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9 juil. 2013

Comment les industriels utilisent la science comme un instrument de propagande

Études biaisées, pseudo-expertises, financements occultes : les industriels ont entrepris dès les années 50 de manipuler la science à leur profit. Inaugurées par les géants de la cigarette, les techniques de détournement de la science sont aujourd’hui utilisées par les producteurs de pesticides ou les climato-sceptiques. Le déclin des abeilles est ainsi devenu un « mystère » et le changement climatique « relatif ». Des stratégies décryptées par Stéphane Foucart, journaliste scientifique, dans son ouvrage La fabrique du mensonge, comment les industriels nous mentent et nous mettent en danger. Entretien.

Basta ! : Les industriels ont choisi de tordre la science, dites-vous, pour contrer ce qui pourrait entraver leurs activités. Par exemple les révélations sur les effets sanitaires désastreux de certains produits. Comment s’y prennent-ils ?

Stéphane Foucart : La technique « d’utilisation de la science » a été théorisée par John Hill, un grand communicant américain. Les industriels de la cigarette l’ont appelé au secours en 1953, au moment où sont publiés les premiers travaux scientifiques sur le lien entre cigarette et cancer. Suite à une réunion de crise [1], John Hill rédige un petit mémo, dans lequel il dit en substance :« La science est un outil très puissant, dans lequel les gens ont confiance. On ne peut pas l’attaquer frontalement. Il faut procéder autrement. En fait, il faut faire de la science, l’orienter, la mettre à notre main ». John Hill propose notamment la création d’un organe commun aux géants de la cigarette, pour financer la recherche académique, menée au sein de laboratoires universitaires par exemple. Des centaines de millions de dollars seront injectés dans la recherche via cet organe. Pour financer des études qui concluent à l’absence de danger du tabac, mais pas seulement. Ils ont par exemple beaucoup financé la recherche en génétique fonctionnelle, qui décortique les mécanismes moléculaires dans le déclenchement des maladies.

Ce type de recherche est bénéfique pour les industriels : les origines environnementales des maladies, et notamment du cancer, sont « oubliées » et occultées…

Robert Proctor, historien des sciences américain, a passé beaucoup de temps à éplucher les fameux « tobacco documents », ces millions de documents de l’industrie du tabac, rendus publics par la justice – messages internes, rapports confidentiels et comptes rendus de recherche [2]. Les cigarettiers américains avaient compris que chaque discipline scientifique produit une façon de voir le monde.




Et qu’ils avaient intérêt à influencer certains points de vue plutôt que d’autres. Quand quelqu’un tombe malade, on peut se demander à quoi il a été confronté dans son environnement, ou bien s’intéresser aux mécanismes moléculaires qui ont permis à la maladie de se déclencher. L’intérêt des cigarettiers se situaient plutôt du côté des mécanismes moléculaires : ils ont donc fortement subventionné la génétique fonctionnelle.



Cela signifie en substance que, si vous tombez malade, c’est parce que quelque chose, en vous, est en cause. L’environnement est évacué. Cette façon de voir les choses est encore très présente. On entend très régulièrement parler du gène de prédisposition au cancer du sein. Ou du gène de prédisposition à l’obésité. Lesquels jouent sans doute un rôle dans les pathologies évoquées. Mais cela occulte complètement les autres paramètres, notamment les causes environnementales des grandes maladies métaboliques. Une stratégie redécouverte et reprise au fil des années par de nombreux industriels, confrontés à des publications scientifiques embarrassantes pour eux. Pour les industriels, la science est aussi un instrument de propagande.

Le comité permanent amiante, en France, a-t-il adopté la même stratégie ?

Il y a plusieurs façons d’instrumentaliser la science : on peut financer la recherche, comme le font les industriels du tabac ou de l’agrochimie. Mais on peut aussi influencer l’expertise de façon à tordre la perception d’une problématique par les décideurs et le grand public. Le comité permanent amiante (CPA), qui a dirigé la politique sanitaire française sur cette question, s’est positionné sur cette seconde stratégie. Il n’a jamais injecté d’argent dans des études mais s’est posé en expert. Il n’y avait pourtant aucun scientifique spécialiste des effets sanitaires concernant les expositions aux faibles doses d’amiante dans cette assemblée. Elle était surtout composée de représentants de l’industrie et de hauts fonctionnaires. Créé au début des années 80, le CPA a entretenu cette idée selon laquelle on pouvait faire un usage contrôlé de l’amiante. Il était consulté par les politiques et les journalistes, et rendait des avis contraires à ce que l’on savait. La première étude épidémiologique mettant en évidence des effets sanitaires de l’amiante sur des personnes ne travaillant pas au contact de la fibre date de 1960. En 1980, on savait donc depuis 20 ans que même à des doses « réduites », l’amiante provoquait des mésothéliomes. Le CPA rendait en réalité des pseudo-expertises. Qui ont permis aux industriels de commercialiser de l’amiante jusqu’en 1996 !

En 2013, on a aussi affaire aux climato-sceptiques…

Aux États-Unis, les climato-sceptiques procèdent de la même façon que le CPA en son temps. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) est très ouvert, il travaille avec l’ensemble de la communauté scientifique. On est dans un processus de production de connaissances très démocratique et très transparent. Les experts d’Exxon Mobil, de Greenpeace ou du gouvernement chinois peuvent s’exprimer et questionner les données avancées sur des sujets qui leur tiennent à cœur. Le processus est très difficile à biaiser. Les climato-sceptiques ont donc entrepris d’enfumer les médias et les politiques. Aux États-Unis, il y a des think tanks qui sont ouvertement financés par les industriels. Des membres de ces cercles de réflexion écrivent des livres et deviennent experts, « légitimes » sur le sujet, sans même avoir aucune compétence effective. Ils sont constamment sollicités par les médias. Il y a aussi des manœuvres visant à intimider les chercheurs qui publient des résultats dérangeants. Avec des campagnes diffamatoires qui peuvent être menées. Tout cela jette un trouble sur la réalité.

Cela participe de « la fabrication du doute », que vous pointez comme partie intégrante de ce détournement de la science par les industriels à leur seul profit ?

Le montage de controverses qui retardent la prise de conscience est effectivement une technique éprouvée, et largement utilisée. Cela passe notamment par le fait de biaiser le corpus scientifique. Comment les industriels procèdent-ils ? En attaquant les études qui leur sont défavorables. Dans le monde scientifique, pour voir si ça marche, si c’est solide, on reproduit une expérience dont les résultats semblent peu convaincants. Si les doutes se confirment, on fait ensuite des commentaires techniques, qui accablent le collègue. Un peu sur le modèle du droit de réponse dans la presse. C’est un processus courant et normal de la démarche scientifique. Les industriels connaissent cette démarche de scepticisme. Ils cherchent donc à attaquer les études qui ne les arrangent pas. Le problème, c’est qu’ils n’avancent pas toujours à visage découvert.

C’est notamment le cas pour les études qui mettent en évidence l’impact des pesticides sur les abeilles…

En 2012, par exemple, la revue Science a publié les résultats d’une étude menée par des chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) sur les effets des néonicotinoïdes (classe d’insecticides, ndlr) sur les abeilles. Avec une exposition à des doses extraordinairement faibles (de l’ordre du milliardième de gramme) de thiaméthoxame, la molécule active du Cruiser commercialisé par Syngenta, le taux de retour des abeilles à la ruche était largement diminué. L’étude mettait donc clairement en évidence que les insecticides participent de l’hécatombe d’abeilles que l’on observe depuis une quinzaine d’années. Quelques mois plus tard, l’étude a été attaquée par un chercheur via un commentaire technique, bâti sur un argumentaire douteux, publié dans Science. Mais l’auteur de ce commentaire a occulté ses liens avec Syngenta, qui finançait son laboratoire, à partir du jour de la publication de ce commentaire. Autre fait troublant : la rédaction d’un communiqué de presse, pour publiciser le dit commentaire. Ce qui est très rare ! La ficelle est un peu grosse. Et le procédé malhonnête. Mais ce qui va rester, c’est que tous les scientifiques ne sont pas d’accord, et que les effets du thiaméthoxame sont finalement sujet à caution. Dès lors, pourquoi s’inquiéter ?

Source et suite de l’article sur bastamag.net

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