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21 juin 2013

La Crise du monde moderne – René Guénon avait-il raison ?

"Un des caractères particuliers du monde moderne, c’est la scission qu’on y remarque entre l’Orient et l’Occident. Il peut y avoir une sorte d’équivalence entre des civilisations de formes très différentes, dès lors qu’elles reposent toutes sur les mêmes principes fondamentaux, dont elles représentent seulement des applications conditionnées par des circonstances variées. 

Tel est le cas de toutes les civilisations que nous pouvons appeler normales, ou encore traditionnelles ; il n’y a entre elles aucune opposition essentielle, et les divergences, s’il en existe, ne sont qu’extérieures et superficielles. Par contre, une civilisation qui ne reconnaît aucun principe supérieur, qui n’est même fondée en réalité que sur une négation des principes, est par là même dépourvue de tout moyen d’entente avec les autres, car cette entente, pour être vraiment profonde et efficace, ne peut s’établir que par en haut, c’est-à-dire précisément par ce qui manque à cette civilisation anormale et déviée.
Dans l’état présent du monde, nous avons donc, d’un côté, toutes les civilisations qui sont demeurées fidèles à l’esprit traditionnel, et qui sont les civilisations orientales, et, de l’autre, une civilisation proprement antitraditionnelle, qui est la civilisation occidentale moderne" – René Guénon.

René Guénon, dans La crise du monde moderne, expose les grandes distinctions entre Tradition et monde moderne. Une des distinctions fondamentales réside dans le contenu et les places respectives de la connaissance et de l’action. La mentalité moderne assure la primauté à l’action. La connaissance n’y joue qu’un rôle auxiliaire. Un exemple de ceci se retrouve dans la science moderne, s’élaborant avant tout à des fins industrielles et militaires (les crédits nécessaires à la recherche venant de ces domaines !). L’esprit traditionnel place au contraire la connaissance au-dessus de l’action, celle-là dirigeant le mouvement de celle-ci. Encore faut-il préciser que la manière d’envisager la connaissance diffère radicalement selon que l’on envisage les choses d’un point de vue traditionnel ou moderne. La connaissance moderne procède de l’étude des phénomènes et se limite ainsi à eux. Le monde phénoménal étant celui de la multiplicité, les savoirs modernes se présentent comme un bric-à-brac non unifié qui ne peut engendrer que des spécialistes, aux vues limitées à leur discipline. La connaissance traditionnelle procède au contraire de l’Unité et des principes. La "spécialisation" n’y consiste qu’en des applications particulières de principes dépassant par le haut les contingences. La partie supérieure n’y est pas perdue de vue, bien au contraire. René Guénon souligne que l’action coupée de la contemplation (connaissance) dégénère rapidement en agitation stérile et destructrice, ce qui est aisément constatable dans l’histoire et les comportements récents.

Une autre déviance de l’époque moderne, en étroite corrélation avec le principe de division présenté au paragraphe précédent, est l’individualisme, auquel l’auteur consacre des développements fournis et précis. L’individualisme peut se définir comme "la négation de tout principe supérieur à l’individualité" (René Guénon, opus cité, p. 101). Cependant, si l’être humain avait en lui-même sa propre raison d’être, pourquoi mourrait-il ? La présence de la mort est révélatrice, de même que celle de la naissance, de l’état de subordination de l’homme à quelque chose le dépassant. L’être humain ne maîtrise pas les deux moments cruciaux de son existence, les deux portes de celle-ci. Isolé en lui-même, coupé de sa partie supérieure, l’individualiste perd toute possibilité de se réaliser, de retrouver son lien avec l’Unité. Il s’arroge le droit de discuter de tout et de faire prévaloir sa propre tournure d’esprit sur celle des autres, quel que soit son degré de capacité effective. L’individualisme a de plus des conséquences sociales importantes. Une collectivité est une somme d’individus. Si chacun de ses membres se considère coupé des autres, comment la cité pourrait-elle fonctionner harmonieusement ? René Guénon intitule un de ses chapitre "Le chaos social". À cet endroit, il expose des considérations sur le désordre affectant l’ensemble du monde moderne. Plus personne n’est à une place correspondant à sa nature, la hiérarchie se disloque. L’auteur développe ici surtout la question de la démocratie.

Le livre se termine sur la prépondérance accordée au matériel par la civilisation moderne, ainsi que sa conséquence immédiate : l’emploi systématique de la force pour répandre ses idées et son mode de vie, aussi aberrant soit-il. Le colonialisme n’en a été qu’un des avatars et la lutte se poursuit aujourd’hui par l’économie et par la guerre. Les dernières pages de La crise du monde moderne évoquent quelques conditions du redressement, du rétablissement de la Tradition. Toutefois, rien de conséquent ne se produira avant que "la Roue ait cessé de tourner" et que s’inaugure un nouveau cycle.

Extrait

Le chaos social

(…) Cela peut sembler paradoxal à une époque de "spécialisation" à outrance, et pourtant il en est bien ainsi, surtout dans l’ordre politique ; si la compétence des "spécialistes" est souvent fort illusoire, et en tous cas limitée à un domaine très étroit, la croyance à cette compétence est cependant un fait, et l’on peut se demander comment il se fait que cette croyance ne joue plus aucun rôle quant il s’agit de la carrière des hommes politiques, où l’incompétence la plus complète est rarement un obstacle. Pourtant, si l’on y réfléchit, on s’aperçoit aisément qu’il n’y a là rien dont on doive s’étonner, et que ce n’est en somme qu’un résultat très naturel de la conception "démocratique", en vertu de laquelle le pouvoir vient d’en bas et s’appuie essentiellement sur la majorité, ce qui a nécessairement pour corollaire l’exclusion de toute véritable compétence, parce que la compétence est toujours une supériorité au moins relative et ne peut être que l’apanage d’une minorité.

(…) Il y a là une relation qui suppose nécessairement deux termes en présence : il ne pourrait y avoir de gouvernés s’il n’y avait aussi des gouvernants, fussent-ils illégitimes et sans autre droit au pouvoir que celui qu’ils se sont attribué eux-mêmes ; mais la grande habileté des dirigeants, dans le monde moderne, est de faire croire au peuple qu’il se gouverne lui-même ; et le peuple se laisse persuader d’autant plus volontiers qu’il en est flatté et que d’ailleurs il est incapable de réfléchir assez pour voir ce qu’il y a là d’impossible. C’est pour créer cette illusion qu’on a inventé le "suffrage universel" : c’est l’opinion de la majorité qui est supposée faire la loi ; mais ce dont on ne s’aperçoit pas, c’est que l’opinion est quelque chose que l’on peut très facilement diriger et modifier ; on peut toujours, à l’aide de suggestions appropriées, y provoquer des courants allant dans tel ou tel sens déterminé : nous ne savons plus qui a parlé de "fabriquer l’opinion", et cette expression est tout à fait juste, bien qu’il faille dire, d’ailleurs, que ce ne sont pas toujours les dirigeants apparents qui ont en réalité à leur disposition les moyens nécessaires pour obtenir ce résultat. Cette dernière remarque donne sans doute la raison pour laquelle l’incompétence des politiciens les plus "en vue" semble n’avoir qu’une importance très relative ; mais, comme il ne s’agit pas ici de démonter les rouages de ce qu’on pourrait appeler la "machine à gouverner", nous nous bornerons à signaler que cette incompétence même offre l’avantage d’entretenir l’illusion dont nous venons de parler : c’est seulement dans ces conditions, en effet, que les politiciens en question peuvent apparaître comme l’émanation de la majorité, sur n’importe quel sujet qu’elle soit appelée à donner son avis, est toujours constituée par les incompétents, dont le nombre est incomparablement plus grand que celui des hommes qui sont capables de se prononcer en parfaite connaissance de cause.

Une civilisation matérielle

(…) On dira que ces hommes sont peu nombreux aujourd’hui, et on se croira autorisé par là à les tenir pour quantité négligeable ; là comme dans le domaine politique, la majorité s’arroge le droit d’écraser les minorités, qui, à ses yeux, ont évidemment tort d’exister, puisque cette existence même va à l’encontre de la manie "égalitaire" de l’uniformité. Mais, si l’on considère l’ensemble de l’humanité au lieu de se borner au monde occidental, la question change d’aspect : la majorité de tout à l’heure ne va-t-elle pas devenir une minorité ? Aussi n’est-ce plus le même argument qu’on fait valoir dans ce cas, et, par une étrange contradiction, c’est au nom de leur "supériorité" que ces "égalitaires" veulent imposer leur civilisation au reste du monde, et qu’ils vont porter le trouble chez des gens qui ne leur demandaient rien ; et, comme cette "supériorité" n’existe qu’au point de vue matériel, il est tout naturel qu’elle s’impose par les moyens les plus brutaux. Qu’on ne s’y méprenne pas d’ailleurs : si le grand public adopte de bonne foi ces prétextes de "civilisation", il en est certains pour qui ce n’est qu’une simple hypocrisie "moraliste", un masque de l’esprit de conquête et des intérêts économiques : mais quelle singulière époque que celle où tant d’hommes se laisse persuader qu’on fait le bonheur d’un peuple en l’asservissant, en lui enlevant ce qu’il a de plus précieux, c’est-à-dire sa propre civilisation, en l’obligeant à adopter des moeurs et des institutions qui sont faites pour une autre race, et en l’astreignant aux travaux les plus pénibles pour lui faire acquérir des choses qui lui sont de la plus parfaite inutilité ! Car c’est ainsi : l’Occident moderne ne peut tolérer que des hommes préfèrent travailler moins et se contenter de peu pour vivre ; comme la quantité seule compte, et comme ce qui ne tombe pas sous le sens est d’ailleurs tenu pour inexistant, il est admis que celui qui ne s’agite pas et qui ne produit pas matériellement ne peut être qu’un "paresseux" ; sans même parler à cet égard des appréciations portées couramment sur les peuples orientaux, il n’y a qu’à voir comment sont jugés les ordres contemplatifs, et cela jusque dans les milieux soi-disant religieux. Dans un tel monde, il n’y a plus de place pour l’intelligence ni pour tout ce qui est purement intérieur, car se sont là des choses qui ne se voient ni ne se touchent, qui ne se comptent ni ne se pèsent : il n’y a de place que pour l’action extérieure sous toutes ses formes, y compris les plus dépourvues de toute signification. Aussi ne faut-il pas s’étonner que la manie anglo-saxonne du "sport" gagne chaque jour du terrain : l’idéal de ce monde, c’est l’"animal humain" qui a développé au maximum sa force musculaire ; ses héros, ce sont les athlètes, fussent-ils des brutes ; ce sont ceux-là qui suscitent l’enthousiasme populaire, c’est pour leurs exploits que les foules se passionnent ; un monde où l’on voit de telles choses est vraiment tombé bien bas et semble bien près de sa fin. (…)



La crise du monde moderne, si René Guénon avait raison ?




source : http://histoirenondite.wordpress.com

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