Champ de maïs Monsanto à Woodland, en Californie. – Photo Noah Berger/Bloomberg |
Robb Fraley a la chaleur des hommes du Midwest. Fils de fermier, il a passé l’essentiel de sa vie entre le Mississippi et l’Ohio, ces deux fleuves qui irriguent les grandes plaines agricoles d’Amérique.
L’absence de cravate et la cordialité du déjeuner organisé avec une poignée de journalistes, la semaine dernière à Saint-Louis (Missouri), ne doivent, toutefois, pas tromper : Robb Fraley est un homme puissant, qui suscite autant d’admiration que de haine. Pour certains, c’est un grand scientifique ayant modernisé le monde agricole comme peu de personnes avant lui. Pour d’autres, c’est un Frankenstein, le premier à avoir modifié l’ADN d’une plante au nom de Monsanto, il y a une vingtaine d’années. « Nous avons beaucoup travaillé auprès des fermiers, mais nous n’avons pas assez communiqué auprès des consommateurs », reconnaît celui qui est devenu depuis vice-président du groupe, chargé des développements technologiques. La bataille de l’image est d’autant plus cruciale que Monsanto arrive à saturation sur ses marchés phares - l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud - et que ses principaux brevets (soja et maïs) sont en voie d’expiration. Si Monsanto veut poursuivre sa croissance, il lui faut donc lancer de nouveaux produits et convaincre des pays d’accepter la culture d’organismes génétiquement modifiés (OGM), au-delà de la trentaine qui la pratiquent déjà (Brésil, Chine, Inde, Afrique du Sud, Espagne, Canada, etc.).
Au centre de recherche de Chesterfield et au siège social de Crève Coeur, les biologistes débitent tous le même argumentaire pour défendre les OGM : la population mondiale augmente, chaque année, à hauteur de celle du Japon (soit 128 millions de personnes). Les Nations Unies estiment que la terre sera peuplée de 9 milliards d’habitants d’ici à 2050 et qu’il faudra doubler la production de grains d’ici là. Pour y parvenir, il faudra non pas augmenter les surfaces cultivables mais doubler le rendement des champs existants. « Je suis heureux de travailler parmi les rares entreprises qui nourrissent cette ambition », lance Robb Fraley. Nul ne peut contester les performances de Monsanto dans ce domaine, qu’il s’agisse du maïs, du colza, du coton ou du soja - les quatre espèces les plus manipulées aujourd’hui : grâce à ses semences, le rendement du maïs aux Etats-Unis a, par exemple, augmenté de 64 % au cours des trente dernières années. Nul ne peut contester, non plus, son talent technologique : dans les laboratoires de recherche sont exhibés des instruments uniques au monde, comme ce robot permettant de prélever une toute petite partie de millions de grains de maïs pour décortiquer leur ADN et savoir lequel résistera le mieux à la sécheresse, aux épidémies et aux insectes. Grâce à lui, il n’est même plus besoin de faire pousser les plantes pour sélectionner les meilleures.
L’emprise de Monsanto est déjà quasi-totale aux Etats-Unis : plus de 90 % du soja et 80 % du maïs sont produits à partir de ses semences. Les agriculteurs sont ainsi prêts à payer deux fois plus chers que pour des graines normales, avec la promesse d’obtenir une meilleure résistance aux insectes, à la sécheresse… et aux herbicides produits par Monsanto ! Ancien géant de la chimie reconverti dans la biogénétique, le groupe a conforté son avance technologique en écrasant la concurrence : entre 1995 et 2005, il a racheté une cinquantaine d’entreprises semencières à travers le monde. A ceux qu’il n’a pas absorbés, il vend des accords de licence qui leur permettent d’utiliser les gènes Monsanto dans leurs propres semences, étouffant ainsi tout effort de recherche de leur part. C’est le cas de l’un de ses principaux concurrents, Syngenta, qui préfère utiliser les gènes du nouveau soja Monsanto (Roundup Ready 2) plutôt qu’investir des millions de dollars en R & D.
Le National Emancipé 2014
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