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16 déc. 2013

Politique étrangère : Hollande dans le «bain néocon»

Hollande aime faire la guerre. En dix-huit mois, il a engagé la France dans deux conflits armés, au Mali et en Centrafrique, et il était prêt à le faire en Syrie. Il voulait « punir » Bachar el-Assad comme il voulait « détruire » les terroristes dans le Sahel. Il affiche sa « fermeté » sur l’Iran et assume son amitié avec Benjamin Netanyahou. Le président français serait-il devenu néoconservateur ?

C’est une interrogation récurrente, entendue depuis la guerre au Mali dans la bouche de diplomates ou de responsables militaires. En janvier, au lendemain du déclenchement de l’opération Serval, c’est l’ancien ministre des affaires étrangères Dominique de Villepin qui, le premier, jugeait que « le virus néoconservateur » avait « gagné tous les esprits ». Laurent Fabius « demeure influencé par les néoconservateurs français, qui sont très bien placés, sérieux et influents au ministère des affaires étrangères. Ce sont eux qui contrôlent la haute administration en matière de relations internationales », expliquait aussi récemment à Mediapart le chercheur Bernard Hourcade, à propos du dossier iranien.


Le « néoconservatisme » est un mouvement qui a émergé dans les années 1960 aux États-Unis, parti de la gauche anti-communiste jusqu’à former l’aile droite du parti républicain. Concrètement, les “néocons”, grands inspirateurs de la guerre en Irak, se moquent totalement de l’Onu, pensent qu’il faut défendre l’Occident, dont la pointe avancée est Israël, contre les puissances émergentes, méprisent les pays arabes, jugent que la démocratie est le meilleur régime parce qu’il garantit le plus sûrement la paix et la sécurité et qu’il faut l’instaurer, y compris militairement, à l’étranger.


Mais ils sont tellement liés à une conception de l’Amérique et à une défense de la première puissance mondiale que parler de « néoconservateurs français » confine au contresens. Sauf qu’en France, un certain nombre d’intellectuels et de diplomates se sont inspirés de cette doctrine – c’est le cas de figures comme Bernard Henri-Lévy ou André Glucksmann et d’un petit groupe de fonctionnaires du Quai d’Orsay dont la plupart ont été en poste aux États-Unis et/ou en Israël au plus fort de la vague “néocon”, au début des années 2000. Ils ont même longtemps pensé avoir trouvé leur George W. Bush avec Nicolas Sarkozy, élu avec la volonté de rompre avec Jacques Chirac et de se rapprocher des États-Unis et d’Israël, et leur Donald Rumsfeld avec Bernard Kouchner. Ils ont été partiellement déçus.


L’élection de François Hollande en mai 2012 aurait pu sceller leur marginalisation définitive. Pendant la campagne, deux courants s’opposaient dans l’entourage du candidat socialiste, entre, d’un côté, les “jospino-védriniens”, fidèles à la ligne dite gaullo-mitterrandienne, et, de l’autre, certains membres de l’entourage de Pierre Moscovici, plus poreux à certaines théories néoconservatrices. Mais “Mosco” n’a pas obtenu le Quai d’Orsay et, dans les cabinets, ce sont les premiers qui ont d’abord occupé les postes les plus importants, avec Paul Jean-Ortiz qui dirige à l’Élysée la cellule diplomatique et Denis Pietton, premier directeur de cabinet de Laurent Fabius au Quai d’Orsay. Tous deux furent conseillers d’Hubert Védrine dans le gouvernement de Lionel Jospin. L’ancien ministre socialiste des affaires étrangères qui exerce toujours une influence importante au PS s’est aussi vu confier, au lendemain du 6 mai, un rapport sur la France dans l’Otan – récemment, il en a coordonné un second, sur les échanges économiques avec l’Afrique.


Sauf que, six mois à peine après l’arrivée de Hollande à l’Élysée, les premières inquiétudes se sont exprimées, mezzo vocce d’abord, puis de plus en plus franchement. Le premier épisode a été celui de l’adhésion de la Palestine à l’Onu. Candidat, le socialiste avait promis de voter pour. Président, il a longuement hésité, avant de finalement tenir sa promesse. En voyage à Jérusalem et à Ramallah, le mois dernier, le président français a fini par rappeler la position historique de la France en faveur d’un État palestinien, mais après de longues discussions dans son entourage, et en restant plus réservé que Nicolas Sarkozy sur la colonisation. Son « chant d'amour pour Israël et pour ses dirigeants » a aussi fait grincer des dents.


Aux côtés du premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, François Hollande a également multiplié les déclarations très fermes à l’égard de l’Iran – un dossier sur lequel il avait choisi, dès son arrivée à l’Élysée, de conserver la même ligne que celle de Nicolas Sarkozy. Jusqu’à l’accord intérimaire trouvé fin novembre à Genève, la France, avec Laurent Fabius, a choisi d’être le pays négociateur mettant le plus en scène sa méfiance vis-à-vis du régime de Téhéran.


En janvier 2013, quand il lance l’opération Serval au Mali, certains mots prononcés par le président laissent aussi pantois une grande partie des spécialistes des relations internationales. François Hollande parle alors de « lutte contre le terrorisme » et son ministre de la défense Jean-Yves Le Drian parle de « guerre contre le terrorisme », une expression tellement connotée que son emploi est confondant. Le chef de l’État appelle aussi à « détruire » les terroristes. « Vous vous demandez ce que nous allons faire des terroristes si on les retrouvait ? Les détruire », dit-il le 15 janvier.


Ce sont encore les mots qui détonnent dans la bouche d’un président socialiste lorsqu’il annonce être prêt à envoyer l’armée française en Syrie, après le massacre à l’arme chimique commis fin août, pour lui par le régime de Damas (en fait, par les rebelles). « La France est prête à punir ceux qui ont pris la décision infâme de gazer des innocents », explique alors Hollande. « Punir » : le terme renvoie sans ambiguïté à la phraséologie morale des néoconservateurs, d’autant plus que le chef de l’État est alors disposé à employer la force sans l’aval de l’Onu, où la Chine et la Russie s’opposent fermement à toute intervention contre Bachar el-Assad.


« Sur les autres dossiers, comme la Palestine à l’Onu ou le discours de Tunis où François Hollande a jugé l’islam compatible avec la démocratie, ses décisions ont été lentes et ouvertes jusqu’au dernier moment, mais elles ont, à chaque fois, fini par reprendre les constantes de la politique étrangère française. La vraie embardée, c’est l’aventure syrienne », explique un proche du président, aujourd’hui retiré des affaires. Un avis partagé par le chercheur Pascal Boniface, dans une tribune récente publiée dans La Croix. « Une telle action, illégale et contraire aux intérêts de la France comme membre permanent du Conseil de sécurité, aurait accrédité sérieusement l’idée d’un tournant néoconservateur », explique-t-il, avant de conclure finalement à une continuité de la politique étrangère sous Hollande.


À chacun de ses épisodes sont aussi revenus du Quai d’Orsay les récits de l’opposition, historique, entre la direction Afrique du Nord-Moyen Orient et celle des affaires stratégiques, surnommée « la secte » par ses contempteurs et accusée d’être noyautée par les “néocons” – c’est cette dernière qui est en pointe sur le dossier du nucléaire iranien. Les “védriniens” ou les tenants du “gaullo-mitterrandisme” s’inquiètent aussi de voir confirmer la carrière de certains diplomates influencés par les “néocons”. 


C’est par exemple le cas de Gérard Araud, ambassadeur de la France à l’Onu, ancien directeur des affaires stratégiques et ex-ambassadeur en Israël dans les années 2000, de Philippe Errera, nommé par la gauche directeur des affaires stratégiques du ministère de la Défense après avoir été représentant de la France à l’Otan, ou de François Richier, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, passé lui aussi par les affaires stratégiques, et ambassadeur en Inde depuis 2011.


Au Quai d’Orsay, Jacques Audibert, nommé par Bernard Kouchner, occupe toujours le poste-clef de directeur des affaires politiques et de sécurité, et l’ambassadeur Éric Chevallier, proche de Kouchner, a la main sur la politique française en Syrie. Quant à Laurent Fabius, son cabinet a été fortement remanié en juin dernier, avec le départ de plusieurs arabisants et de Denis Pietton, directeur de cabinet pour le Brésil. Le ministre a depuis choisi comme directeur de cabinet adjoint un des visages de cette génération de diplomates, souvent jugés brillants et poreux aux thèses néoconservatrices, Martin Briens. 


Ainsi, Mediapart citait en 2009 un diplomate européen à propos des négociations avec l’Iran : « L'équipe qui travaille aujourd'hui sur ce dossier à l'Élysée et au Quai d'Orsay reste sur la ligne ferme fixée avec l'administration Bush en 2003. Ce sont des gens comme François Richier, Martin Briens ou Philippe Errera, qui sont des idéologues assez durs. Ils ont été en poste à Washington à l'époque Bush et ils ont baigné dans l'atmosphère néoconservatrice de l'époque. »


Leurs « fonctions toujours éminentes dans le système », selon un proche de François Hollande, ont fait tiquer une partie du staff présidentiel, même si le président de la République a choisi à son arrivée à l’Élysée de renoncer à toute « chasse aux sorcières » dans les ministères, convaincu qu’il fallait s’en tenir à la vision, très française, d’une haute administration pérenne, au-delà des alternances politiques. « Hollande n’était pas néocon mais, effectivement, après le 6 mai, certains ont pu penser qu’il pourrait le devenir », témoigne un proche, aujourd’hui en poste dans un cabinet ministériel.


La thèse fait bondir au Quai d’Orsay, parmi les proches de Laurent Fabius ou le ministre délégué au développement Pascal Canfin. « Les bras m’en tombent. Sur tous les points de doctrine de base des néocons, on fait l’inverse ! » dit-il d’emblée. L’écologiste en veut pour preuve le recours à l’Onu – au Mali et en République centrafricaine (RCA), la France intervient sous mandat international –, la coopération avec des forces africaines – « on n’intervient pas seul » – , et la volonté affichée lors du Sommet de l’Élysée début décembre de bâtir une force africaine d’intervention rapide pour que « les Africains assurent eux-mêmes leur sécurité ».


« Et parler de “faucons” est également totalement faux. Au Mali et en RCA, notre intention première n’était pas d’intervenir. L’intervention militaire est le dernier recours pour la France. Simplement, la réalité nous rattrape », juge encore Pascal Canfin, qui vient de boucler son projet de loi sur le développement, le premier du genre en France, censé bâtir « une nouvelle relation avec l’Afrique », loin des démons de la Françafrique. « Nous avons une doctrine que nous essayons de bâtir. L’idée c’est que la sécurité n’est pas possible sans développement et que le développement n’est pas possible sans sécurité », dit l’ancien député européen.


Quant à la Syrie, et l’absence de mandat onusien sur lequel Hollande était prêt à s’asseoir, le ministre reprend l’argumentation de l’Élysée sur « l’épuisement de la réalité diplomatique de l’Onu face à Vladimir Poutine ». « Cela revenait à se condamner à l’impuissance », dit Canfin, dont le parti, les Verts, avait déjà défendu l’intervention française au Kosovo en 1999, sans le feu vert de l’Onu. C’est à peine s’il admet certains écarts de langage. « Sur les terroristes au Mali, ce qui était important, c’était d’éviter de les appeler “djihadistes” donnant l’idée d’une guerre contre les musulmans, menée au nom du choc des civilisations par des croisés chrétiens », rappelle le ministre.


« Chez Hollande, la tactique l’emporte toujours sur le reste. »


En réalité, les spécialistes interrogés s’accordent tous à dire que « la guerre contre le terrorisme » ou le « punir » syrien relevaient surtout de maladresses de langage, sans doute partiellement liées au « bain néocon » de certains conseillers, mais pas d’une doctrine établie au sommet de l’État. Comme en politique intérieure, François Hollande « est le contraire d’un doctrinaire », rappelle un ancien haut responsable du Quai d’Orsay : « Il a une grande confiance dans son sens tactique. Un peu comme en bureau national élargi (du PS –ndlr), il se demande ce qu’il peut faire avec Poutine ou Obama. Chez Hollande, la tactique l’emporte toujours sur le reste. »


Elle l’emporte d’autant plus que François Hollande n’a jamais été un grand spécialiste des relations internationales (même s’il s’en est occupé quand il était premier secrétaire du PS) et, durant sa campagne, il avait évité de prononcer un grand discours sur le sujet. « Hollande n’est pas du tout néoconservateur. Cela impliquerait d’avoir des convictions claires et la volonté de les mettre en œuvre. Il est plutôt quelqu’un qui s’adapte à des situations de façon pragmatique », juge Jean-Paul Chagnollaud, directeur de l'Institut de recherche et d'études Méditerranée-Moyen-Orient (iReMMO). Y compris sur la Syrie, estime ce chercheur qui était favorable à une intervention militaire contre Bachar el-Assad.


« Le terme “punir” était maladroit parce qu’il sous-entendait une substitution à la justice internationale, et parce qu’il renvoyait à la politique coloniale. Alors que l’action pouvait avoir du sens, on a pris un terme extrêmement maladroit. Tout cela relève d’un bricolage intellectuel », dit Chagnollaud. « Sur les armes chimiques, Hollande a eu une réaction émotionnelle. Il a considéré que la France se devait de fixer des lignes rouges parce que, plus que d’autres, elle avait souffert des armes chimiques… Hollande connaît les doctrines mais il s’en sent libre », dit aussi un proche du président. Avant d’ajouter : « François Hollande a une vision mais elle prend du temps à se développer. Il a aussi pris le temps d’entrer dans le costume présidentiel. »


Dans ce flou idéologique, plusieurs fins connaisseurs de la politique étrangère du PS perçoivent d’ailleurs davantage « une résurgence inattendue de réflexes SFIO », selon l’expression d’un ancien haut responsable du Quai d’Orsay, qu’une conversion dogmatique au néoconservatisme. La SFIO, l’ancêtre du PS, avait, à l’époque, soutenu la diplomatie du président américain Wilson (le néoconservatisme est un « wilsonisme botté », selon l’expression du chercheur et diplomate Justin Vaïsse), avant de défendre, avec Guy Mollet, l’expédition de Suez en 1956 et de s’opposer au retrait de l’Otan décidé par le général de Gaulle.


Au final, c’est dans ce balancement permanent entre différentes inspirations que se meut continûment François Hollande, dans un « un consensus mou qui ressemble à un “continuisme discret” », selon l’expression du chercheur Bertrand Badie. Et c’est dans sa réaction face à un événement historique qu’il se définira. L’accord scellé avec l’Iran n’est pour l’instant que provisoire. Dans six mois, il s’agira de le transformer définitivement. L’attitude de la France sera déterminante.

Source: ToutSaufSarkozy.com

Le National Emancipé 2013

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