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3 mars 2012

Deux poids, deux mesures...

Une atteinte aux Arméniens et à la démocratie

"pourquoi, par exemple, pénaliser les négateurs du génocide arméniens constituerait une atteinte à la liberté d’expression et pourquoi pénaliser ceux du génocide juif n’en serait pas une"

Les considérants de la sentence du Conseil constitutionnel motivant l’invalidation de la loi anti-négationniste ne leurrent que ceux qui veulent bien être trompés. Dans son arrêt du 28 février, le CC n’a fait que donner un habillage juridique à une décision politique. Et quelques que soient les manipulations auxquelles il se livre - Philippe Kalfayan dans une tribune publiée le 1er mars dans le Huffington Post a démontré leurs faiblesses- son jugement n’est rien d’autre qu’un coup de force antidémocratique qui exprime d’une manière générale l’hostilité de la majorité de ses membres aux lois dites « mémorielles » et en particulier l’antipathie de son président Jean-Louis Debré à l’égard de la cause arménienne.

Après avoir censuré, déjà, en tant que président de l’Assemblée nationale le 18 mai 2006 un premier débat sur le sujet, n’avait-il pas affirmé : « Je n’ai cessé de dire que le rôle de la loi n’est pas d’écrire l’histoire, d’écrire l’histoire nationale, et, a fortiori, n’est pas non plus d’écrire l’histoire des autres pays ». Voilà pour « l’impartialité » et la « sérénité » du « juge » sur la question...Ce style de déclaration, qui fleure bon ce que Philippe Sollers appelle la France moisie, s’accompagne de plus d’un vieux compte à régler avec le président de la République à propos de la Turquie. De son retour le 8 février 2005 d’une mission parlementaire dans ce pays, Jean Louis Debré s’était fait sévèrement tacler par Nicolas Sarkozy qui avait ouvertement dénoncé cette initiative dans une réunion du groupe UMP. Le chiraquien pro-turc (à l’époque) Debré s’était alors fâché tout rouge et la vivacité de la polémique entre les deux hommes avait fait l’objet de nombreux articles de presse.

La vengeance est un plat qui se mange froid et Jean-Louis Debré en infligeant en pleine période électorale ce camouflet au Président de la République, lui a rendu avec intérêt la monnaie de sa pièce sept ans plus tard.

Mais les actes de censure de Jean-Louis Debré à l’égard des Arméniens ne s’arrêtent pas là. Armenews a en effet révélé le 17 février dernier, grâce à une enquête de Jean Eckian, que celui qui était à l’époque maire d’Evreux, avait fait scier quelques jours avant l’inauguration d’une plaque de marbredédiée à l’amitié franco-arménienne la partie où figurait un hommage « aux victimes du génocide de 1915 ». Cet acte honteux donne là encore la mesure des agissements non seulement pro-turcs mais aussi anti-arméniens de celui qui préside aux décisions des « sages ».

On comprend mieux dans ces conditions l’insistance de la Turquie à faire pression sur les élus pour que le Conseil constitutionnel soit saisi de la question.

Reste que ce cocktail de convictions politiques et de rancoeur personnelle est aujourd’hui lourd de conséquences pour la mémoire des victimes du génocide, mais également pour la démocratie.

En se comportant comme une troisième chambre, le Conseil a en effet outrepassé ses prérogatives. Il a cru pouvoir le faire en s’appuyant sur l’argumentation juridique développée par son maître à penser en la matière, Robert Badinter, dont les sophismes ne résisteraient à aucun débat. Il est à ce titre dommage qu’il n’ait pu venir au colloque organisé à laMaison du Barreau de Paris le 6 février sur le thème « doit-on pénaliser la négation des génocides ? ». L’ancien président du Conseil constitutionnel avait argué d’une extinction de voix pour annuler à la dernière minute sa participation programmée à cette réunion. Qu’il nous soit autorisé de penser que cette soudaine affection lui a opportunément permis d’éviter la confrontation avec ses pairs sur ce sujet. Et compte tenu de la qualité des intervenants et de la hauteur des débats durant ce meeting, il aurait eu certainement plus de mal à justifier, comme il le fait sans contradicteur dans ses nombreuses tribunes de presse, pourquoi, par exemple, pénaliser les négateurs du génocide arméniens constituerait une atteinte à la liberté d’expression et pourquoi pénaliser ceux du génocide juif n’en serait pas une (question plusieurs fois posée par Serge Klarsfeld).

Probablement aurait-il pu également expliquer pourquoi le tribunal de Nuremberg attesterait du « génocide » juif et pourquoi les cours turques de 1919 qui ont condamné à mort les coupables de l’extermination n’attesteraient pas du « génocide » arménien ? D’autant qu’en tout état de cause, le concept de génocide ne figure ni dans le premier jugement, ni dans le second, ayant été inventé après ces événements, justement pour les qualifier.

Il aurait ensuite pu nous éclairer sur les raisons pour lesquelles le génocide commis par les nazis regarderait la France, et pourquoi celui commis par les Jeunes Turcs ne la regarderait pas, alors même que le pays s’était à de multiples reprises tout au long du XIXe siècle et au début du XXe siècle engagé par des traités et des déclarations à protéger les Arméniens.

Sans doute l’ancien Garde des Sceaux, aurait pu de surcroit nous faire savoir à quelle frontière s’arrête le concept de crime contre l’humanité et pourquoi la douleur des Français juifs serait protégée et la même douleur des Français arméniens occasionnée par les mêmes causes ne le serait pas.

Il aurait alors été certainement instructif d’en apprendre plus sur sa conception très particulière de l’égalité des droits qui est le socle de la République et sur l’approche à géométrie variable du pays en ce qui concerne les lois dites non normatives, qu’on tolère dans une pléthore de cas ( les lois votées ces derniers mois sur la dignité des Harkis ou le 11 novembre), et qu’on dénonce dans d’autres.

Mais Robert Badinter n’a pas besoin de s’expliquer. Il est Robert Badinter. Il fait autorité. Et dans l’environnement d’ignorance générale sur cette thématique teinté d’un soupçon d’allergie envers les « communautés », la toute-puissance de ce maître à penser n’a eu aucun mal à s’imposer et à fabriquer la religion de la plupart des médias, et donc du pays, sur le sujet.

A ce titre il a bien mérité de la Turquie et du diplôme de docteur Honoris Causa que lui a délivré l’université de Galatassaray.

Reste que cette affaire n’est pas finie. Elle commence en réalité réellement. Un autre texte sera déposé par le gouvernement. Le CCAF prépare également dans ses initiatives de riposte, un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme. Et la mobilisation va pouvoir démarrer, non seulement pour préserver la mémoire des victimes du génocide arménien et poursuivre ceux qui se font les complices du crime en le niant, mais aussi d’une manière plus vaste pour protéger la démocratie qui vient d’être bafouée par cet abus de pouvoir manifeste du Conseil Constitutionnel. A suivre.

Source :http://www.armenews.com Ara Toranian

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