Comme la Monarchie absolue avant elle, la Ve République, plombée par une dette étouffante et paralysée par l’immobilisme démocratique, est confrontée à un dangereux risque de saturation.
Atlantico : Désamour des élites, accumulation des privilèges, pouvoir politique en panne… Peut-on dire que la situation du pays en 1789 est en certains points similaire à celle que nous vivons actuellement ?
Dimitri Casali : En tant qu’historien, je suis frappé par les points communs aux deux périodes, dans le sens où les dysfonctionnement du modèle politique laissent en effet penser que nous sommes au bord du gouffre. J’aimerais pourtant garder une lecture « optimiste » des évènements car il ne faut pas oublier qu’en dehors de 1789 la France a connu d’autres crises graves et a pu s’en sortir le plus souvent grâce à une volonté de changement exprimée souvent tard, mais exprimée tout de même.
La tâche est néanmoins ardue, d’autant plus que nous faisons face aux trois mêmes crises que dans l’avant-1789 : crise économique (dette étouffante, hausse des prix et du chômage…), crise sociale (grogne populaire face aux privilèges…), et crise politique (incapacité du pouvoir à réformer). A cela vient aujourd’hui s’ajouter une crise supplémentaire à savoir la crise identitaire qu’était loin de connaître la France de l’Ancien Régime.
Tout comme à la fin du XVIIIe siècle, la France se retrouve sclérosée et l’immobilisme de notre actuel Président ressemble étrangement au caractère hésitant de Louis XVI, qui n’a somme toute jamais réellement souhaité faire le grand saut nécessaire pour rétablir le pays. Nous sommes donc, en 2013 comme en 1788, coincés entre l’envie d’améliorer la situation et la peur d’un changement radical pourtant nécessaire à cette amélioration. Seul un homme providentiel pourrait débloquer la situation et j’ai hélas bien peur que ce ne soit pas l’actuel dirigeant de la Ve République.
Alain Fabre : La Vème République peut se comprendre comme une restauration d’un absolutisme politique d’Ancien Régime : le parlement est un élément de limitation du pouvoir du chef de l’Etat, non de la réalité de son exercice. Il s’agit dans les deux cas d’un régime où le pouvoir se retrouve très concentré. On peut dire que cela a fonctionné avec des dirigeants de forte stature politique comme Louis XIV ou Charles de Gaulle. Les institutions françaises sont solides mais elles nécessitent à leur tête, des personnalités hors norme. On ne peut donc pas être un président « normal » sous la Vème République ; il faut être exceptionnel pour exercer la fonction. La tradition politique française récuse les contre-pouvoirs perçus depuis le XVIIe siècle comme une réduction d’efficacité et une entrave à l’action publique.
Pour ce qui est du « désamour » des élites, je reprends à mon compte l’interprétation de Tocqueville qui considère que depuis les années le milieu du XVII°siècle, le pouvoir royal a mis en place un processus de « délégitimation » des élites sociales naturelles: depuis Colbert, il n’y a de légitimité sociale qu’émanant de l’Etat. C’est le paradoxe de l’absolutisme politique : il détient des instruments puissants d’action entre ses mains, mais pour avoir cisaillé depuis trois siècles, les liens entre pouvoir et société, il ne peut agir car il lui manque toujours la légitimité sociale de l’action politique. En France quand on cherche quelles réformes faire pour développer l’économie, on demande un rapport à Jacques Attali et Louis Gallois, personnalités d’une qualité et d’une compétence absolument indiscutables mais sans expérience du monde économique entrepreneurial et concurrentiel. Quand le Chancelier allemand fait la même chose, il fait appel à M. Hartz, le DRH de Volkswagen. Depuis Colbert, l’Etat en France considère de son côté qu’il détient le monopole du savoir. L’expérience n’est en aucun cas un élément de savoir. Elle est toujours considérée comme relayant des doléances catégorielles ou corporatistes, d’avance récusables au nom de l’intérêt général.
A l’inverse en Allemagne, le pouvoir politique prend ses racines dans la société, la politique va du bas vers le haut ; en France, le pouvoir est extérieur à la société ; la politique va du haut vers le bas.
Comme l’Ancien Régime, la Vème République est aussi un régime politique qui tire sa légitimité sociale de sa capacité à garantir des rentes à des ordres privilégiés. Ceci dit, en passant d’un ordre social hiérarchique à un ordre social égalitaire, les privilégiés sont devenus socialement majoritaires : les bénéficiaires nets du système représentent les 2/3 des suffrages exprimés. En France, le pouvoir politique fait reposer sa base sociale sur les titulaires de rentes. Dans ces conditions, des systèmes politiques comme l’Ancien Régime et la Vème République non seulement récusent les réformes mais sont incapables de choisir entre le risque de faillite et celui de devoir entrer en conflit avec les bénéficiaires de rentes.
C’est ce que François Furet a très bien décrit dans Penser la Révolution française : le pouvoir politique, en s’attaquant aux rentes dont il est à l’origine, sape la base sociale sur laquelle il repose ; c’est la même impossibilité de choisir dans laquelle se trouve la Vème République. De ce point de vue, la défaite de Valéry Giscard d’Estaing et de Nicolas Sarkozy expriment fondamentalement un refus des réformes. Les chocs pétroliers des années 1970 comme la crise à partir de 2008 accélèrent les besoins de réformes et la pression sur la nécessité de démanteler les rentes. François Mitterrand et François Hollande ont tous les deux été élus pour trouver des solutions à la crise qui ne mettent pas en cause la sanctuarisation de la France abritée, voire qui enchaîne un peu plus la France exposée au financement des rentes de la France abritée. La réponse, on la connaît : on augmente les contributions de ceux qui sont déjà les contributeurs nets les plus importants au système, les entreprises ou ceux qui sont désignés à la vindicte générale comme étant les riches. Comme on le sait, montrer du doigt les gens riches sert surtout à accroître la pression sur la France exposée, celle qui ne peut y échapper ni par la fuite à l’étranger ni par le bénéfice des rentes.
La situation économique d’alors, rongée par une dette de plus en plus lourde, n’est-elle pas tout aussi ressemblante ?
Dimitri Casali : Les problèmes économiques rencontrés actuellement ont des ressemblances avec ceux qui précèdent la Révolution mais nous sommes aujourd’hui avant tout confronté selon moi à un vieillissement de l’Etat Providence hérité de la Libération et qui a développé un corporatisme croissant dans notre société au détriment de la classe moyenne qui comme au XVIIIe siècle se retrouve à supporter le gros des dépenses publiques.
La situation est même d’un certain point plus paralysante qu’a l’époque puisque Louis XVI contrôlait le pays avec 60 000 fonctionnaires (pour 26 millions d’habitants) alors qu’ils sont aujourd’hui 6 millions en comptant le personnel des hôpitaux (pour 65 millions d’habitants NDLR). Ce chiffre illustre parfaitement notre gabegie de la dépense d’Etat et il est aberrant de voir que nous continuons dans ce contexte de recruter dans les collectivités territoriales. Le statut des fonctionnaires n’a de plus jamais été modifié depuis Maurice Thorez en 1946 et cela prouve encore une fois notre incapacité à s’attaquer aux privilèges de quelques-uns au nom de l’intérêt général.
Alain Fabre : A la fin de l’Ancien Régime, la dette avait atteint un niveau colossal. A tel point que toutes les solutions à l’intérieur du Royaume étaient épuisées, le sentiment gagnant les fournisseurs traditionnels de fonds, la grande noblesse et la haute Eglise que l’Etat n’avait peut-être plus les moyens de rembourser. C’est pour desserrer cet épuisement des ressources internes mobilisables que Necker s’est tourné vers les banques suisses et hollandaises. La chute finale de la Monarchie a commencé quand les banques étrangères ont refusé de continuer à prêter.-à la Monarchie. Necker n’est pas un réformateur au sens libéral du terme ; il admirait Colbert et appartenait donc au courant réformateur étatiste. Il a cherché des solutions pour accroître la capacité de l’Etat à s’endetter. C’est pour avoir touché les limites du toujours plus de dettes que Louis XVI fut contraint de convoquer les Etats-généraux. C’est la chute de la Monarchie pour cause de faillite financière qui a provoqué la Révolution, non l’inverse. C’est un ordre social basé sur les rentes sociales qui s’est écroulé. L’Angleterre qui avait fait la guerre d’Amérique comme la France et avait une dette publique plus élevée, n’a pas fait faillite parce que l’économie et la société marchandes constituaient la base sociale du régime.
On dit souvent que François Hollande n’a pas de ligne directrice. C’est inexact. Il en a une qui consiste à convaincre les marchés financiers de continuer à prêter à la France. Les hausses massives d’impôts qui sont à première vue, destinées à tenir nos engagements européens, visent surtout les marchés : la France a les moyens de rembourser ses dettes. La qualité de la gestion de la dette est une réussite de l’Administration française. Faute d’avoir en Europe, une dette publique qui donne aux investisseurs les qualités de liquidité des bonds américains, les marchés trouvent ces qualités dans la dette française. Elle offre une liquidité exceptionnelle. De nombreux facteurs régimentaires poussent en outre, les investisseurs à détenir de la dette publique. Tout ceci favorise la faiblesse des taux français. Mais gardons à l’esprit que c’est en grande partie une anomalie de marché. Le risque de retournement des taux français existe bel et bien surtout si les investisseurs finissent par intégrer dans leur stratégie de portefeuille que l’ajustement budgétaire français se réalise non pas par un allègement des rentes sociales mais par amputation de la base productive française.
Existe-t-il néanmoins des différences de taille entre ce qui se passe aujourd’hui et les événements précédant 1789 ?
Alain Fabre : La principale différence c’est l’Europe. C’est la que se trouve la force de rappel. La France peut trouver dans la contrainte externe européenne le levier réformateur véritable, c’est-à-dire celui qui fait le choix de l’économie productive et du démantèlement des rentes. Car si la politique française a bien pour effet d’affaiblir son économie, elle prend aussi le risque de déstabiliser toute la zone euro. La pression sur les réformes émanant de nos partenaires va probablement monter en 2013. Je pense que si la ligne Monti est reconduite en Italie, de même si l’Allemagne maintient son cap après les élections de septembre, la pression sera très forte sur la France.
On peut dire que néanmoins le « péché » français est de miser sur le fait que nous réussirons à imposer notre modèle à l’Europe plutôt que l’inverse. On peut évoquer à titre d’exemple, Jacques Delors qui souhaitait voir l’UE adopter le modèle social de l’Hexagone, ou plus récemment M. Hollande qui en début de mandat souhaitait mutualiser la dette de la zone euro en espérant que l’Allemagne accepterait de financer notre secteur abrité. Il y a souvent cette idée en France que l’Allemagne paiera. En fait, elle acceptera de payer contre les réformes françaises, c’est-à-dire celles qu’on a faites en Allemagne, en Espagne ou en Italie. Mais que fera M. Hollande si d’un coup les taux français montent à 5 ou 6%? Je crois qu’il faut se convaincre que la montée des taux obligerait la France à faire les mêmes réformes que les autres sauf à prendre le risque de faire sauter la zone euro.
Il est un peu dommage alors que nous allons fêter les 50 ans du traité de l’Elysée que le couple franco-allemand soit aussi désuni. Je fais partie des optimistes – certains diraient naïfs – qui pensent que malgré tout l’Union Européenne finira par convaincre la France qu’elle peut trouver en un projet porté avec ses partenaires, les ressorts réformateurs dont son absolutisme politique l’a dépouillée.
Dimitri Casali : En tant qu’historien, je suis frappé par les points communs aux deux périodes, dans le sens où les dysfonctionnement du modèle politique laissent en effet penser que nous sommes au bord du gouffre. J’aimerais pourtant garder une lecture « optimiste » des évènements car il ne faut pas oublier qu’en dehors de 1789 la France a connu d’autres crises graves et a pu s’en sortir le plus souvent grâce à une volonté de changement exprimée souvent tard, mais exprimée tout de même.
La tâche est néanmoins ardue, d’autant plus que nous faisons face aux trois mêmes crises que dans l’avant-1789 : crise économique (dette étouffante, hausse des prix et du chômage…), crise sociale (grogne populaire face aux privilèges…), et crise politique (incapacité du pouvoir à réformer). A cela vient aujourd’hui s’ajouter une crise supplémentaire à savoir la crise identitaire qu’était loin de connaître la France de l’Ancien Régime.
Tout comme à la fin du XVIIIe siècle, la France se retrouve sclérosée et l’immobilisme de notre actuel Président ressemble étrangement au caractère hésitant de Louis XVI, qui n’a somme toute jamais réellement souhaité faire le grand saut nécessaire pour rétablir le pays. Nous sommes donc, en 2013 comme en 1788, coincés entre l’envie d’améliorer la situation et la peur d’un changement radical pourtant nécessaire à cette amélioration. Seul un homme providentiel pourrait débloquer la situation et j’ai hélas bien peur que ce ne soit pas l’actuel dirigeant de la Ve République.
Alain Fabre : La Vème République peut se comprendre comme une restauration d’un absolutisme politique d’Ancien Régime : le parlement est un élément de limitation du pouvoir du chef de l’Etat, non de la réalité de son exercice. Il s’agit dans les deux cas d’un régime où le pouvoir se retrouve très concentré. On peut dire que cela a fonctionné avec des dirigeants de forte stature politique comme Louis XIV ou Charles de Gaulle. Les institutions françaises sont solides mais elles nécessitent à leur tête, des personnalités hors norme. On ne peut donc pas être un président « normal » sous la Vème République ; il faut être exceptionnel pour exercer la fonction. La tradition politique française récuse les contre-pouvoirs perçus depuis le XVIIe siècle comme une réduction d’efficacité et une entrave à l’action publique.
Pour ce qui est du « désamour » des élites, je reprends à mon compte l’interprétation de Tocqueville qui considère que depuis les années le milieu du XVII°siècle, le pouvoir royal a mis en place un processus de « délégitimation » des élites sociales naturelles: depuis Colbert, il n’y a de légitimité sociale qu’émanant de l’Etat. C’est le paradoxe de l’absolutisme politique : il détient des instruments puissants d’action entre ses mains, mais pour avoir cisaillé depuis trois siècles, les liens entre pouvoir et société, il ne peut agir car il lui manque toujours la légitimité sociale de l’action politique. En France quand on cherche quelles réformes faire pour développer l’économie, on demande un rapport à Jacques Attali et Louis Gallois, personnalités d’une qualité et d’une compétence absolument indiscutables mais sans expérience du monde économique entrepreneurial et concurrentiel. Quand le Chancelier allemand fait la même chose, il fait appel à M. Hartz, le DRH de Volkswagen. Depuis Colbert, l’Etat en France considère de son côté qu’il détient le monopole du savoir. L’expérience n’est en aucun cas un élément de savoir. Elle est toujours considérée comme relayant des doléances catégorielles ou corporatistes, d’avance récusables au nom de l’intérêt général.
A l’inverse en Allemagne, le pouvoir politique prend ses racines dans la société, la politique va du bas vers le haut ; en France, le pouvoir est extérieur à la société ; la politique va du haut vers le bas.
Comme l’Ancien Régime, la Vème République est aussi un régime politique qui tire sa légitimité sociale de sa capacité à garantir des rentes à des ordres privilégiés. Ceci dit, en passant d’un ordre social hiérarchique à un ordre social égalitaire, les privilégiés sont devenus socialement majoritaires : les bénéficiaires nets du système représentent les 2/3 des suffrages exprimés. En France, le pouvoir politique fait reposer sa base sociale sur les titulaires de rentes. Dans ces conditions, des systèmes politiques comme l’Ancien Régime et la Vème République non seulement récusent les réformes mais sont incapables de choisir entre le risque de faillite et celui de devoir entrer en conflit avec les bénéficiaires de rentes.
C’est ce que François Furet a très bien décrit dans Penser la Révolution française : le pouvoir politique, en s’attaquant aux rentes dont il est à l’origine, sape la base sociale sur laquelle il repose ; c’est la même impossibilité de choisir dans laquelle se trouve la Vème République. De ce point de vue, la défaite de Valéry Giscard d’Estaing et de Nicolas Sarkozy expriment fondamentalement un refus des réformes. Les chocs pétroliers des années 1970 comme la crise à partir de 2008 accélèrent les besoins de réformes et la pression sur la nécessité de démanteler les rentes. François Mitterrand et François Hollande ont tous les deux été élus pour trouver des solutions à la crise qui ne mettent pas en cause la sanctuarisation de la France abritée, voire qui enchaîne un peu plus la France exposée au financement des rentes de la France abritée. La réponse, on la connaît : on augmente les contributions de ceux qui sont déjà les contributeurs nets les plus importants au système, les entreprises ou ceux qui sont désignés à la vindicte générale comme étant les riches. Comme on le sait, montrer du doigt les gens riches sert surtout à accroître la pression sur la France exposée, celle qui ne peut y échapper ni par la fuite à l’étranger ni par le bénéfice des rentes.
La situation économique d’alors, rongée par une dette de plus en plus lourde, n’est-elle pas tout aussi ressemblante ?
Dimitri Casali : Les problèmes économiques rencontrés actuellement ont des ressemblances avec ceux qui précèdent la Révolution mais nous sommes aujourd’hui avant tout confronté selon moi à un vieillissement de l’Etat Providence hérité de la Libération et qui a développé un corporatisme croissant dans notre société au détriment de la classe moyenne qui comme au XVIIIe siècle se retrouve à supporter le gros des dépenses publiques.
La situation est même d’un certain point plus paralysante qu’a l’époque puisque Louis XVI contrôlait le pays avec 60 000 fonctionnaires (pour 26 millions d’habitants) alors qu’ils sont aujourd’hui 6 millions en comptant le personnel des hôpitaux (pour 65 millions d’habitants NDLR). Ce chiffre illustre parfaitement notre gabegie de la dépense d’Etat et il est aberrant de voir que nous continuons dans ce contexte de recruter dans les collectivités territoriales. Le statut des fonctionnaires n’a de plus jamais été modifié depuis Maurice Thorez en 1946 et cela prouve encore une fois notre incapacité à s’attaquer aux privilèges de quelques-uns au nom de l’intérêt général.
Alain Fabre : A la fin de l’Ancien Régime, la dette avait atteint un niveau colossal. A tel point que toutes les solutions à l’intérieur du Royaume étaient épuisées, le sentiment gagnant les fournisseurs traditionnels de fonds, la grande noblesse et la haute Eglise que l’Etat n’avait peut-être plus les moyens de rembourser. C’est pour desserrer cet épuisement des ressources internes mobilisables que Necker s’est tourné vers les banques suisses et hollandaises. La chute finale de la Monarchie a commencé quand les banques étrangères ont refusé de continuer à prêter.-à la Monarchie. Necker n’est pas un réformateur au sens libéral du terme ; il admirait Colbert et appartenait donc au courant réformateur étatiste. Il a cherché des solutions pour accroître la capacité de l’Etat à s’endetter. C’est pour avoir touché les limites du toujours plus de dettes que Louis XVI fut contraint de convoquer les Etats-généraux. C’est la chute de la Monarchie pour cause de faillite financière qui a provoqué la Révolution, non l’inverse. C’est un ordre social basé sur les rentes sociales qui s’est écroulé. L’Angleterre qui avait fait la guerre d’Amérique comme la France et avait une dette publique plus élevée, n’a pas fait faillite parce que l’économie et la société marchandes constituaient la base sociale du régime.
On dit souvent que François Hollande n’a pas de ligne directrice. C’est inexact. Il en a une qui consiste à convaincre les marchés financiers de continuer à prêter à la France. Les hausses massives d’impôts qui sont à première vue, destinées à tenir nos engagements européens, visent surtout les marchés : la France a les moyens de rembourser ses dettes. La qualité de la gestion de la dette est une réussite de l’Administration française. Faute d’avoir en Europe, une dette publique qui donne aux investisseurs les qualités de liquidité des bonds américains, les marchés trouvent ces qualités dans la dette française. Elle offre une liquidité exceptionnelle. De nombreux facteurs régimentaires poussent en outre, les investisseurs à détenir de la dette publique. Tout ceci favorise la faiblesse des taux français. Mais gardons à l’esprit que c’est en grande partie une anomalie de marché. Le risque de retournement des taux français existe bel et bien surtout si les investisseurs finissent par intégrer dans leur stratégie de portefeuille que l’ajustement budgétaire français se réalise non pas par un allègement des rentes sociales mais par amputation de la base productive française.
Existe-t-il néanmoins des différences de taille entre ce qui se passe aujourd’hui et les événements précédant 1789 ?
Alain Fabre : La principale différence c’est l’Europe. C’est la que se trouve la force de rappel. La France peut trouver dans la contrainte externe européenne le levier réformateur véritable, c’est-à-dire celui qui fait le choix de l’économie productive et du démantèlement des rentes. Car si la politique française a bien pour effet d’affaiblir son économie, elle prend aussi le risque de déstabiliser toute la zone euro. La pression sur les réformes émanant de nos partenaires va probablement monter en 2013. Je pense que si la ligne Monti est reconduite en Italie, de même si l’Allemagne maintient son cap après les élections de septembre, la pression sera très forte sur la France.
On peut dire que néanmoins le « péché » français est de miser sur le fait que nous réussirons à imposer notre modèle à l’Europe plutôt que l’inverse. On peut évoquer à titre d’exemple, Jacques Delors qui souhaitait voir l’UE adopter le modèle social de l’Hexagone, ou plus récemment M. Hollande qui en début de mandat souhaitait mutualiser la dette de la zone euro en espérant que l’Allemagne accepterait de financer notre secteur abrité. Il y a souvent cette idée en France que l’Allemagne paiera. En fait, elle acceptera de payer contre les réformes françaises, c’est-à-dire celles qu’on a faites en Allemagne, en Espagne ou en Italie. Mais que fera M. Hollande si d’un coup les taux français montent à 5 ou 6%? Je crois qu’il faut se convaincre que la montée des taux obligerait la France à faire les mêmes réformes que les autres sauf à prendre le risque de faire sauter la zone euro.
Il est un peu dommage alors que nous allons fêter les 50 ans du traité de l’Elysée que le couple franco-allemand soit aussi désuni. Je fais partie des optimistes – certains diraient naïfs – qui pensent que malgré tout l’Union Européenne finira par convaincre la France qu’elle peut trouver en un projet porté avec ses partenaires, les ressorts réformateurs dont son absolutisme politique l’a dépouillée.
Propos reccueillis par Théophile Sourdille pour Atlantico
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