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28 nov. 2011

Syrie : un journaliste de la "grande presse" témoigne

Extraits d’un article de Christophe Lamfalussy publié par La Libre Belgique et Le Courrier international.

Avec sa ligne de chemin de fer désaffectée et ses larges rues, Qousseir [dans la province de Homs] pourrait faire penser à une ville désertée du Far West américain. En principe, 50 000 personnes – dont 7 000 de confession chrétienne – y habitent, mais il y a très peu de passants dans la rue. De nombreux habitants ont quitté la ville. Le petit marché local est surveillé par des policiers en civil. La plupart des rideaux de fer des magasins sont baissés. Et, aux carrefours, l’armée syrienne filtre le trafic.

A l’entrée du quartier général de la police, des sacs de sable empilés et un homme qui monte la garde. Des policiers en civil, kalachnikov en bandoulière, mènent l’inattendu journaliste directement au siège de l’armée, installé à quelques rues de là. Un représentant du ministère de l’Information syrien ouvre les portes.

A Qousseir, plus encore qu’à Homs, les forces de l’ordre syriennes sont en état de siège. Elles ont repris la ville aux insurgés il y a un mois, mais elles sont désormais la cible d’actions sporadiques. Le gilet pare-balles et le casque sont à portée de main. Les blindés bleus de la police patrouillent. D’imperceptibles lignes de démarcation divisent les zones de l’armée de celles des insurgés.

Dans certaines rues, notre taxi doit accélérer, rideaux fermés. Dans d’autres, on est en sécurité. "En vingt jours", explique un colonel, "cinq militaires ont été tués ainsi que trois civils qui combattaient à nos côtés. Les insurgés ont des jumelles au laser, nous observent, sortent des quartiers sunnites et partent en voiture. Une fois arrivés à hauteur de nos positions, ils tirent en rafale.

" Les insurgés visent tous ceux qui travaillent pour les forces de l’ordre. "Ils répandent un climat de terreur, poursuit le haut gradé. Un homme a été tué parce qu’il louait sa voiture à l’Etat. Un autre, un chauffeur de taxi, ramenait des employés de la municipalité chez eux. Il a été tué. Il n’a pas été tué parce qu’il était chrétien, mais parce qu’il travaillait pour l’Etat. Même les éboueurs sont liquidés."

C’est une guerre sans pitié qui se livre à Qousseir. Loin des images du début de la contestation montrant des manifestants pacifiques réprimés violemment par la police, les insurgés se livrent désormais à une tactique de harcèlement des forces de l’ordre. Certains disposeraient d’armes sophistiquées, venues de l’étranger. Et ils ont un grand nombre de munitions. "D’où viennent toutes ces balles à un euro ?" demande le colonel.

Les risques d’attentats sont bien réels. Un démineur de l’armée vient de désamorcer un explosif d’une puissance équivalant à cinq kilos de TNT muni d’un détonateur relié à un téléphone portable. Il était placé dans un sac-poubelle, contre la roue de la voiture d’un retraité de l’armée qui tient un magasin où les soldats viennent s’approvisionner. Mélange de sucre et d’engrais, l’explosif était dissimulé dans une bouteille d’orangeade. Le procédé est classique, mais destructeur. L’homme accepte de témoigner, dos à la caméra et le keffieh sur la tête. Il a peur d’être reconnu. Il a échappé à l’attentat car il a eu son attention attirée par un jeune homme à moto qui tournait autour de sa voiture. Lorsqu’il a inspecté le sac-poubelle, il a immédiatement averti l’armée.

(...)

Les divisions s’approfondissent de jour en jour, et la ville se relèvera difficilement du souvenir des victimes de ce "printemps" qui a tourné au cauchemar. Pour s’en rendre compte, il suffit d’aller chez les Qassouha, l’une des grandes familles, chrétiennes de la ville. Depuis la mort de Bater, il y a trois mois, la famille a élevé un double mur en parpaings devant l’entrée de la bâtisse. Dans le salon, toute la famille est assise : le père, la mère, l’épouse enceinte, les enfants, le frère qui est militaire.

Bater avait 30 ans. Il était carreleur. Il a été tué alors qu’il revenait à motocyclette de son travail, ses outils avec lui. Il a été enterré à la hâte dans la nuit. Son portrait trône désormais sur le mur du salon, parmi les croix et un discret portrait du président syrien Bachar El-Assad. "Les pressions ont commencé quand ils nous ont demandé de participer aux manifestations, raconte le frère. Ils nous ont proposé de l’argent. Puis il y a eu des menaces, dont ce SMS accusant la famille de fournir des armes aux soldats pour tirer sur les manifestants. C’est faux. Nous avons été menacés d’être égorgés. "A ces mots, la famille ne maîtrise plus ses sanglots. Et le père éclate. "J’ai peur, dit-il, que mon autre fils soit tué."

Les Qassouha ne sont pas habités par la vengeance. Ils affirment ne pas disposer d’armes mais demandent que des renforts de l’armée viennent à Qousseir, contrairement aux exigences de la Ligue arabe qui réclame que l’armée syrienne se retire des centres urbains. A cet instant, un échange de tirs nourris éclate dans la rue. Il y a au moins une vingtaine de personnes dans le salon. Les visages sont tendus. Les mots se font plus rares. Nous partirons une demi-heure plus tard, après que la famille a récité un Notre Père aux côtés de la supérieure d’un monastère venue leur rendre visite.

Les voix chrétiennes se sont mêlées au chant du muezzin, qui appelait au même moment à la prière. Dans le quartier, vivent ensemble des familles chrétiennes et musulmanes. Il n’y a jamais eu d’incidents. (...) Mais la communauté chrétienne a peur de l’avenir. Elle craint la montée du wahhabisme saoudien. "Je suis venu pour la première fois à Qousseir en 1988, raconte un prêtre catholique. Il y avait une entente formidable entre les musulmans et les chrétiens. Maintenant, c’est clair : le wahhabisme domine la pensée musulmane. Nous pouvons vivre avec les salafistes s’ils sont faibles. Mais pas quand ils seront forts. Les chrétiens ont peur du présent, mais aussi de l’avenir."

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