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6 juin 2013

Erdogan rattrapé par la réalité: adieu le sultan

Quelle que soit l'issue du mouvement de contestation qui secoue la Turquie, le grand perdant sera le Premier ministre et son Parti de la justice et du développement (AKP). Recep Tayyeb Erdogan voit son rêve de servir de modèle aux peuples arabes se briser et ses ambitions de devenir le leader d'un nouveau Moyen-Orient recomposé, déçues. Il paye le prix de son autoritarisme et de son ingérence «passionnelle» dans la crise syrienne.

Alors que des milliers de manifestants battaient le pavé, pour la cinquième journée consécutive, à Istanbul, Ankara, Antaliya, Izmir et d'autres villes, le Premier ministre turc se trouvait mardi au Caire, dans le cadre d'une tournée dans quatre pays arabes. Une façon, pour lui, de minimiser l'importance du mouvement de contestation sans précédent depuis dix ans, qui secoue son pays sans faiblir. Il a choisi la diversion, en s'érigeant en donneur de leçons en en justicier. Selon lui, Bachar al-Assad a «dépassé son père en matière de crimes et de boucheries» et il devrait en payer le prix. Un commentaire malheureux à un moment où ses forces de police répriment avec une violence démesurée des manifestants pacifiques qui protestent contre une décision d'arracher 600 arbres dans un parc d'Istanbul. Une répression qui a fait, en cinq jours, trois morts, un millier de blessés et plus de mille arrestations, et qui a été critiquée même par ses plus proches alliés.

Mais les tentatives d'Erdogan de minimiser l'importance du mouvement de protestation ne peuvent cacher le fait que la mobilisation se poursuit et se cristallise de plus en plus contre sa personne. Toujours aussi déterminés, les Stambouliotes ont envahi, mardi soir, par milliers la place Taksim, brandissant des drapeaux turcs, des fanions sur lesquels sont imprimés les portraits du fondateur de la Turquie moderne, Moustapha Kemal Ataturk et scandant "Tayyip, démission!". Face à la foule qui a construit des barricades, la police a tiré des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et a eu recours aux canons à eau.

Les signes précurseurs du malaise

Autre signe de l'aggravation de la situation, l'une des plus importantes centrales syndicales turques, la Confédération des syndicats du secteur public (KESK), a appelé à une grève générale de deux jours à partir du 4 juin pour dénoncer le recours à la "terreur" contre les contestataires.

Certains analystes se disent surpris par l'ampleur de la contestation, d'autant qu'Erdogan, qui a remporté 50% des suffrages en 2011, reste populaire, et que le pays connait une croissance économique de 5% en moyenne depuis 2002. Mais ceux qui connaissent bien la Turquie avaient décelé les signes précurseurs de ce malaise: depuis le début de la crise syrienne, le Premier ministre a développé un discours quelquefois sectaires, se mettant à dos les courants laïques ainsi que les minorités kurdes et alaouites, qui comptent plusieurs dizaines de millions de personnes; dans le sud du pays, frontalier avec la Syrie, l'économie a été atteinte de plein fouet à cause de la guerre; la présence de centaines de milliers de réfugiés syriens a créé de fortes tensions avec les populations locales; la liberté accordée aux rebelles syriens et aux groupes extrémistes -y compris le Front al-Nosra- a provoqué l'inquiétude de la population, qui s'est avérée justifiée après les attentats de Rayhania. De plus, le ton élevé et les menaces qu'il profère contre la Syrie depuis des mois n'ont jamais été accompagnés d'actes, même lorsque la DCA syrienne a abattu un chasseur turc, en juin 2012. Sa crédibilité s'en est retrouvée durement affectée. "Il parle plus qu'il ne fait, alors que Bachar al-Assad fait plus qu'il ne parle", commente un diplomate arabe à Beyrouth.


Selon le journal israélien "Israël Hayom", "le principal problème d'Erdogan, c'est Erdogan lui-même". "Le Premier ministre turc a su comment emprisonner des journalistes plus qu'en Iran et en Chine et à faire passer des lois qui portent atteinte aux droits de l'homme", poursuit le journal. La presse israélienne le qualifie de "démocratie autoritaire". Le quotidien britannique The Financial Times estime que "le modèle turc a perdu son aura auprès des populations des pays du printemps arabe".

Divergences avec Gül

L'une des plus graves conséquence de cette crise a été que les divergences entre Erdogan et le président Abdallah Gül sont montées à la surface. Le Premier ministre a affiché une fermeté face aux contestataires. Il les a qualifié de "saboteurs" et d'"extrémistes", a fait état d'un "complot", a mis en garde contre des tentatives de préparer le terrain à un coup d'Etat. Le président Gül, lui, s'est montré plus conciliant. "Nous ne céderons rien à ceux qui vivent main dans la main avec le terrorisme, a clamé, lundi 3 juin, Erdogan, qui rejette les accusations d'usage excessif de la force contre les "pillards". Abdallah Gül a de son côté déclaré qu'"une démocratie ne signifie pas seulement une victoire aux élections". "Il est tout à fait naturel d'exprimer des opinions différentes par des manifestations pacifiques", a-t-il proclamé. Ce à quoi Erdogan répond, par médias interposés: "Je ne sais pas ce qu'a dit le président, mais pour moi la démocratie vient des urnes".


Ariane Bonzon, chroniqueuse sur la Turquie pour le site Slate.fr évoque les principaux épisodes de la rivalité entre les deux têtes de l'AKP. "Avec son style très autoritaire, Erdogan n'a pas hésité à écarter les proches de Gül de la liste des candidats à la députation. À l'origine de cette rupture, leur volonté à tous les deux de devenir le prochain président lors de l'élection présidentielle en août 2014". "Un tiers de l'AKP soutient Erdogan, un tiers soutient Gül et un tiers est mouvant", précise Ariane Bonzon. Il n'est donc pas exclu de voir dans les prochains mois une scission de l'AKP. 


Quelle que soit l'issue de la crise, Recep Tayyeb Erdogan en sortira humilié et affaibli, Finie l'image du chef exemplaire, démocrate, intouchable. Finis les rêves de la Turquie néo-ottomane, modèle envié dans le monde arabe, et de puissance régionale en devenir. Celui qui pensait pouvoir jouer à l'extérieur de ses frontières, dans les territoires des autres, est rattrapé par la réalité au cœur même de «sa» ville, Istanbul. Pour s'en remettre, il lui faudra un miracle.

Source : french.Alahednews

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