entre autres, exprimé devant un large public, de francs-maçons et de « profanes », à l’Institut Français de Tel-Aviv. Vous avez choisi de traiter de : » La Grande Loge de France, une démarche initiatique entre éthique, humanisme et spiritualité. » C’est-à-dire ?
Alain-Noël Dubart : La démarche maçonnique est d’abord une réflexion sur l’homme en tant que tel, individuellement ; ensuite sur ce qu’est l’homme dans son contexte social, dans ses rapports avec les autres ; une réflexion enfin qui vise à définir ce que l’on peut faire dans la société. C’est une reconnaissance de l’altérité de l’autre, du fait que le voisin, celui est en face, qui est à côté, a une conscience équivalente à la nôtre. Et la reconnaissance de cette conscience – qui passe par celle du visage comme le disait Levinas – pose alors la question du rapport entre le Je et le Tu, entre le Je, le Tu et le Il, au pluriel, et partant, de la dimension du travail ensemble qui s’effectue. Donc une recherche sur ce que peut relier les hommes, et ce qui peur relier les hommes c’est forcément une loi morale. Je n’invente rien : le Deutéronome est passé par là, et d’autres bien avant nous, quelque part nous nous situons dans cette démarche-là : comment instituer une réflexion éthique pour que les rapports entre les hommes soient ce qu’ils doivent être. C’est un cheminement initiatique, spirituelle pas forcément au sens religieux du terme, qui peut prendre quelques années, au terme des quelles le maçon abordera la société avec l’éclairage des trois grandes Lumières – je ne livre aucun secret – qui sont la loi morale et les principes de justice et d’équité. A partir de là, on peut concevoir que la démarche maçonnique, dans la Loge bien sûr, doit être éclairée par ces trois grandes Lumières, mais qu’à l’extérieur, elle nécessite pour chacun d’entre-nous, dans son action quotidienne, de se poser la question de savoir si cette action, qu’elle soit sociale, politique ou professionnelle, est bien conforme à la tradition, qui est une tradition de libération de l’homme. Et changer ce que l’on fait si la réponse ne répond pas à la loi morale et aux principes de justice et d’équité.
MBA : J’entends bien, mais quel accueil la société actuelle dite moderne, en France ou ailleurs et même ici, réserve-t-elle à un cheminement de cet ordre ?
Alain-Noël Dubart : Il était reçu dans la société judéo-chrétienne initiale, avant l’émergence de la franc-maçonnerie. Il était reçu parce que le propre du religieux est de délivrer un message éthique, d’amour, de respect de l’autre. La franc-maçonnerie, sur cet aspect, a repris un peu l’essentiel du message judéo-chrétien, du message de la philosophie grecque, de la démarche de la raison. Est-ce que c’est reçu de manière parfaite dans le monde moderne ? Peut-être pas. Mais peut-être parce qu’il n’est plus imbriqué dans un cadre religieux qui le comprenne. Beaucoup de religions se sont sclérosées parce qu’elles ont gardé le cadre, mais non la compréhension du message. La démarche maçonnique vient apporter un éclairage différent, hors du cadre religieux, mais qui utilise parfois des valeurs religieuses pour certains, laïques pour un nombre d’entre-nous, et ces valeurs de justice, d’équité sont des valeurs universelles, que tout un chacun peut comprendre quelque soit sa religion ou sa philosophie.
MBA : Une démarche qui vous place hors de la Cité, à l’imitation de la maçonnerie anglo-saxonne, ou vous rapproche de celle du Grand-Orient de France ?
Alain-Noël Dubart : La GLDF participe de la Cité, mais ne s’y implique pas d’une manière directe. Le GO, et sans entrer dans des comparaisons schématiques, s’est voulue moins symbolique et plus humaniste. Une vision donc d’engagement collectif dans la Cité plus importante que la nôtre. La GLDF ne voit pas le problème de cette manière-là. Disons que nous sommes une école mutuelle, où l’on apprend les uns les autres, mais où l’on apprend aussi les uns avec les autres pour se forger sa propre opinion et travailler ensuite tout seul dans la Cité. Disons que c’est une démarche qui tend à l’autonomie de l’être dans la Cité. La GLDF ne cherche pas à avoir une action politique collective. Par contre, elle vise à former des francs-maçons qui à titre individuel, éclairés par l’enseignement maçonnique, par les trois grandes Lumières, vont agir dans la Cité. A mon sens, il est même impératif que la réflexion initiatique, après quelques années pour la saisir, pour bien la maitriser, pour posséder une vision d’ensemble des outils qui sont fournis pour travailler, il est impératif à mes yeux que cette réflexion débouche pour chacun d’entre-nous sur une action dans la Cité, sociale, politique, professionnelle, syndicale. J’imagine mal un maçon de la GLDF qui ne l’est que deux fois par mois pour la Tenue et qui, rentré chez lui ferme son attaché-case pur ne le rouvrir que 15 jours après. Un maçon, c’est être moine dans la Loge, mais vivant, actif dans la Cité le lendemain.
MBA : Pour la GLDF, Israël, c’est un retour en ce qu’elle avait créé une Loge en Palestine mandataire, au début des années vingt du siècle dernier (1)?
Alain-Noël Dubart : Il est vrai que le GLDF a renouvelé sa présence, en Israël cette fois-ci. C’est récent, dirais-je, en s’appuyant sur des frères francophones qui ont fait leur alyah en Israël et qui ont souhaité poursuivre leur cheminement maçonnique. La première Loge s’est appelée « Beréshit » bien sûr, de manière tout-à-fait naturelle. Elle a été suivie, en effet, par Hermon, qui a repris le nom de cette Loge que vous avez mentionnée, avec une nouvelle numérotation car la tradition à la GLDF veut que l’on ne reprenne plus le numéro d’une Loge quand aucun de ses membres n’est encore de ce monde. L’une travaille à Jérusalem, l’autre dans la périphérie de Tel-Aviv, à Kfar-Saba. Elles ont vocation à se développer progressivement, en pratiquant le même Rite que celui des Loges dans l’hexagone. Disons qu’elles sont les ambassadrices, ou représentantes en Israël, de notre manière de percevoir la franc-maçonnerie.
MBA : On peut quand même se poser la question de l’avenir de ces Loges, dans la mesure où elles sont isolées, dans un univers maçonnique israélien, dominé par la Grande Loge de l’Etat d’Israël, qui n’entretient pas des relations d’amitiés fraternelles avec votre Grande Loge ?
Alain-Noël Dubart : Vous faires référence à des évènements historiques qui se sont produits en France dans la deuxième moitié du 19ème siècle, qui a vu la rupture entre les Obédiences française et anglo-saxonnes. Une situation que nous regrettons profondément car la GLDF est parfaitement régulière, qui répond aux critères fixés par la Grande Loge Unie d’Angleterre. Nous travaillons à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers, avec la Bible ouverte sur l’autel des serments, au Rite écossais ancien et accepté qui est le plus répandu au monde. Il faut espérer que, sur le moyen terme, ces rapports redeviendront ce qu’ils n’auraient jamais du cesser d’être, que la régularité de la GLDF sera admise par tous, comme nous reconnaissons la régularité des autres Obédiences. Ce qui permettra aux frères de nos deux Grandes Loges, en Israël, de communiquer entre eux.
(1) La Loge Hermon de la GLDF a été la 3ème Loge française en Terre sainte, puis sous le mandat britannique. Elle a été précédée par Barkai (1906) et Moria (1913), du GO.
Source: IsraelValley.com
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