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2 avr. 2014

Economie : pourquoi la « politique de l’offre » de François Hollande est une stupidité sans nom

On trouve dans les déclarations de François Hollande deux convictions liées. La première est assez banale : sans une croissance (suffisamment) forte, on ne peut (presque) rien faire et en particulier rien dans « le social ». La seconde semble plus récente chez lui, bien qu’elle renvoie à une tradition classique et libérale du début du 19ème siècle, celle de Jean-Baptiste Say (1803) : c’est l’offre qu’il faut privilégier.

C’est que qu’énonce la fameuse « Loi de Say », résumée ainsi par Keynes : l’offre crée sa propre demande. Booster l’offre, ce serait booster la demande et la croissance. Et comment booster l’offre dans le contexte actuel (si l’on exclut le recours à l’investissement public comme levier majeur, pourtant très efficace à d’autres époques, surtout en cas de fort chômage) ? Par des cadeaux massifs aux entreprises, leur permettant (toujours dans cette logique) de réduire leurs coûts, donc de produire plus et moins cher, d’être plus compétitives, d’où la relance espérée. Cela n’a pas marché dans les crises passées, cela ne marchera pas demain car, selon les séries de l’INSEE (graphique à la fin), l’immense majorité des entreprises déclare des « difficultés de demande ».

LA LOI DE LA CROISSANCE COMME PREALABLE A TOUT

Citons le Président, d’abord sur le premier thème.

Campagne présidentielle, mars/avril 2012 : « Sans croissance, pas de redressement économique, pas de création d’emploi… Ensuite, deuxième temps du quinquennat, QUAND NOUS AURONS RETROUVE LA CROISSANCE, REDRESSE NOTRE PAYS, REDRESSE SES FINANCES, REDRESSE SON INDUSTRIE, ALORS NOUS POURRONS ALLER PLUS LOIN DANS LA REDISTRIBUTION ».

Bruxelles, 23 juin 2012 : « Nous avons une obligation, qui est de relever très rapidement les taux de croissance »… « C’est tout de suite qu’il convient d’agir pour la croissance ».

Paris, 14 janvier 2014 : « En 2014, l’enjeu n’est pas simplement que la France retrouve la croissance : elle se dessine. C’est que cette croissance soit la plus vigoureuse possible ».

Le passage que j’ai indiqué en majuscules est central dans la mystique de la croissance. Je l’ai déjà évoqué dans ce billet de septembre 2009 « le théorème du gâteau qui doit grossir et le retour des propibes ». Je n’ai rien à ajouter ni à retrancher à ma critique de l’époque. François Hollande aurait pu compléter ce théorème du gâteau par celui de Georges W. Bush : « pour l’environnement aussi, la croissance n’est pas le problème, c’est la solution ». Ce complément serait logique puisque les politiques de l’environnement sont aussi, en un sens, des politiques de redistribution (entre générations).

Un bref extrait de mon billet de 2009 : « Non, il ne faut pas toujours produire plus pour pouvoir mener des politiques sociales et environnementales en répartissant un gâteau PIB toujours plus gros. Il faut produire mieux et autre chose, changer la recette et donc le gâteau, et mieux le partager. Il faut veiller à n’intégrer dans ce qu’on produit, dans la valeur ajoutée, dans le gâteau PIB, que des ingrédients d’utilité sociale et écologique et des biens communs. Il faut s’assurer que ce qu’on produit fait du bien aux personnes, au lien social et à la nature, ce qui n’a rien avoir avec le « toujours plus », et ce qui s’y oppose de plus en plus. Et il faut valoriser tous les gâteaux autres que le PIB pour s’intéresser à un chariot de desserts où l’on trouve le temps libre choisi, les liens sociaux, et tous les ingrédients de la qualité de vie dans une société soutenable…. Cela implique à coup sûr de réduire fortement les inégalités. Ce n’est pas contradictoire avec la progression de l’emploi (voir d’autres textes de ce blog). »

HOLLANDE, L’OFFRE, ET J. B. SAY

Nouvelle citation du Président : « Le temps est venu de régler le principal problème de la France : sa production. Oui, je dis bien sa production. Il nous faut produire plus, il nous faut produire mieux. C’est donc sur l’offre qu’il faut agir. Sur l’offre ! Ce n’est pas contradictoire avec la demande. L’OFFRE CREE MEME LA DEMANDE. » (François Hollande, 14 Janvier 2014).

Je n’avais pas repéré cette citation. Je l’ai trouvée dans un excellent texte de blog de Guy Démarest, qui enseigne les sciences économiques et sociales en lycée et l’histoire économique à l’université d’Orléans : « La loi de l’offre, itinéraire d’une idée-cafard ».

Ce texte est long, en deux billets, mais convaincant et d’une grande qualité pédagogique Le terme « d’idée-cafard » est de Paul Krugman : ceux qui énoncent une idée de ce type se renient dès qu’on leur démontre sa fausseté, évidente – les cafards disparaissent de la pièce – mais à peine a-t-on le dos tourné qu’à nouveau ils pullulent… Les cafards sont peu familiers chez nous, mais l’image parlera à ceux qui ont séjourné chez des amis new-yorkais n’abusant pas des pulvérisations toxiques.

Je me contenterai d’une analogie car le mieux est de lire Guy Démarest. La loi de Say (ou loi des débouchés) est fondée sur une représentation idéale et simpliste du circuit des échanges monétaires : « un produit terminé offre, dès cet instant, un débouché à d’autres produits pour tout le montant de sa valeur ». François Hollande se contente peut-être de la version MEDEF de la loi : « il faut réduire TOUTES nos charges, le reste suivra, faites-nous confiance ». Quoi qu’il en soit, il reproduit une formule vieille de plus de deux siècles pendant lesquels cette loi a été régulièrement mise à mal dans les faits et dans les théories (Malthus, Sismondi, Marx et bien entendu Keynes).

Voici l’analogie que je propose : cette « loi » peut être comparée à « la loi de l’eau dans la baignoire de Say » : « le volume d’eau qui coule du robinet pour remplir la baignoire de Say est égal à celui qui s’écoule par la bonde quand Say vide la baignoire ».

Formidable loi, sauf quand la baignoire des échanges monétaires fuit de partout (elle fuyait d’ailleurs déjà du temps de Say) ! Elle peut fuir par insuffisance des salaires versés, par excès de thésaurisation des entrepreneurs ou de dividendes versés aux actionnaires, ou d’endettement à risques des ménages, ou en raison de taux d’intérêts élevés, ou de hausse non anticipée du coût des matières premières, etc. Keynes a montré que des agents peuvent avoir intérêt à conserver de la monnaie sans la remettre dans le circuit économique (les fuites de la baignoire de Say) pour des raisons multiples : précaution, spéculation, transactions futures, etc. Et cela tout particulièrement… dans les crises, lorsque les incertitudes deviennent critiques.

Sur son blog, Guy Desmarest cite un autre texte, en anglais, intitulé « Jean-Baptiste Hollande », de Francesco Saraceno, qui rappelle des résultats de l’INSEE : DE 2008 A 2013, 45,4 % DES ENTREPRISES FRANÇAISES ONT DECLARE ETRE CONFRONTEES A DES PROBLEMES DE DEMANDE (DE DEBOUCHES) ET 17,1 % A DES PROBLEMES D’OFFRE (DE RENTABILITE, 11 % CITANT LES DEUX).

Du coup, je suis allé consulter cette source (enquête mensuelle de conjoncture dans l’Industrie – questions trimestrielles) et j’ai concocté un graphique depuis 1991 (année du début de cette enquête). Et là, ce ne sont pas des fans de Keynes qui sont interviewés, ce sont les dirigeants des entreprises industrielles (mais ils sont probablement bien plus keynésiens qu’ils ne le croient). DE 2008 AU PREMIER TRIMESTRE 2014, LA PROPORTION D’ENTREPRISES DECLARANT DES DIFFICULTES DE DEMANDE A ETE EN MOYENNE 3,6 FOIS SUPERIEURE A CELLE DES ENTREPRISES DECLARANT DES DIFFICULTES D’OFFRE ! BRAVO LA PRIORITE A L’OFFRE « QUI CREE LA DEMANDE » !


Tout cela devrait normalement faire fuir les cafards. Ils reviendront dès qu’on aura quitté la pièce ? Oui, sauf si on l’occupe pour de bon en faisant tout le boucan nécessaire.

AJOUT (quelques heures après la mise en ligne) : mon ami Michel Husson me signale à juste titre une note qu’il a lui aussi consacrée à Jean-Baptiste Hollande le 21 janvier dernier, en utilisant les mêmes sources de l’Insee, avec des développements complémentaires des miens et que je recommande vivement. Je n’avais pas repéré cette note en écrivant mon billet. Voir ce lien

Source : Jean Gadrey

Le National Emancipé 2014

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