Une majorité éclatée, une popularité laminée, une économie plombée : le président n'a plus les moyens d'agir en profondeur. Cela tient aux erreurs de l'homme mais aussi au jeu politique qui raccourcit la légitimité des élus.
Bien sûr, il a été élu pour cinq ans. Mais moins d'un an et demi après son élection, François Hollande a déjà achevé son action de président. Il ne sera désormais plus qu'une image de chef de l'Etat. Symboliquement, c'est une jeune fille de quinze ans qui a clos la séquence active du quinquennat. Il y a dix jours, Leonarda rejetait dans la seconde son jugement de Salomon baroque faisant penser à « Tintin au Congo » découpant un chapeau en deux pour contenter deux larrons : la fille en France, la famille au Kosovo. Plus profondément, l'élu du 6 mai 2012 est tétanisé par une majorité éclatée, une popularité laminée, une économie plombée. En témoignent ses revirements sur la fiscalité qui constitue pourtant, si l'on ose dire, son péché mignon : baisse de l'impôt sur les sociétés devenue une hausse, annulation de la diminution du taux réduit de TVA, maintien d'une fiscalité favorisant le diesel, suppression de la taxation des plans d'épargne en actions (PEA) au taux normal de CSG…
Certes, le président va peut-être tenir sa grande promesse d'inverser la courbe du chômage dans les mois qui viennent. Mais cette victoire remportée en créant des dizaines de milliers de postes aidés, aussi coûteux qu'éphémères, ne sera qu'un faux-semblant. Plutôt que la mère de toutes les réformes, elle ne sera qu'une fille maladive bientôt condamnée.
Bien sûr, il est tentant d'incriminer l'homme, et ce n'est pas forcément injustifié. Enarque rompu aux brillantes joutes verbales plus qu'à l'action de terrain, forgeron dix ans durant de subtiles motions de synthèse au PS, élu comme Jacques Chirac d'une Corrèze longtemps dominée par le « petit père Queuille » pour qui « il n'est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout », François Hollande n'est pas précisément réputé pour sa capacité à décider. Mais le problème va bien au-delà. Hollande est le nom d'une paralysie politique que l'on retrouve ailleurs, dans le temps et l'espace. Cette paralysie a trois grandes racines : le jeu politique lui-même qui accorde la légitimité aux gouvernants pour peu de temps, des institutions qui encouragent les bâtons dans les roues et une gauche qui n'aime pas gouverner.
Le jeu politique d'abord. Rien de neuf sous le soleil : les présidents de la Ve République ont toujours accompli l'essentiel de leurs réformes en début de mandat. Le général de Gaulle bien sûr, avec la Constitution et le nouveau franc. Valéry Giscard d'Estaing, avec la dépénalisation de l'avortement et le divorce par consentement mutuel. François Mitterrand, avec l'abolition de la peine de mort, la retraite à 60 ans et les nationalisations. Jacques Chirac évidemment, dont l'ardeur disparaît dans le naufrage de la réforme des régimes spéciaux de retraite, sept mois à peine après son élection. Nicolas Sarkozy, avec la représentativité syndicale et la refonte des cartes judiciaire et militaire. La réforme des retraites, trois ans après l'arrivée à l'Elysée, constitue une exception due à la très forte dégradation des finances publiques et la pression venant de Bruxelles et des agences de notation. François Hollande, lui, a fait passer le mariage pour tous, un contrat de travail assoupli pour les entreprises en difficulté et une nouvelle réforme des retraites. Cette étroite fenêtre réformatrice se retrouve partout. Dans son rapport « Doing business » de 2007, le cousin de celui qui sort aujourd'hui, les experts de la Banque mondiale relevaient que, dans les pays qui réforment beaucoup, « près de 85 % des réformes ont lieu dans les quinze mois d'un nouveau gouvernement ».
Les institutions ensuite. Est ici en cause le jeu compliqué entre un président doté de pouvoirs substantiels et d'une légitimité issue du suffrage universel et un Parlement seul habilité à légiférer. Si le président est protégé par une irresponsabilité juridique devant l'Assemblée nationale, cette Assemblée nationale est symétriquement tentée par l'irresponsabilité politique - contrairement à ce qui se passe dans les vrais régimes parlementaires. Dès lors, il devient très difficile de réformer durablement en profondeur. Les présidents autoritaires, comme le général de Gaulle ou Nicolas Sarkozy, avaient contourné cet obstacle en transformant la Chambre basse en placard à godillots, au moins en début de mandat. François Hollande n'a pas ce tempérament. Ce jeu ambigu n'est toutefois pas une spécificité française. La seule autre grande démocratie élisant son président au suffrage universel est aussi paralysée dans ses réformes de fond par un Parlement irresponsable : il s'agit des Etats-Unis.
La gauche française, enfin, aggrave encore la situation. A la fin des années 1970, après deux décennies de droite au pouvoir, un dictionnaire avait fini par la définir comme « le parti de l'opposition ». Cette définition révoltante reflète hélas la réalité d'aujourd'hui. A l'inverse de l'UMP, le PS est infiniment plus à l'aise quand il n'est pas au pouvoir. Et ce n'est guère étonnant. Car depuis le Programme commun de 1972, il n'a jamais travaillé à définir ce que pourrait être une politique de gauche dans le monde actuel. Un premier secrétaire habile, comme le furent en leur temps Lionel Jospin ou… François Hollande, sait limiter les embardées quand la gauche gouverne. Ce n'est visiblement pas le cas aujourd'hui. Dans ces conditions, seul un miracle pourrait ramener François Hollande sur la voie de l'action.
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