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30 nov. 2011

Le grand malaise des précaires de l'éducation

D'ordinaire, ils se font plutôt discrets, les "précaires" de l'éducation nationale. Avec le chômage comme épée de Damoclès, "le moindre faux pas, et c'est la porte", disent-ils. Mais comme si la coupe était pleine, ils ont décidé de témoigner à travers le "Livre noir des non-titulaires de l'éducation nationale" . Quarante pages qui lèvent le voile sur des situations kafkaïennes.

A l'origine, une poignée d'enseignants contractuels qui se sont rencontrés sur le forum Internet "Profs précaires". A l'approche de l'examen par le Parlement, en décembre, du projet de loi sur la résorption de l'emploi précaire dans la fonction publique, ils ont rassemblé une centaine de témoignages et les ont envoyés aux parlementaires, ainsi qu'au ministre de l'éducation nationale, Luc Chatel. "L'objectif est d'être visible, dit l'un d'eux. Nos problèmes pris isolément peuvent sembler anodins, mais, rassemblés, ils donnent une vue d'ensemble sur quelque chose de grave." Trois députés ont assuré qu'ils se feraient l'écho de ces revendications. M. Chatel ne leur a pas répondu.


Dans le livre, ils se disent "bouche-trous", "enseignants de seconde zone" et"prisonniers d'un statut". Ils seraient 21 200 contractuels, selon le ministère de l'éducation : 15 000 à durée déterminée (CDD), 5 200 à durée indéterminée (CDI), et près de 1 000 vacataires (un contrat qui porte sur un maximum de 200 heures par an). Leur nombre augmente depuis 2007. "Une augmentation légère", selon Josette Théophile, la DRH du ministère. "Une explosion de 25 %", réplique le SNES-FSU, principal syndicat des enseignants du secondaire.

Depuis 2007, 66 000 postes de fonctionnaires ont été supprimés dans l'éducation nationale. Pour compenser, l'administration a recruté des contractuels. Luc Chatel l'assume et le revendique. En mars 2010, il demandait aux recteurs de se doter d'un "vivier" de contractuels, composé de retraités et d'étudiants, pour "subvenir à des besoins urgents de remplacement". Depuis, "les chefs d'établissement vont parfois directement chercher leurs remplaçants chez Pôle emploi", rapporte Philippe Tournier, secrétaire général du SNPDEN-UNSA, le principal syndicat des chefs d'établissement.

Problème : dans l'éducation nationale, quand la précarité s'installe, elle s'installe durablement... "Je suis un pion, envoyé d'établissement en établissement depuis 1999 !" Michael Médiouni est professeur de français dans l'académie de Grenoble. Son CV est une longue liste de vacations, de CDD à mi-temps, à temps plein... Trente contrats au total, en passant par la case chômage. "Le plus dur, c'est ce stress, chaque été, de ne pas savoir si le rectorat va nous proposer un nouveau contrat à la rentrée et où il va nous affecter."

Dans l'éducation nationale, les périodes de CDD sont limitées à six ans "sans interruption", contre dix-huit mois dans le secteur privé. Après quoi on peut en principe bénéficier d'un CDI. "Mais les rectorats savent s'arranger pour ne pas reconduire un salarié à l'issue de sa sixième année", rapporte Angélina Bled, du syndicat SE-UNSA. Ou bien justifier d'interruptions entre deux contrats pour"remettre les compteurs à zéro".

Le plan de titularisation que prépare le gouvernement devrait permettre à quelque 500 enseignants d'obtenir un CDI, et à 10 000 autres de passer un examen pour être titularisés. Mais, selon le conseiller d'Etat Marcel Pochard, il s'agit d'un "plâtre sur une jambe de bois". "La résorption de l'emploi précaire est un serpent de mer de la fonction publique", explique l'ancien directeur général de l'administration et de la fonction publique. Le premier plan de résorption de la précarité date de 1950. Puis il y eut la loi Le Pors en 1983, la loi Perben en 1996, le plan Sapin en 2000..."On passe l'éponge régulièrement, mais les contractuels constituent un vivier qui ne peut pas ne pas se reconstituer", rappelle M. Pochard.

En cause, la "dimension de masse de l'éducation nationale, combinée à sa complexité", soutient l'inspecteur général Didier Bargas : 860 000 enseignants, 65 000 établissements, 12 millions d'élèves, 35 disciplines au collège et au lycée et 360 dans l'enseignement professionnel... "La machine ne peut être d'une précision telle qu'il y ait, partout, à chaque rentrée, l'enseignant dont on a besoin", conclut M. Pochard. Ceux qui dénoncent l'inefficacité des plans de titularisation préconisent une meilleure gestion des personnels, plus humaine, plus souple. "L'Etat, mauvais employeur", la formule est bien connue. "L'administration fonctionne de manière mécanique, elle gère de manière impersonnelle des carrières, des statuts", analyseLuc Rouban, sociologue et directeur de recherches au CNRS.

Le "Livre noir" regorge d'exemples. Rectorats injoignables, délais de paiement interminables, contrats qui arrivent à terme une veille de vacances pour reprendre le jour de la rentrée, affectations improbables... "Il y a deux ans, on m'a affecté à 170 kilomètres de chez moi. L'an dernier, j'avais 120 kilomètres par jour. Et, bien sûr, le rectorat ne rembourse pas l'essence", témoigne M. Médiouni. Un professeur de philosophie s'est "tapé la tête contre les murs" lorsqu'il a appris son affectation à une heure de route de sa ville, alors qu'"un poste en philo était vacant dans le lycée à côté de chez (lui) ".

Côté salaire, "on est au ras des pâquerettes, le plus souvent entre 1 200 et 1 400 euros net, même après dix ans", rapporte Vincent Lombard, du SNES-FSU. Quant aux indemnités chômage, c'est une "usine à gaz", poursuit-il : "Comme Pôle emploi n'indemnise pas les contractuels du public, il renvoie la demande au rectorat. Le temps que la machine se mette en route, il faut attendre deux mois avant de toucher ses indemnités."

Seule solution : passer le concours interne, dont le nombre de postes offerts, ces dernières années, s'est réduit. Tout comme l'espoir des contractuels d'être un jour considérés comme de "vrais profs".




Le Monde
| 25.11.11 | 14h12 • Mis à jour le 26.11.11 | 13h51

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