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10 févr. 2013

Assassinat de Chokri Belaïd, la Tunisie est-elle au bord d’une nouvelle révolution ?

Chokri Belaïd, un des leaders historiques de l’opposition tunisienne, a été tué par balles. Ses proches accusent les islamistes au pouvoir du crime, alors que le Premier ministre a dénoncé « un acte de terrorisme ». Les Tunisiens sont dans la rue, le pays au bord du chaos. Un appel à la grève générale a été lancé.

La Tunisie est sous le choc après le premier assassinat politique de son Histoire. Des manifestants ont saccagé les locaux du parti islamiste tunisien au pouvoir Ennahda à Mezzouna près de Sidi Bouzid et à Gafsa pour dénoncer le meurtre de l’opposant Chokri Belaïd, un opposant de gauche historique au régime de Ben Ali et aux forces islamistes.


Des manifestations se déroulent par ailleurs dans plusieurs villes. A Sidi Bouzid, Kasserine, Béja, Bizerte et Tunis des foules manifestaient leur colère dans les rues pour dénoncer le meurtre de Chokri Belaïd et le parti islamiste qui dirige le gouvernement.

Le président tunisien Moncef Marzouki a de son côté annulé sa participation au sommet de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) au Caire pour rentrer d’urgence à Tunis.

Appel à la grève générale

Quatre formations de l’opposition tunisienne -le Front populaire (gauche), le Parti républicain, Al-Massar et Nidaa Tounes (centre) – ont lancé mercredi un appel à la grève générale jeudi et décidé de suspendre leur participation à l’Assemblée nationale constituante (ANC). Ces décisions ont été adoptées à l’issue d’une réunion entre ces formations politiques.

Ces partis, qui ont créé un comité de coordination ouvert à d’autres formations, ont appelé à la grève générale pour le jour des obsèques de l’opposant, prévues a priori jeudi, et exigé le départ du ministre de l’Intérieur, Ali Larayedh, membre du parti islamiste Ennahda qui dirige le gouvernement.
« Nous demandons le départ du ministre de l’Intérieur et la dissolution des Ligues de protection de la révolution (milice pro-pouvoir, NDLR)comme mesures immédiates », a ajouté M. Chebbi. « Le ministre de l’Intérieur assume personnellement la responsabilité de l’assassinat de Chokri Belaïd, car il le savait menacé et n’a rien fait », a-t-il accusé.

« Mon frère a été assassiné »

« Mon frère a été assassiné, je suis plus que désespéré », a indiqué le frère du défunt, Abdelmajid Belaïd.

Selon l’épouse de l’opposant et secrétaire général du parti des Patriotes démocrates, s’exprimant sur la radio Mosaïque, il a été touché par plusieurs balles alors qu’il sortait de chez lui.

Son frère a immédiatement accusé le parti islamiste Ennahda, qui dirige le gouvernement tunisien, d’être responsable du meurtre.

« J’accuse (le chef d’Ennhada) Rached Ghannouchi d’avoir fait assassiner mon frère ».

Chokri Belaïd, 48 ans, critique acerbe du gouvernement actuel, avait rejoint cette année une coalition de partis de gauche, le Front populaire, qui se pose en alternative au pouvoir en place.

Trois balles dans la tête

Selon M. Jebali, Belaïd a été tué de trois balles tirées à bout portant par un homme portant un vêtement de type burnous, sorte de long manteau traditionnel en laine avec une capuche pointue.

Ennahda a de son côté dénoncé « un crime odieux visant à déstabiliser le pays ».

Devant l’hôpital du quartier Ennasr de Tunis, où la dépouille de Belaïd se trouve, une foule s’est aussi réunie hurlant sa colère et accusant Ennahda scandant : « Le peuple veut une nouvelle révolution ».

« Ghannouchi sale chien », criait notamment le père de la victime, en larmes.

Hamma Hammami, le chef du Front populaire et proche de Belaïd, a dénoncé un « crime politique » : « Il a été commis par des partis politiques qui veulent enfoncer le pays dans le meurtre et l’anarchie. Tout le gouvernement, et tout le pouvoir assument la responsabilité de ce crime odieux car les menaces contre Chokri et d’autres ne datent pas d’aujourd’hui ».


« Le peuple veut la chute du régime ! », « Le peuple veut une révolution de nouveau », « Ennahda tortionnaire du peuple », ont scandé les manifestants, alors que certains attaquaient la police avec des pierres.



Qui était Chokri Belaïd? Chokri Belaïd était un farouche opposant aux islamistes au pouvoir et un militant de tendance marxiste et panarabe, qui a été propulsé par les médias au-devant de la scène politique depuis la révolution de 2011. Coordinateur général du Parti des Patriotes démocrates (PPD, légalisé en mars 2011), ce tribun à la voix rugueuse et au franc-parler a souvent défié de front les islamistes du parti Ennahda, s’attaquant directement à son chef Rached Ghannouchi.

Grosse moustache noire et sourire en coin, il était devenu une figure fort médiatisée de l’alliance de mouvements de gauche (Front populaire) qu’il a constituée en octobre 2012 avec une dizaine de groupuscules d’extrême gauche et nationalistes arabes. Le poids politique de ce Front, qui se pose en alternative au gouvernement et aux opposants de centre-droit réunis autour de l’ex-Premier ministre Beji Caïd Essebsi, reste difficile à estimer faute de sondages crédibles. Le PPD dispose d’un siège unique à l’Assemblée nationale constituante élue en 2011.

Né le 26 novembre 1964 à Djebel Jelloud, banlieue au sud de Tunis, Chokri Belaïd était un avocat défenseur des droits de l’Homme et avait souvent plaidé dans les procès politiques sous le régime déchu de Zine Al Abidine Ben Ali. L’avocat a connu la prison sous les régimes de Ben Ali et Habib Bourguiba. Il a aussi fait partie d’un collectif de défense de l’ancien président irakien Saddam Hussein et était actif dans le comité de lutte contre la normalisation avec Israël.

Belaïd, dont le mouvement recrute surtout à l’université où en tant qu’étudiant il affrontait déjà le courant islamiste, a siégé dans la « Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique » qui a canalisé le débat national jusqu’aux premières élections libres post-révolution. Un brin populiste, il a conservé l’accent prononcé des paysans du nord-ouest d’où est issue sa famille et a été proche de la classe ouvrière.

Il a pris la tête des manifestations sociales en novembre à Siliana (centre-ouest) s’attirant les critiques du ministre de l’Intérieur Ali Larayedh qui l’a accusé de manipuler les foules pour fomenter des troubles. Le 2 février, Belaïd a accusé « des mercenaires » d’Ennahda d’avoir attaqué un rassemblement de ses partisans. Et la veille de sa mort, il a dénoncé des « tentatives de démantèlement de l’Etat et de création de milices pour terroriser les citoyens et entraîner le pays dans une spirale de violence ».

Un contexte d’instabilité croissante en Tunisie

La Tunisie a vu se multiplier les violences sociales et politiques ces derniers mois. Le pays est au bord du chaos, mêlant crise économique, politique et sociale. Les caisses sont vides, le parti Ennahda ne parvient pas à s’entendre avec les autres partis da la coalition au pouvoir et a des difficultés à maintenir les forces salafistes silencieuses.

Plusieurs partis d’opposition et des syndicalistes ont accusé des milices pro-islamistes, la Ligue de protection de la révolution, d’orchestrer des heurts ou des attaques contre les opposants ou leurs bureaux.

Les partisans de ce mouvement sont accusés notamment d’avoir tué en octobre un dirigeant régional du parti d’opposition Nidaa Tounès à Tataouine.

Par ailleurs, la Tunisie est plongée dans une impasse politique, faute d’un compromis sur la future Constitution qui bloque l’organisation de nouvelles élections.

Enfin, la coalition au pouvoir dominée par Ennahda traverse une grave crise, ses deux alliés de centre-gauche Ettakatol et le Congrès pour la République, réclamant un remaniement d’ampleur du gouvernement pour retirer aux islamistes des ministères régaliens.

Ce meurtre est largement commenté au delà de la Tunisie. Des Algériens, si éprouvés par l’intégrisme, et auxquels, naguère, pendant la décennie sanglante, Chokri Belaid avait apporté son soutien, sont bouleversés. L’universitaire Sanhadja Akrouf avoue sa douleur : « Ce meurtre me replonge dans tout ce que nous avons vécu. En Algérie aussi, les intégristes ont commencé par tuer froidement la fine fleur de la société civile et de ceux qui représentaient une alternative politique. C’est l’ouverture d’un processus de violences terrible pour la Tunisie… » L’historien Benjamin Stora confirme : « Chokri Belaid, un ami, était un dirigeant politique démocrate de premier plan. Je redoute une spirale de la terreur… »

Mais l’affaire est plus complexe. En réalité on connaît par cœur la stratégie islamiste. D’un côté les bons réprouvent en paroles fleuries une violence qu’ils laissent, de l’autre côté, les mauvais utiliser dans l’ombre. C’est, depuis plus d’un an, la réalité quotidienne que doivent affronter les Tunisiens. Qui viole, attaque au sabre, brûle les mausolées des saints du beau pays du jasmin ? Personne ! Qui a arrêté le chef djihadiste Abou Iyad, maitre d’œuvre de l’attaque contre l’ambassade américaine en septembre 2012 ? Personne !

Tous les auteurs des violences, des incendies, des agressions, tous ceux qui veulent détruire la Tunisie s’évanouissent dans la nuit. Seuls restent les cendres et le sang. Le sang de Chokri Belaid qui signe une nouvelle fois la métamorphose de la révolution tunisienne en tragédie.

Source : Les Moutons Enragés. 

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