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5 mai 2013

Les notaires, protecteurs de nos secrets... et surtout des leurs !



Curés sans soutane, confesseurs laïcs, psychanalystes sans divan, les notaires veillent sur nos mystères les plus inavouables. Tout en défendant bec et ongles de confortables rentes assurées par un statut en or massif. Enquête sur une profession des plus opaques.

Vénérable notaire en la bonne ville de Bourges, Me Bergerault, Bruno de son petit nom, brille par son atypisme. «En province, nous sommes les savants du quotidien, mais le quotidien vole souvent au ras du trèfle, c'est comme ça, madame ! On voit les gens dans des moments de paroxysme, des pics existentiels, mais tout cela ne garantit ni la grandeur des sentiments ni l'altitude de la pensée. Ah ça non, madame !» Verbe haut, formules canailles, répliques aux sonorités audiardesques, cet officier public-là est drôle. Une rareté dans une corporation dont les 9 300 membres ne sont pas franchement enclins à la gaudriole, mais une singularité qui s'arrête net aux bornes de l'éthique notariale. Du haut de ses vingt-cinq ans d'exercice, jamais Me Bergerault ne se laisse aller à prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages : renvoyer la clientèle à sa veule imbécilité, moquer «les ego qui jamais ne se curent» exposerait notre homme à la faute déontologique. «Qui trop méprise mal conseille», professe-t-il. Or la médiation pour concilier amants et concubines, trompés et cocufieurs, héritiers et spoliés fonde le cœur de métier de ceux qui s'autoproclament «magistrats de l'amiable». 

Curés sans soutane, confesseurs laïcs, psychanalystes sans divan, les notaires sondent les âmes. Accouchent les cœurs et en font parfois sortir «des monstres», écrivait Balzac en 1840. Sur le front du droit de la famille, activité qui draine quelque 26 % d'un chiffre d'affaires estimé de 7 milliards d'euros, se poser en arbitre des inélégances exige en effet de se boucher le nez. La preuve par la prose d'une candidate au divorce rapportée sur «Chroniques notariales», savoureux blog tenu par un clerc masqué que Marianne a rencontré : «M. mon époux est avare [...]. Il n'achète jamais de cerises, trop chères, il les vole sur les arbres [...]. Il nous demande à tous de ne pas utiliser plus de trois feuillets de papier toilette de marque minimarge, qui fait mal quand on s'essuie [...]. Mon alliance a laissé une trace verte tout autour de mon doigt. Je suis allée chez le bijoutier [...], j'ai découvert que c'est du plaqué or, du toc ! Notre mariage est-il du plaqué ? Aidez-moi ! Quand pourrez-vous écrire aux banques pour tout savoir ? [...] Je suis sûre qu'il a des comptes en Suisse.» Se remémorant une scène vécue, le même blogueur célèbre la hauteur de sentiments, filiaux cette fois. «Ne me mettez pas des bâtons dans les roues, maître. Je toucherai mon héritage tout de suite», gronde un garagiste à la mort de son père. «Monsieur, pondère le clerc, votre mère bénéficie d'une donation entre époux. Vous recevrez donc la quote-part de la succession de votre père vous revenant lorsqu'elle fermera les yeux.» L'impatient mécano éructe : «Votre travail est de faire hériter vos clients, pas de les en empêcher.» 

S'élever au rang de directeur du théâtre de la cupidité qui se joue dans le confort ouaté des études requiert une rare capacité de résistance à la nausée. «Certes, mais nous ne sommes ni saints ni martyrs : en témoignent nos confortables émoluments», tranche Bruno Bergerault. En 2011 en effet, le revenu mensuel moyen des notaires, qui chaque année voient défiler 20 millions de clients, s'établissait à quelque 20 000 €. De douillettes rentes assurées par un statut en or qui protège de la concurrence au nom de la mission d'authentification des actes juridiques tout en autorisant la poursuite d'activités commerciales. Sortes d'entrepreneurs abrités, espèces de fonctionnaires libéraux, nos confidents préférés sont bien lotis. Alors, tonitrue Bruno Bergerault, «on ne va pas pleurnicher la bouche pleine au prétexte que la comédie humaine n'est pas toujours jolie, jolie». Et ce fort en gueule de scander : «Partout où il y a de l'homme, il y a de l'hommerie. Mais moi, que voulez-vous, je suis un compassionnel. Bien sûr, à l'issue de certaines consultations sur des divorces ou des successions, j'aère, je ventile en grand parce qu'à force d'aveux où le sordide le dispute à l'immonde ça ne sent pas la rose !» 

A Castres, dans le Tarn, son confrère François Challeil, 72 ans, corrobore. «Depuis maintenant un demi-siècle, je m'occupe des 3 F, comprenez : la fesse, le fric et la frime - la hiérarchie est libre», ronronne ce fils, frère et père de notaire. Le vieux briscard affiche un appétit intact pour la vie des autres. Option trou de serrure, la vie : «Un jour, une femme bien mariée me révèle qu'elle a un amant tout aussi marié, veut un enfant de lui mais continuera à honorer "son légitime" pour brouiller les pistes. Je m'enquiers de la nature de mon rôle dans cette affaire. Elle me demande si l'enfant de l'amour a intérêt à être reconnu par son "cocu de mari" ou par l'as de la couette avec lequel elle fait des galipettes. Je la dissuade d'exécuter son projet de grossesse. Elle claque la porte en maugréant que je n'ai pas de cœur.» Deux ans plus tard, toujours épouse mais plus maîtresse, la dame réapparaît. «Maître, rapporte l'interpellé, mon amant m'a quittée en me laissant un enfant.» 

Le notaire lui rappelle qu'elle l'a voulu : «Elle menace de ruiner la réputation du malotru qui l'a éconduite. Je comprends qu'elle exige une réparation financière pour laver l'offense, sollicite en catimini le père de l'enfant de l'amour déçu, lequel accepte illico d'offrir un terrain à bâtir à son fils naturel et ce, pour sauver son mariage.» A ces pataquès de cols blancs faussement sentimentaux, Me Challeil préfère la franchise rurale. «Il y a quelques années, un couple de paysans s'ouvre à moi d'un casse-tête. Leur fille, un peu simplette, avait batifolé avec un employé agricole et se retrouvait enceinte. Avec le saisonnier, l'histoire s'était soldée à coups de pioche. Restait, pour citer mes clients, "le polichinelle dans le tiroir" et l'honneur de la famille à sauver. Sur le moment, j'ai séché. Quand je les ai revus, l'homme m'a soufflé qu'au sortir de l'étude il avait trouvé sa femme bien jeune, bien belle et encore en âge d'être mère... Eurêka ! L'enfant à naître serait déclaré comme le leur, leur fille resterait simplette et voilà tout !» 

Ruse agricole encore, mais version bretonne cette fois : «Au bistrot, le dimanche après la messe, je me régale des conversations où chacun distille petits et gros mensonges, car, moi, je connais l'envers du décor, s'amuse un clerc retraité. Ainsi, un agriculteur auquel tout le monde paie le coup par charité chrétienne est en réalité assis sur un tas d'or. Chez lui, peu d'argent rentre mais rien ou presque ne sort : en France, nombre de fortunes se sont construites sur la pingrerie, sou après sou, dîner à la soupe claire après déjeuner au pain rassis.» 

Dans le Notaire (1840), une nouvelle qui ignore la ride, Balzac qualifie le notaire de «souffre-douleur des mille combinaisons de l'intérêt étalé sous toutes les formes sociales». Si Benoît Renaud, président du Conseil supérieur du notariat (CSN) jusqu'en octobre dernier, tordrait bien le cou à Honoré coupable d'«encalminer la profession dans ses lustrines», Me Bergerault ne décèle dans ces écrits que «justesse». Et d'ajouter qu'«aujourd'hui comme hier la mort des parents, c'est la cristallisation des haines du passé. 

Et autant de grenades que les rejetons, quel que soit leur âge, peuvent enfin dégoupiller. La disparition des géniteurs sonne pour nombre de frères et sœurs comme l'autorisation de se détester officiellement et, là, ça vide le sac des rancœurs remâchées, ça donne du moche ou du pathétique». C'est selon. Assistant notaire en province, Christophe, 37 ans, se souvient d'un frère et d'une sœur animés par une détestation réciproque. «La succession de leur mère était modeste, mais ils se chamaillaient sur tout. Je n'arrivais pas à créer les conditions du dialogue, jusqu'à ce que la sœur beugle qu'à sa communion solennelle elle n'avait reçu aucun cadeau alors que son frère avait été gratifié d'une montre. Cette anecdote prend tout son sel pour qui sait que ces gens avaient plus de 70 ans !» 

Variation sur ces maux d'enfants métastasés en cancers affectifs de grands : «Après avoir péniblement lu les dispositions testamentaires de leur père à deux gentils frérots qui se battaient froid, rapporte Christophe, j'ai vu ces derniers faire le coup de poing au cimetière parce que l'un avait donné 10 € au chauffeur du corbillard et que ce n'était pas prévu dans le partage !» Si le ridicule tuait, ces deux-là n'auraient-ils pas rejoint papa sous terre et sur-le-champ ? 

Aline, 50 ans dont vingt de notariat dédié au seul droit de la famille, ne le croit pas. «Aussi obscènes soient les comportements, lors des successions nous nageons en pleine psychanalyse. A nous d'expliquer aux héritiers que le deuil est un puits qu'ils ne parviendront pas à remplir avec l'argent qu'ils se disputent.» Fille d'un notaire de campagne qu'elle accompagnait gamine au domicile de ses clients «pour se repaître des secrets éventés entre pomme au four et eau-de-vie», elle convient néanmoins du caractère vaudevillesque de certaines situations. Et pour cause, elle a souvent slalomé d'une pièce de l'étude à l'autre afin que des protagonistes remontés comme des pendules n'aient à se croiser. Le dossier dit «du manteau et des gommettes» s'est achevé dans ce théâtral climat. Acteurs principaux de la pièce : une sœur handicapée, un frère valide, plus de 60 ans chacun. 

Scénario : leur mère décède, le frangin récupère le vison de la défunte pour l'offrir à sa femme. Sur sa patte valide, la sœurette déboule à l'étude. Crie au vol. Pour partager les biens de la disparue, Aline tente de rapprocher les parties. Dénouement : à l'initiative (désespérée) d'Aline, le bien-portant et l'estropiée collent des gommettes vertes et jaunes sur meubles et effets maternels les intéressant. Précision : les objets marqués de deux gommettes lors de l'inventaire sont attribués sur tirage au sort. Epilogue : le vison de la discorde reste entre les mains du frère, sa coupe ne convient pas aux mensurations de sa cadette. Décryptage d'Aline :«Toute sa vie, le frère a entendu sa mère lui seriner "Ne te plains pas, toi, tu as tous tes membres !" J'ai vite compris que ces années de sacrifices compliqueraient la succession. La sœur, elle, s'est sentie légitime jusqu'au bout. Endoctrinée par la petite musique d'une mère prête à tout pour compenser sa déficience.» Et Aline de lâcher un «Ah, les mères !», qui l'accable manifestement : «J'ai réalisé qu'elles pouvaient être de sacrées peaux de vache. Combien de fois ai-je entendu des veuves éplorées jurer à des enfants qu'elles avaient ignorés s'être détournées d'eux parce que "papa exigeait un amour exclusif, n'aimait qu'elle et se fichait bien des gosses". Le hic, c'est que le notaire a croisé papa de son vivant et sait bien que tout ça est faux.» 

Des femmes, Aline en voit de tous âges, de toutes conditions. Au fil des ans, elle a perdu une poignée d'illusions sur son genre. «Les dames s'émancipent mais restent dans des postures victimaires, qui entretiennent la domination masculine, diagnostique-t-elle avec l'assurance de ceux qui voient au-delà du miroir. Les unions intéressées sinon arrangées ne sont pas marginales. Lors des ruptures, des trentenaires, toutes jeunes mères parfois, réclament leur dû au motif qu'elles ont donné de leur personne en se laissant faire un enfant ! Lorsqu'elles se séparent, elles plument leur père aussi...» Sur quelle base ? «Le discours, c'est : "Mon mari m'a trompée comme tu as trompé maman. Répare donc le mal que font les salauds de ton espèce en payant la soulte de l'appartement que me laisse mon ex."» 

Elise, clerc dans le Sud-Ouest, vante a contrario la réaction qu'eut devant elle une veuve de militaire. Informée par voie testamentaire que le gradé récemment inhumé n'avait pas été avare de sa semence, quatre enfants non communs circulant en effet sur le continent africain, Mme la Générale se défit de son alliance, articula un martial : «J'irai pisser sur sa tombe en chantant la Marseillaise» et leva le camp. Fermez le ban ? Pas encore, plaide Aline : «Si les comportements humains sont finalement assez constants, la peur du déclassement et la crise se sont invitées dans nos offices.» Et de développer : «Dans les années 50, les petites gens empruntaient sur quarante ans au Crédit foncier, achetaient et mouraient dans leur maisonnette. A leur mort, les enfants vendent afin d'avoir un semblant d'apport pour accéder à leur tour à la propriété. S'ils divorcent, comme souvent, ils perdent la moitié. De nos jours, à l'inverse de leurs parents, ils perçoivent une microretraite, ont des gosses de 27 ans au chômage et ces mômes-là vont hériter tard, car on vit très vieux. Le maigre argent qu'ils récupéreront ne leur servira à rien qu'à donner encore moins à ceux d'après, parce qu'ils auront galéré toute leur vie et auront claqué l'essentiel dans des dépenses ordinaires.» 

De nos cagnottes et de nos lits, les notaires savent beaucoup. Mais ces effeuilleurs d'existence ont des pudeurs de vierges effarouchées lorsqu'il s'agit de se laisser déshabiller. Confesseurs oui, confessés non ! Quand quelques-uns s'aventurent à langue délier, ils implorent l'anonymat, fût-ce pour réciter le catéchisme officiel d'une confrérie qui brasse chaque année quelque 600 milliards d'euros de capitaux. 

Un club d'enfants gâtés arc-boutés sur la défense d'un monopole et d'un numerus clausus qui tous deux permettent de copieusement ripailler entre soi. Mais chut, de ce microcosme que François de Closets qualifiait, en 1983, de «haute privilégiature» ne parlons pas ! «Chez nous, c'est malheur à celui qui l'ouvre», déplore Pierre Lestard, qui bat pavillon CGT - une gageure ! -, à la Caisse de retraite et de prévoyance des clercs et employés de notaires. «Quand il y a de la poussière sous le tapis, on l'aspire en catimini. Mais l'essentiel n'est-il pas que le ménage soit fait ?» questionne Valérie, notaire mandatée pour administrer les «études à problèmes», comprenez celles où comptes clients et deniers personnels se confondent. Clerc devenu notaire avant d'embrasser une carrière d'avocat en droit immobilier, Pierre Redoutey avait dénoncé dans les années 80 «un accès biaisé au métier. De toute évidence, la méritocratie par le diplôme était et reste niée. La chancellerie, qui nomme les titulaires d'office, se borne à promouvoir les poulains ou les "fils de" cooptés par les organisations professionnelles. A l'échelle d'une fonction dite publique, ça fait mal à la République !». 

Pour avoir brisé la loi du silence, il fut labellisé «trublion» par une corporation qui, aujourd'hui encore, décide de qui l'intégrera ou pas. Et ce, indépendamment du parchemin des postulants et de leur capacité à acheter un office. Lorsque, en mars 2011, Vincent Le Coq, universitaire toulousain, et Laurent Lèguevaque, ex-juge d'instruction, publient leur Manifeste contre les notaires (éd. Max Milo), la caste s'évertue à leur clouer le bec. Dans un mail adressé en août 2012 à ses confrères, Benoît Renaud, encore président du CSN, disqualifie Vincent Le Coq, aigri, à l'en croire, de n'avoir pu intégrer une profession comparée dans le livre à «un parasite se portant de mieux en mieux dans une France qui va de plus en plus mal». Prescient ou bien informé, il annonce dans le même mail que les écrits «diffamatoires» du «dépité» Le Coq se solderont par une mise en examen... qui ne surviendra que plus de deux semaines plus tard. Zélé, il indique avoir «fourni ces informations à un certain nombre de journalistes». Mais précise : «Cela ne peut suffire à nous assurer la non-publication par les médias des affirmations de ce monsieur.» Notons là un excès de modestie, car l'attachée de presse des éditions Max Milo réagit : «Jamais, je n'ai observé un tel silence sur un bouquin. Plusieurs journalistes m'ont clairement dit qu'ils ne bougeraient pas. Sur instruction de leur hiérarchie ou pour ne pas mettre en péril les "spécial immobilier" réalisés en partenariat avec le notariat !» 

Si suspicion il y a à l'endroit de ces contorsionnistes prompts à faire le grand écart entre la sécurité d'un statut d'officier public et la liberté de bénéfices liés à des activités privées tels le négoce immobilier ou le conseil fiscal, elle n'est pas à chercher du côté de Christiane Taubira. Fin septembre, lors du 108e congrès des notaires, la ministre de la Justice a entonné un chant d'amour aux scribes du XXIe siècle. Emphatique à souhait, elle a caressé le public dans le sens des costumes trois-pièces et des tailleurs épaulés, louant pêle-mêle «grandeur de la mission», légitimité du statut et, cerise sur l'éloge, «caractère social» de la fonction. Les congressistes se seraient bien fendus d'une ola ; ils se sont contentés d'applaudissements plus conformes à leur rang. 

A en croire la garde des Sceaux, les notaires seraient donc «garants de l'accès au droit pour les plus vulnérables». Dans les faits, la chose se discute. Quoique soumis à l'obligation d'aide juridictionnelle réservée aux plus démunis, ces nobles travailleurs sociaux s'y dérobent souvent. «On néglige un peu la chose, car, en plus de ne pas être payés, c'est nous dans ces dossiers qui réglons les frais d'enregistrement», admet Bernard Monnassier dans les locaux prune et absinthe de sa très chic étude du VIIe arrondissement parisien, où les gueux ne doivent pas se bousculer. «Pour les avocats, ce devoir est plus simple : ils font du baratin alors que nous établissons des actes que nous devons facturer. Si nous versions dans la gratuité, nous serions accusés de dumping», objecte sans ironie aucune Benoît Renaud. Dans leur Manifeste, Le Coq et Lèguevaque écrivent avoir sollicité sept chambres départementales afin d'obtenir ladite aide. Quatre ont fait silence. Trois ont décliné leur requête. Crier sur cette seule base aux «tous vénaux» ne serait pas convenable, présenter les études comme des repaires de boy-scouts ne le serait pas davantage. 

«Je me fais sans arrêt engueuler par mon patron au motif que je passe trop de temps avec des mémés désargentées, raconte Elise, clerc débutante. Selon lui, les vieux qui ne sont pas propriétaires ne sont pas rentables : leur succession sera misérable !» Béatrice, plus expérimentée, renchérit : «J'ai travaillé dans plusieurs études enclines à imposer aux clients des actes superflus : acte de partage d'un solde quand il suffit aux héritiers de donner l'ordre au notaire de leur remettre un chèque en signant si nécessaire une copie à l'étude, déclaration de succession pour des biens inférieurs à 50 000 € alors qu'elle n'est pas exigible...» N'en jetez plus, la coupe des petits profits légaux qui font les gros bénéfices immoraux est pleine. 

Elle déborde si on y ajoute les subsides générés par le recours au juteux article 4.«Théoriquement, clarifie Béatrice, le conseil est gratuit, c'est même un devoir, mais l'article 4 permet de tarifer librement certaines consultations si elles sont spécifiques, personnalisées... Tout ça est assez flou pour que certains notaires abusent de cette disposition. Mon boss, c'est un Lucky Luke du 4, il le dégaine jusque dans les Pacs les plus basiques !» Des arrangements «intolérables» aux yeux de notaires, plus ruraux que citadins, «exaspérés que les agissements de quelques-uns ternissent l'image de tous». Et l'un d'assurer : «Moi, je suis un rat des champs. Je roule en Clio, je reçois gratuitement des agriculteurs surendettés, le tout - et je ne m'en plains pas - pour 7 000 à 8 000 € moyens mensuels.» Me Bergerault gronde à sa suite : «Nous avons prêté serment, disposons d'un statut confortable, l'exemplarité s'impose !» 

Nommés par l'Etat mais pas fonctionnaires, collecteurs d'impôts mais professionnels libéraux, ces incongrus de la République justifient à eux seuls la crémière expression populaire «avoir le beurre, l'argent du beurre, etc.». Cajolés comme nul autre, ils bénéficient de l'indéfectible soutien des politiques. Au-delà des époques, par-delà les alternances. «L'Empire, la royauté, cinq Républiques... nous avons toujours été approuvés, jubile Bernard Monnassier, notaire de Serge Dassault, Hubert de Givenchy ou de Dominique Loiseau, veuve du fameux restaurateur. Droite comme gauche profitent de notre expertise sociétale. D'ailleurs, nous avons inspiré des monceaux de lois sur la copropriété, les donations, les régimes matrimoniaux...» 

Fort de ses amitiés avec Christine Lagarde, Claude Guéant ou Eric Woerth, l'homme a facilité le parachutage de Rachida Dati, dans le bourgeois VIIe arrondissement, où il exerce son influence. Hommes de réseaux, les notaires ? Bernard Monnassier, qui administre le Figaro, n'en disconvient pas. «Inutile d'être élu pour distiller des messages. Les gouvernements savent que l'opinion est de notre côté : un député qui malmènerait la profession se mettrait son électorat à dos. Les gens nous sont attachés.» 

La classe politique, elle, ne parvient pas à se détacher. En 1960, un rapport remis à Michel Debré, alors Premier ministre, appelle à l'abolition «des réglementations qui ferment abusivement l'accès à certains métiers et protègent indûment des intérêts corporatistes». Sans suite. Dans la foulée de l'élection de Mitterrand, Robert Badinter envisage, sur la base de travaux conduits par le juriste Pierre Lyon-Caen, de lever le monopole. Reculade. En 2008, alors que la commission Attali stigmatise «le maintien de réglementations obsolètes» nuisibles à la croissance, Nicolas Sarkozy appelle à la fonte du notariat dans une «grande profession du droit». Patatras. «Si les notaires ne constituaient pas pour les élus le passage obligé de leurs opérations immobilières douteuses, auraient-ils droit à tant d'égards de la part des pouvoirs publics ?» grince Vincent Le Coq. 

En charge des affaires civiles au sein du cabinet de Robert Badinter, Pierre Lyon-Caen fait une autre analyse : «Le notariat est un groupe de pression fort important assis sur une puissance économique non négligeable. Lever le monopole exigerait d'indemniser les professionnels : financièrement, cela constituerait un énorme morceau à avaler. A l'époque, le ministère des Finances, associé à cette réforme, freinait des quatre fers. Aujourd'hui, cet obstacle demeure», sur fond de caisses de l'Etat encore plus asséchées. Fixé par les pouvoirs publics, le tarif des actes authentifiés par nos 9 300 «intouchables», lui, est régulièrement revu à la hausse. 

Or, s'insurge Pierre Redoutey, «ce tarif, dont les Français sont prisonniers, n'a rien à voir avec la qualité du service rendu. Beaucoup d'actes s'établissent à une vitesse vertigineuse via les traitements de texte : sur des programmes immobiliers de centaines de logements, il suffit de bâtir une formule et de la reproduire ad libitum. Chaque acquéreur paiera au prix fort des documents pondus en trois minutes chrono.» Et cet avocat d'ajouter que «le coût élevé des actes permet aux notaires de rembourser les emprunts contractés lors de l'achat de leurs très chers offices. En clair, plus que la prestation fournie, ce sont les études que le quidam finance !» Aujourd'hui, la profession dit tirer la moitié de ses revenus du lucratif fromage immobilier, mais la réalité tourne autour de 70 %. «Cette propension à minorer la dépendance à la pierre vise à surévaluer la mission de service public du notariat, aujourd'hui contestée par Bruxelles», explique Pierre Redoutey. Mais chipotage que tout cela ! Dans une enquête publiée en 1987, Ezra Suleiman, prof de science politique à Princeton, ne concluait-il pas que «les notaires français jouissent du plus haut degré possible de protection de l'Etat et de la plus grande latitude pour exploiter leur entreprise commerciale» ? 

Théoriquement, rien de ce qui se tricote dans les études n'échappe au contrôle du ministère de la Justice. Interrogé sur le volume de contentieux visant aujourd'hui nos chers authentificateurs, ledit ministère pourtant a séché. Faute de moyens et «de compétence, car la matière notariale est très absconse», souffle un jeune magistrat, les parquets se contentent d'une distraite attention. Ex-patron du CSN, Michel Maubrey concède que «la chancellerie exerce une tutelle plus proche de la protection vigilante que de la surveillance contraignante». Dans les faits, les pouvoirs publics ont délégué à la profession le soin de s'autodiscipliner. Et, quand un notaire s'apprête à contrôler un autre notaire, il est courtois. Il le prévient. Le laïus type, c'est «Cher ami, j'arrive, débrouillez-vous pour que tout soit en ordre», gloussent plusieurs clercs. Le confrère inspecteur est escorté par un expert-comptable «indépendant»... quoique rémunéré par le notariat. 

Prompt à rappeler l'envoi une fois l'an de fax inopinés qui enjoignent aux notaires de communiquer sous quelques heures leur position comptable, Benoît Renaud s'agace des soupçons qui pèsent sur les contrôles. Mais, malgré une surveillance en trompe l'œil, les notaires sont parfois rattrapés par la patrouille. MMA, assureur de la profession, s'émeut d'ailleurs de l'augmentation des sommes réglées à l'issue de sinistres imputables aux dérives immobilières de quelques officiers publics. Sur la sellette : les ventes en l'état futur d'achèvement (Vefa). Très fréquentes dans le cadre des programmes de défiscalisation de type Scellier, ces transactions sont le talon d'Achille des notaires. La preuve par l'affaire Apollonia, vaste escroquerie à l'investissement locatif, où plusieurs d'entre eux sont suspectés d'avoir acculé des milliers d'acquéreurs à la ruine en leur vendant des biens surévalués.«Quelques dossiers émergent, difficilement», commente Pierre Redoutey. 

Face au notariat, cet avocat a plus perdu que gagné. «Au civil, les juristes des MMA usent toujours de la même stratégie : faire traîner, multiplier les incidents et, si le notaire perd en première instance, aller en appel, voire en cassation. Cela éreinte les plaignants psychologiquement et financièrement.» Porter plainte au pénal s'avère aussi périlleux : «Là, le procureur consulte la Chambre des notaires qui jure ses grands dieux que la poursuite est injustifiée et le dossier, souvent, se clôt. Pour contourner ces tentatives d'étouffement, il faut se constituer partie civile auprès d'un juge d'instruction, mais c'est long et trop cher pour beaucoup de particuliers.» Pourquoi une telle inégalité des armes ? «Parce que magistrature et notariat défendent le même immobilisme social, tranche Laurent Lèguevaque. On ne porte pas plainte contre des notables.» Pas même devant les prud'hommes. 

Dans ce secteur si lucratif, le niveau de rémunération des «petites mains» étonne : 1 350 € nets pour des clercs débutants, 2 780 € net pour des diplômés notaires, soit des bac + 6 ou 7 estampillés «collaborateurs d'office». Pas lourd «au regard des heures sup jamais payées», pestent plusieurs clercs sous cape. Avant de quitter le métier en 2007, Karine se présentait comme «esclave de notaire». Anna, 26 ans, se définit comme «une souillon au service de princes». Pour autant, soupire Elise, «pas un clerc n'attaquera aux prud'hommes sous peine d'être carbonisé. Ils savent qu'ils peuvent continuer à nous exploiter en toute impunité». Une gauchiste analyse que Benoît Renaud récuse : «La différence de rémunération entre celui qui rédige des actes et celui qui dirige une étude me semble légitime. Et puis, le notaire doit pouvoir administrer de façon sereine sans avoir au-dessus de lui une loupiote qui clignote et l'oblige à s'interroger sans cesse sur l'état de ses comptes.» Bel exemple d'humour notarial.

source : Marianne.net

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