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3 juin 2013

Les USA complices de génocide au Guatemala

Les médias européens ont relayé la condamnation, mais sans évoquer cette complicité américaine. Quant aux médias étasuniens, ils ont pratiquement passé l'affaire sous silence, et plus encore le rôle de leur propre gouvernement et de leur président dans les violations des droits de l'homme.


L'Ecole des Amériques

Cette complicité n'est pas juste un aspect secondaire de l'action judiciaire. Le soutien américain au régime militaire de l'époque au Guatemala a été fondamental, tant pour le maintien du régime lui-même que pour le soutien logistique et politique aux crimes commis par la junte militaire guatémaltèque.


Pour commencer, il y a la tristement célèbre Escuela de las Américas (Ecole des Amériques), un centre de formation militaire américain où des milliers d'officiers sud-américains ont été entraînés et formés. Nombre d'entre eux se sont révélés ensuite de sanglants dictateurs dans leurs pays respectifs. L'un des programmes importants qui y étaient « enseignés » était l'entraînement aux « techniques d'interrogatoire » efficaces. Le Guatemala lui aussi a envoyé plusieurs cadres de l'armée à cette « école ». L'un des élèves ayant bien appris leur leçon était Efraín Ríos Montt.

Le journaliste d'investigation américain Robert Parry a collecté des documents officiels, parmi lesquels le planning militaire du gouvernement dirigé par le général Ríos Montt entre 1982 et 1983. On y voit que toute la population maya Ixil, enfants compris, était devenue une cible militaire.

La tactique de la terre brûlée

Des fonctionnaires états-uniens avaient écrit que les organisations de la guérilla de gauche combattant le régime avaient réussi à endoctriner les Ixils paupérisés et bénéficiaient de leur appui total. D'où la politique de la terre brûlée, qui détruisit plus de 600 villages indigènes. Toutefois ce génocide n'est pas uniquement le fruit d'une idéologie anticommuniste élaborée par les élites politiques et militaires guatémaltèques. Ce génocide a bel et bien été soutenu par la logistique tout autant que par l'idéologie du gouvernement présidé par Ronald Reagan.

Robert Parry évoque les documents qu'il a récemment découverts dans les archives de la Bibliothèque Reagan à Simi Valley en Californie. Ils indiquent que le président Reagan et ses conseillers de la sécurité nationale décidèrent en 1981 d'accorder une aide militaire au régime guatémaltèque qui voulait éliminer non seulement les « guérillas marxistes » mais aussi toutes les personnes qui étaient associées aux « mécanismes de soutien de la population civile à la guérilla ».

Conditions restrictives

Cette aide états-unienne prit forme concrète au printemps 1981. Le prédécesseur de Reagan, le président Jimmy Carter (1977-1981) et le Congrès (où les Démocrates furent majoritaires pendant des années) avaient imposé des conditions restrictives à cette aide, en relation avec le respect des droits de l'homme. Dès sa prise de fonction, le président Reagan entreprit d'assouplir ces conditions.

Le document indique : « Si Lucas (Romeo Lucas García, alors encore président du Guatemala, ndr) est disposé à donner des garanties pour que des mesures soient prises afin de cesser la participation du gouvernement à l'assassinat sans discrimination d'opposants politiques et crée le climat permettant d'instaurer un processus électoral réalisable, les Etats-Unis se prépareront immédiatement à approuver certaines ventes militaires ».

Pour Robert Parry, l'expression « sans discrimination » donne à réfléchir, comme si le gouvernement du président Reagan n'avait aucun problème avec le meurtre de citoyens, du moment que ceux-ci étaient considérés comme sympathisants des guérilleros en lutte contre les oligarques et généraux de l'armée qui tenaient le pays sous leur coupe depuis 1954 (année où la CIA organisa le renversement du président élu Jacobo Arbenz, parce que celui-ci avait introduit quelques réformes sociales modérées au profit des travailleurs agricoles mais aux dépens de multinationales américaines comme United Fruit, la future Chiquita).


Rétablissement de bonnes relations

Le secrétaire d'Etat de l'époque, Alexander Haig, désigna Vernon Walters comme envoyé spécial afin de s'entretenir avec le président Romeo Lucas García. Vernon Walters écrivit à ce sujet : « Le secrétaire d'Etat m'a envoyé ici pour voir si nous pouvons trouver une manière de fournir une aide matérielle à votre gouvernement ... Nous avons minimisé les déclarations publiques négatives de la part de certains fonctionnaires américains sur la situation au Guatemala … Nous avons conclu un accord avec le Département du Commerce pour la vente à hauteur de trois millions de dollars de camions et de jeeps pour l'armée du Guatemala … Nous voulons rétablir aussi vite que possible les fournitures militaires traditionnelles et la relation pour les entraînements ... »

Il ressort clairement d'un télégramme secret d'avril 1981 (rendu public dans les années '90) que la CIA confirmait les bains de sang du régime au Guatemala, alors même que le président Reagan s'attachait à assouplir l'embargo militaire. Le 17 avril 1981, la CIA décrivit un bain de sang perpétré par l'armée à Cocob, près de Nebaj. Elle ajouta que « les autorités guatémaltèques admettaient que beaucoup de citoyens avaient perdu la vie, et que beaucoup n'étaient pas des combattants.

Un télégramme du Département d'Etat daté du 5 octobre 1981 indique que le président Romeo Lucas García a dit à Vernon Walters que son gouvernement poursuivrait la répression et que cette répression fonctionnait d'ailleurs avec succès contre la menace de la guérilla. Le 15 octobre 1981, la Commission inter-américaine des droits de l'homme (CIDH) publiait un rapport dans lequel elle accusait le Guatemala de « milliers d'exécutions illégales ».


Résistance ou fuite sont aveu de culpabilité

Le rapport CIA de février 1982 décrit un encerclement de la région Ixil par l'armée. La CIA décrit ainsi le modus operandi des militaires : « Quand une patrouille de l'armée constate une résistance dans une ville ou dans un village, elle part du principe que toute la ville est hostile et elle la détruit. Quand l'armée trouve un village déserté, elle présume que la population soutenait l'EGP (Ejército Guerrillero de los Pobres = l'armée de guérilla des pauvres, ndr), et elle saccage le village. Il y a des centaines, sans doute des milliers de réfugiés dans les collines, sans abri où retourner » …

Début février 1982, Richard Childress, un des conseillers du service de sécurité nationale des USA écrivait dans une note secrète que pendant au moins quinze ans de lutte ininterrompue contre la guérilla, le gouvernement du Guatemala « était totalement compromis dans une répression impitoyable et inflexible. Il n'y a pas pratiquement pas un seul soldat qui n'ait pas tué de « guérillero » ».


Des fusils et des haricots

Et pourtant le président Reagan continua de livrer du matériel militaire. En juillet 1982 le commandant en chef de l'armée, le général Efraín Ríos Montt – qui entre-temps avait renversé son président pour devenir lui-même président – lançait une nouvelle campagne de « terre brûlée », qui fut baptisée « Des fusils et des haricots ».

Les Indiens contrôlés recevaient de la nourriture et tous ceux qui étaient suspects recevaient des balles. Des dizaines de milliers de citoyens furent assassinés par les escadrons de la mort au cours de sa dictature. La condamnation récente ne concerne qu'une seule des nombreuses campagnes d'assassinats pendant sa brève présidence d'à peine 17 mois.

Le président Reagan suivait à 100 % la ligne de son ambassade au Guatemala, qui rejetait les mises en garde alarmantes de multiples organisations pour les droits de l'homme comme relevant des campagnes de propagande et de désinformation d'inspiration communiste.


Un homme tout dévoué à la démocratie

Le président Reagan, après une visite de Rios Montt à Washington, fit son éloge comme étant quelqu'un de totalement dévoué à la démocratie ». Un télégramme secret (février 1983) de la CIA évoquait entre-temps « une violence émanant d'une droite suspecte » - des étudiants et des professeurs ayant été enlevés et leurs cadavres abandonnés dans des fossés et des ravins.

Cela n'empêcha pas le rapport annuel sur les droits de l'homme du Département d'Etat US, le Ministère des affaires étrangères, de louer « l'amélioration » de la situation au Guatemala. Le 17 mars 1983, l'organisation états-unienne Americas Watch condamnait l'armée du Guatemala pour atrocités à l'encontre de la population indienne. Et pourtant en juin 1983 l'envoyé spécial du président Reagan, Richard B. Stone, vantait les « changements positifs » sous le gouvernement de Ríos Montt.


Israël au secours des Etats-Unis.

Ce dernier insistait auprès du gouvernement étasunien pour obtenir 10 hélicoptères UH-1H et 6 navires de patrouille. Mais le Congrès restait très sceptique et il refusa d'allouer des fonds. Comme le Guatemala lui-même ne disposait pas du financement nécessaire, le gouvernement Reagan prit des mesures afin d'aboutir par l'intermédiaire d'Israël. Israël et son service de renseignement extérieur, le Mossad, ont d'ailleurs joué un rôle important dans le conflit armé interne au Guatemala.

Après un nouveau coup d'Etat, cette-fois du général Oscar Mejía Víctores, Ríos Montt fut renvoyé. Sous le nouveau dictateur, la terreur et l'impunité dépassèrent toutes les bornes, même pour le Congrès américain. Lorsque trois Guatémaltèques travaillant pour l'Agence internationale de développement des Etats-Unis furent assassinés en novembre 1983, le gouvernement américain reporta la vente de pièces de rechange pour hélicoptères, un montant de 2 millions de dollars. Un mois plus tard, le président Reagan envoya tout de même les pièces.

En 1984 il réussit à persuader le Congrès d'approuver 300.000 $ pour entraîner l'armée au Guatemala. A la mi-août '84 le diplomate états-unien Alberto Piedra réussit à faire intensifier l'aide militaire. A la même époque, Americas Watch écrivait : « Le ministère des affaires étrangères du président Reagan semble plus préoccupé de l'image de marque du Guatemala que de l'amélioration des droits de l'homme ».

Commission vérité 1999

Ce n'est qu'en 1999, une décennie après la période aux affaires du président Reagan, que les horreurs commises au Guatemala furent rendues publiques par la Commission pour la Clarification Historique, une commission vérité internationale qui se basait notamment sur des documents que le président Clinton avait fait déclassifier.

Ce rapport intitulé « Guatemala, Mémoire du Silence » souligne notamment que « le gouvernement des Etats-Unis, via différents organes dont la CIA, a soutenu directement et indirectement certaines opérations de l'Etat ». Le rapport conclut aussi que le gouvernement états-unien avait donné argent et formation à l'armée du Guatemala qui avait perpétré « des actes génocidaires contre les Mayas ».

Il est encore trop tôt pour dire si la première condamnation de Rios Montt pour génocide sera confirmée ou non après un nouveau procès. Quoi qu'ait pu manigancer ce dictateur militaire, de toute façon il est certain qu'il a commis ce qu'il a commis avec la bénédiction et le soutien du gouvernement états-unien. Il faut ajouter que les faits qui viennent d'être jugés – l'extermination de 1200 Indiens Mayas Ixils – ne constituent qu'une partie d'un ensemble beaucoup plus vaste. Dans cet ensemble total, les Etats-Unis ont joué un rôle éminemment crucial.



Source : De Wereld Morgen
Traduit du néerlandais par Anne Meert pour Investig'Action.

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