Le plus peuplé des pays d'Afrique traverse une phase difficile. Dans ce pays, le Nigeria, l'un des plus prometteurs du continent, c'est synonyme de danger : ce géant pétrolier a déjà prouvé son aptitude à s'enfoncer dans de terribles guerres ethnico-religieuses.
Hausse des prix du pétrole aidant, le Nigeria – 160 millions d'habitants et le plus gros producteur d'hydrocarbures d'Afrique – connaît une forte croissance : 8,4 % en 2011. Mais 2012 commence de manière inquiétante, sur fond de troubles sociaux et, plus grave peut-être, de menace de guerre civile.
La journée du lundi 9 janvier devait être marquée par une grève générale dure, étendue à tout le pays. Elle a été décrétée par deux des plus grands syndicats nigérians. Ils protestent contre la décision du gouvernement du président Goodluck Jonathan de supprimer une importante subvention au secteur pétrolier.
C'est une mesure de bonne gestion. Ladite subvention permet de diviser par deux le prix de l'essence, et profite le plus à une classe moyenne et supérieure qui roule souvent en grosse cylindrée. Mais le gouvernement n'a pas pris en compte le fait que le coût des transports pèse de façon disproportionnée sur les 70 % de Nigérians qui vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Les Eglises chrétiennes ont qualifié d'"immorale" la décision du gouvernement. Le président Jonathan serait bien inspiré d'assouplir sa politique budgétaire ; il lui faut prendre des mesures de compensation pour les plus pauvres. Sinon, il risque une grève longue, dure et violente dans un pays déjà en proie à un début de guerre civile dans le Nord.
Immense, le Nigeria compte autant de chrétiens que de musulmans. La mixité y est la règle, même si les premiers sont majoritaires dans le Sud. Dans le Nord, une insurrection armée, conduite par le mouvement Boko Haram, un groupe islamiste, a pris de l'ampleur depuis Noël. Elle s'en prend aux banques, aux bâtiments publics et, plus encore, aux chrétiens. Eglises, écoles et quartiers chrétiens sont régulièrement attaqués. On compte près d'une centaine de morts depuis décembre. Ici et là, l'armée a déployé des chars, alors que des combats de rue opposaient les djihadistes aux forces gouvernementales.
Dans cet immense pays, c'est un deuxième foyer d'insurrection : l'armée, qui se comporte en général avec une insigne brutalité, est déjà opposée à une rébellion des habitants du delta du Niger. Sans doute lié à d'autres groupes djihadistes, notamment ceux de l'Afrique sahélienne, Boko Haram "exige" le départ des chrétiens du Nord. Ceux-ci parlent à juste titre de "nettoyage religieux". Ils évoquent la guerre civile qui, à la fin des années 1960, a fait près d'un million de victimes dans le pays.
La tragédie du Nord est symptomatique. Le Nigeria est en pleine croissance, avec un dynamisme privé admirable. Mais il reste sous-équipé et sous-administré. Il lui faut d'urgence bâtir un secteur public. C'est à sa portée.
lemonde.fr
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