Stéphane Guillon a parfaitement raison : on n'a pas assez parlé de BHL et de son dernier livre « La guerre sans l'aimer » (Libération). Je trouve en effet scandaleux qu'on ait fait l'impasse sur cette oeuvre, sur son auteur qui s'est découvert, de concert avec le président de la République, des talents de messager, de diplomate et de stratège au point même de persuader Nicolas Sarkozy de ne rien dire à Alain Juppé de leurs conciliabules.
Comment ne pas s'indigner du fait que les médias, sans doute trop occupés par ailleurs, n'aient pas consacré l'essentiel de leur curiosité et de leur capacité d'admiration à BHL en majesté dans cette entreprise de libération de la Libye ? Pourtant ils auraient dû savoir que toutes affaires nationales et internationales cessantes, toute crise financière mise à part, leur mission, voire leur obligation était de célébrer le héros et de vanter le journal de guerre où sont relatés notamment ses entretiens avec le chef de l'Etat qui a rattrapé la parcimonie des journalistes en traitant le livre de « passionnant » (Le Figaro). BHL n'a eu en vrac que Ruquier, Le Journal du Dimanche, Marianne, Le Parisien, Le Monde, L'Express, Libération, Le Figaro Magazine avec un Philippe Tesson heureusement dithyrambique, et j'en passe... J'espère qu'il y en aura d'autres !
Pour redevenir sérieux, j'avoue ma stupéfaction qu'avec une telle constance et des hyperboles qui ne se lassent jamais d'être appliquées, de manière indissociable, à l'homme et à ses travaux, BHL soit ainsi honoré par pratiquement tous les médias comme si l'esprit critique et la lucidité intellectuelle étaient mis en réserve pour d'autres causes et des personnalités moins admirables. Quelle est donc l'emprise qu'exerce BHL sur ce monde littéraire, médiatique, politique, sur cet univers de mondanité et de réseaux pour qu'il soit ainsi, et dans beaucoup de publications, vanté au-delà de toute mesure ? On perçoit mieux l'étendue de son pouvoir si on se souvient des noces indécentes que, lors d'une fête organisée par BHL pour La Règle du jeu et sous son égide, l'information a nouées avec l'édition, le pouvoir avec la richesse, les privilèges avec les privilégiés. Dans ce mélange conduisant fatalement par la suite, dans les pratiques professionnelles, à l'abandon de toute rectitude mais au culte du personnage qui vous gratifiait ainsi, réside sans doute l'explication de la formidable et fortunée puissance de BHL à l'abri la plupart du temps d'une vigoureuse mise en cause et capable de briser net les quelques audacieux se risquant à du lèse-Lévy. Alors, s'il demande du Sartre, du Malraux, du Lawrence d'Arabie, on lui en donne évidemment !
Pour ma part, je considère qu'une profession se déshonore quand elle laisse apparaître les grosses coutures de ses dépendances et de sa domestication intellectuelle. Les connivences, les complaisances sont là, éclatantes, et on devine que BHL tient avec une main de velours qui sait devenir de fer, sous son joug, aussi intelligent qu'il soit, l'ensemble de ses affidés structurels ou conjoncturels.
Ce triomphe jamais battu en brèche - une fois seulement, le cinéaste qui s'était pris pour Orson Welles avait été remis à sa place en dépit des efforts si peu déontologiques du Point pour sauver son navet - serait supportable si BHL ne l'exploitait pas en permanence pour se rendre hommage et mépriser au moins une partie du peuple français.
Dans Le Parisien, alors que rien moins que quatre journalistes lui posaient des questions, il répondait à l'interrogation : « Pour vous, la France va-t-elle mieux ou plus mal qu'il y a cinq ans ?» que la France «va mieux» à cause de «cette histoire libyenne». Ainsi tout disparaît de ce qui a fait l'histoire au quotidien de la France depuis quatre ans, de la crise internationale, des tragédies, des misères et des détresses. Non, seule compte l'épopée de Libye parce que - c'est formulé implicitement - le Prince et son conseiller étaient aux premières loges. Il est clair que cette appréciation est une évaluation de luxe, le décret d'un homme dont les «fins de mois» ne posent aucun problème.
Cette apothéose historique qui aurait favorisé «l'image de soi que peut avoir un peuple» est évidemment mise en contraste avec «ceux qui sont fiers d'être Français quand on jette un immigré dehors, comme les fripouilles du Front national...». A quel titre et de quel droit se permet-il d'accabler ainsi, d'insulter des citoyens qui n'ont pas eu la chance de participer à la libération de la Libye mais qui vivent comme ils peuvent avec leurs qualités, leurs défauts, leurs petits bonheurs, leur médiocrité peut-être mais dont il est indécent de les nommer «fripouilles» ? Aucune réaction, évidemment, des quatre journalistes !
Personne ne s'offusque devant ce mépris. Personne ne s'élève contre cet outrage. On a trop peur d'apparaître ridicule, tout petit, modeste, sans force ni écho en face d'un BHL qui se permet tout et auquel on permet tout.
Il n'y a aucune raison pour que les médias retrouvent conscience, vigilance et mesure. Qu'ils continuent donc à l'encenser pour tout et n'importe quoi.
Tous au râtelier BHL !
Source : Marianne2.;fr
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