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1 avr. 2012

Afghanistan : ce n’est pas la folie la cause de ce massacre

Des villageois afghans prient sur la tombe d’une des 17 victimes du
 massacre perpétré par l’armée américaine dans le district de Panjway,
 dans la province de Kandahar - Photo : AP
Je commence à en avoir assez de l’histoire du soldat "dérangé".


Comme on pouvait s’y attendre, aussitôt que le sergent d’état major de 38 ans qui a massacré 16 civils afghans dont neuf enfants près de Kandahar cette semaine est rentré à sa base, les experts de la défense et des think tanks ont annoncé qu’il était "dérangé". Ce n’était pas un ignoble terroriste pervers et glacial, - ce qui aurait été le cas évidemment s’il avait été un Afghan, et surtout un Taliban —mais seulement un gars qui est devenu fou.

On a entendu les mêmes sottises à propos des soldats étasuniens assassins qui se sont déchaînés dans la ville irakienne de Haditha. C’est le même mot qui a été utilisé pour le soldat israélien Baruch Goldstein qui a massacré 25 Palestiniens à Hébron ; j’en ai d’ailleurs parlé dans un article quelques heures seulement avant que le sergent d’état major ne devienne tout à coup "dérangé" dans la province de Kandahar.
"Apparemment dérangé", "probablement dérangé" ont dit les journalistes, c’est un soldat "qui pourrait avoir eu une sorte de dépression nerveuse" (The Guardian), "un soldat étasunien criminel" (Financial Times) dont "l’acte de barbarie" (The New York Times) a "certainement [sic] été perpétré dans une crise de folie" (Le Figaro). Vraiment ? Est-ce que nous devons croire tout ça ? S’il était complètement fou, notre sergent d’état major n’aurait-il pas plutôt tué 16 compatriotes ? N’aurait-il pas plutôt massacré ses camarades et mis le feu à leurs cadavres ? Mais non, il n’a pas tué des Etasuniens. Il a préféré tuer des Afghans. Il a fait un choix. Pourquoi donc a-t-il tué des Afghans ? Nous avons appris hier qu’il avait rencontré peu de temps auparavant un copain dont les jambes avaient été arrachées. Que faut-il en conclure ?

La version afghane de l’événement a été curieusement lobotomisée - et même censurée - par ceux qui ont essayé d’expliquer l’horrible massacre de Kandahar. Ils se sont souvenu des livres du Coran brûlés - quand des soldats étasuniens de la base de Bagram ont incinéré des livres du Coran - et de la mort des six soldats de l’OTAN, dont deux étasuniens, qui s’en est suivi. Mais je veux être pendu s’ils n’ont pas oublié - et je parle de tous les articles qui traitent des récentes tueries - la déclaration remarquable et hautement significative d’un commandant en chef de l’armée étasunienne en Afghanistan, le Général John Allen, il y a exactement 22 jours. C’était une déclaration si inhabituelle que j’ai découpé l’article avec les paroles de Allen dans mon journal et que je l’ai mis dans ma serviette.

Allen a dit à ses hommes que "ce n’est pas le moment de se venger de la mort des deux soldats étasuniens tués au cours des révoltes de jeudi". Il a dit qu’il fallait, "résister à la tentation de rendre les coups" après le meurtre des deux étasuniens par un soldat afghan. "Il y aura d’autres moments comme celui-ci où vous vous demanderez quel sens ont ces morts", a ajouté Allen, "Il y aura d’autres moment comme celui-ci où vos émotions seront dominées par la colère et le désir de rendre les coups. Mais ce n’est pas le moment de se venger, c’est le moment de rentrer en nous-mêmes, de nous souvenir de notre mission et de nos règles, de nous rappeler qui nous sommes."

Quelles paroles extraordinaires venant d’un commandant de l’armée étasunienne en Afghanistan. Le général en chef a été obligé de recommander à une armée d’élite professionnelle, supposée être hautement disciplinée, de ne pas "se venger" contre les Afghans qu’ils sont supposés aider/protéger/éduquer/former/etc. Il a du demander à ses soldats de ne pas commettre de meurtres. Je sais que les généraux ont dit ce genre de chose au Vietnam. Mais en Afghanistan ? En est-on arrivé là ? J’ai bien peur que oui. Parce que - bien que je n’aime pas les généraux - j’en ai rencontré beaucoup et la plupart du temps ils ont une bonne connaissance de ce qui se passe dans leurs troupes. Et je pense qu’Allen avait dû être informé par ses officiers que les meurtres qui avaient suivi l’incinération des Corans avaient rendus les soldats furieux et qu’ils pourraient envisager de se venger. Et il a donc essayé désespérément - par cette déclaration aussi choquante que révélatrice - d’empêcher le massacre qui a eu lieu dimanche.

Et pourtant, les "experts" avaient complètement oublié ces paroles quand ils nous ont parlé de ces tueries. Aucune référence aux paroles du Général Allen dans leurs articles, pas une seule —parce que bien sûr, cela aurait contredit la thèse du sergent "dérangé" et lui aurait donné un mobile possible pour tuer. Comme d’habitude les médias se sont entendus avec l’armée pour créer un fou plutôt qu’un soldat criminel. Pauvre garçon, il a perdu la tête. Il ne savait pas ce qu’il faisait. Pas étonnant qu’on l’ait rapatrié d’Afghanistan de toute urgence.

Nous avons tous eu nos petits massacres. Il y a eu My Lai, et notre petit My Lai à nous, dans un village de Malaisie appelé Batang Kali où les Gardes Ecossais - impliqués dans un conflit contre des insurgés communistes aguerris - ont assassiné 24 hommes désarmés qui récoltaient le caoutchouc en 1948.

Bien sûr on peut dire que les français en Algérie ont fait pire que les Etasuniens en Afghanistan - une unité d’artillerie française a, dit-on, fait "disparaître" 2000 Algériens en six mois - mais c’est comme de dire que nous sommes meilleurs que Saddam Hussein. Même si c’est vrai, mais cela ne fait pas de nous des êtres moraux. Et c’est cela dont il s’agit : de discipline, de moralité, de courage. Le courage de ne pas tuer pour se venger. Mais quand on perd une guerre qu’on prétend gagner - je parle bien sûr de l’Afghanistan - je crois que c’est trop demander. Le Général Allen semble bien avoir perdu son temps.

Robert Fisk
info-palestine.net

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