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22 juil. 2013

Cinq petits mots pour tout dire

Ces cinq petits mots n’ont guère fait de bruit. Et pourtant…

Pourtant, quand un ancien ministre français, M. Bruno Le Maire, qui a déjà fait part de ses ambitions présidentielles, revient sur la concurrence qui, il y a deux ans, l’opposa à un de ses collègues pour succéder à Mme Christine Lagarde au ministère des finances, on sursaute de le lire ainsi décliner ses qualités : « Quand Christine Lagarde a quitté Bercy pour le FMI, on m’a proposé le poste. On m’a demandé de le prendre. Puis on me l’a retiré. C’est ça, l’histoire, et elle est simple. Tout le monde alors — de Juppé à Sarkozy en passant par Balladur et les présidents du CAC 40 — a estimé qu’il y avait une personne compétente pour reprendre Bercy, c’était Bruno Le Maire (1). »

Ainsi « les présidents du CAC 40 » comptent désormais au nombre des cautions dont se prévalent certains ministres soucieux d’accélérer leur carrière. A la limite, on s’en doutait un peu (2). L’ingénuité d’un tel aveu public surprend davantage. Il n’est donc plus interdit en France d’avouer que la politique économique et financière du pays se fait « à la corbeille » (le sobriquet donné autrefois à la Bourse), le CAC 40 étant précisément constitué des quarante principales sociétés cotées du pays.

Interrogé en 1966 sur les fluctuations de la Bourse, le général de Gaulle, inspirateur (très théorique…) de l’UMP, formation de M. Le Maire, eut cette réplique : « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille ». Il fut alors applaudi par certains journalistes…

Foin d’hypocrisie, ce que M. Le Maire (UMP) a admis, Pierre Moscovici (PS) ne devrait-il pas le reprendre à son compte ? Les récentes déclarations du ministre socialiste de l’économie et des finances remettant en cause la taxe sur les transactions financières, popularisée par Le Monde diplomatique (3), amènent en tout cas à se poser la question.

Le 11 juillet, lors d’une conférence destinée à des banquiers, M. Moscovici, devançant les craintes de ses auditeurs, s’est en effet transformé en porte parole du lobby bancaire : « La taxe sur les transactions financières suscite des inquiétudes quant à l’avenir industriel de la place de Paris et quant au financement de l’économie française. Le travail que je veux mener, c’est un travail d’amélioration de la proposition de la Commission pour mettre en œuvre une taxe qui ne nuise pas au financement de l’économie. » De M. Le Maire à M. Moscovici, l’alternance gouvernementale est décidément bien douce pour le CAC-40. Et, au moment où Nicolas Sarkozy semble poser les jalons de son retour en politique active, le lobby bancaire n’a rien à craindre non plus de l’ancien président de la République au cas où sa revanche serait victorieuse dans quatre ans. Car, depuis qu’il a quitté l’Elysée, M. Sarkozy a occupé son activité — et accru sa fortune — en enchaînant les conférences devant des financiers. Tarif moyen : 100 000 euros.

Ce phénomène, on le sait, n’est pas spécifiquement français, loin de là. Aux Etats-Unis, l’ancien président Bill Clinton, qui a collecté 17 millions de dollars l’année dernière, n’a pas hésité à réclamer 700 000 dollars pour une seule conférence à Lagos, au Nigeria, un des pays les plus pauvres du monde… Son épouse, Hillary Clinton, ancienne ministre des affaires étrangères de son pays, est à son tour entrée dans la danse. Moyennant 200 000 euros par discours, elle révèle par exemple que le « leadership est un sport d’équipe »… (4) Aussi lucratif que le football professionnel ?

Le Britannique Anthony Blair (5) l’Allemand Gerhard Schröder, l’Espagnol José María Aznar : la liste est longue désormais des anciens dirigeants politiques dont le divertissement des financiers et des banquiers est devenu le nouveau métier. Les banques les rémunèrent sans doute aussi à proportion des services qu’ils ont autrefois reçus d’eux.

Dernier exemple en date : M. Ehud Barak. Il y a quelques jours Le Figaro nous apprenait que « l’ancien ministre israélien de la Défense et ex-chef du gouvernement s’est reconverti dans la finance. La banque privée Julius Baer, spécialisée dans la gestion de portefeuilles de clients très fortunés, l’a recruté comme “consultant spécial pour les questions géopolitiques et macroéconomiques”. Le montant de ses rémunérations atteindrait plusieurs centaines de milliers de dollars par an (6). »

Au moment où des centaines de millions de personnes souffrent des conséquences d’une crise financière, grâce soit rendue à l’élégance exquise des dirigeants démocratiques qui s’enrichissent en discourant devant des barons de la finance. Et qui n’oublient jamais de se faire apprécier par « les présidents du CAC 40 ».


(1) Le Magazine du Monde, 13 juillet 2013.


(2) Lire Serge Halimi, « Etat des lieux pour préparer une reconquête », Le Monde diplomatique, mai 2013.


(3) Lire Ignacio Ramonet, « Désarmer les marchés », Le Monde diplomatique, décembre 1997.


(4) Amy Chozick, « Hillary Clinton Taps Speechmaking Gold Mine », The New York Times, 11 juillet 2013.


(5) Lire Ibrahim Warde, « Blair Inc. », Le Monde diplomatique,novembre 2012.


(6) Le Figaro, 4 juillet 2013.



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