Quand les alliés occidentaux avaient demandé à Ankara d'engager l'opération terrestre contre les détachements de l'Etat islamique, la Turquie s'est trouvée dans une situation délicate. Les djihadistes du « califat » donnent l'assaut à la ville syrienne de Kobané et Ankara ne veut pas porter secours à ses défenseurs. Pourquoi ?
Kobané n'est pas une simple ville provinciale syrienne à la frontière turque. Elle abrite le QG du Comité supérieur des Kurdes (DBK), le « gouvernement provisoire » des Kurdes de Syrie. Celui-ci réunit les représentants des deux organisations majeures : le Conseil national kurde (KNS) et le Parti de l'union démocratique (PYD), les deux se prononçant pour une autonomie kurde en Syrie. Le KNS est un partisan farouche du renversement du régime de Bachar al-Assad, tandis que le PYD a reçu, selon les experts, l'aval de ce dernier pour créer cette autonomie dans le nord-est du pays. Les dirigeants du PYD le nient et déclarent que leur parti est une « troisième force » indépendante. Mais cela ne change pas la situation. Les forces armées du PYD, les Unités de protection du peuple kurde (YPG), combattent dans « leurs » régions non seulement les djihadistes, mais aussi les unités de l'Armée syrienne libre.
Un autre problème tient au fait que la Turquie considère le PYD comme filiale syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) interdit pour séparatisme. Dans sa récente intervention le président de Turquie Recep Tayyip Erdogan a déclaré ouvertement : « Pour nous le PKK est la même chose que l'EIIL ».
La même attitude concerne naturellement le PYD. Pendant de longues années les services secrets turcs ont fait feu de tout bois pour éliminer les partisans de la gauche de l'avant-garde du mouvement de libération nationale kurde en Syrie. Il a été signalé dans une déclaration du PYD à la fin de 2013, qu'outre des actions subversives indirectes, ces services avaient organisé plusieurs attaques contre les unités YPG en recourant à l'aide des « mercenaires » appartenant à d'autres partis kurdes.
Un conflit a éclaté à Kobané entre le KNC et le PYD juste au moment de l'offensive de l'EI contre la ville. Selon les dirigeants du KNC, le commandement des YPG a rejeté la proposition d'aide militaire de la part de leurs détachements. Pourtant selon le PYD, les alliés ont refusé eux-mêmes d'aider les défenseurs de la ville. La deuxième version est plus véridique. Le chef de file du Kurdistan irakien Massoud Barzani a joué un rôle actif dans la création du Conseil national kurde. Il ne partage pas les idées du PYD et souhaite placer sous son influence ses compatriotes syriens, tout en maintenant de bonnes relations avec la Turquie. Pendant le siège de Kobané il a plusieurs fois déclaré suivre de près la situation et a demandé d'aider les formations kurdes. Il paraît que de nombreux problèmes avec la Turquie disparaîtront si la place du PYD et de son dirigeant indépendant Saleh Muslim est occupé en Syrie-Kurdistan de l'Ouest par un allié fidèle du Conseil national kurde.
Entre-temps, les alliés du PYD quittent Kobané et les négociations de Saleh Muslim à Ankara se sont soldées par un échec. Le politique s'oppose à l'introduction des troupes turques et à la coopération avec l'Armée syrienne libre. La partie turque n'a pas accepté sa propostion d'ouvrir un poste de passage sur la frontière pour que les YPG puissent bénéficier d'une aide humanitaire et militaire.
La police turque arrête des dizaines de combattants des YPD qui tentent de franchir la frontière et le commandement militaire déclare qu'il ne laissera pas entrer en Turquie les « combattants des YPG » si Kobané tombe. Le peuple est indigné. Il paraît que le nombre de victimes pendant les heurts en Turquie a déjà dépassé celui des défenseurs tués de Kobané.
Il est peu probable que les chars turcs franchissent la frontière. Le commandement des forces du « califat » a bien choisi la cible. A Kobané les djihadistes seront en sécurité : beaucoup trouvent qu'ici ils sont utiles. Une nouvelle « théorie de conspiration » ? Peut-être oui. Et peut-être non.
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