Ferme aquacole au nord de la Norvège (Norsk Havbrukssenter/Flickr/CC)
Critiquer l’industrie du saumon est de très mauvais goût en Norvège. L’association Green Warriors a vu se déployer une puissante contre-attaque lorsqu’elle a publié l’an dernier son rapport sur l’impact environnemental de l’élevage du saumon.
Aujourd’hui, en livrant à Rue89 l’exclusivité de sa version française (la version anglaise vient d’être mise en ligne), ils poursuivent leur combat dans un domaine hautement sensible – la pêche y est le troisième secteur d’exportation après le pétrole et le gaz.Et la France est le plus gros importateur de saumon norvégien, l’essentiel de ce que nous consommons (dont 30% pendant les fêtes de fin d’année) vient des fjords de ce pays. Un marché multiplié par trois en vingt ans, qui pèse 416 millions d’euros annuels.« Le poisson gras renforce la santé mentale »
Pour les autorités norvégiennes, il est préférable que le consommateur français ne sache pas trop dans quelles conditions sont élevés ces poissons, au risque de perdre l’appétit. Le site internet des exportateurs norvégiens de saumon ne lésine pas pour nous faire rêver :« Les médecins et scientifiques du monde entier s’accordent à dire qu’il faut manger plus de saumon et d’autres poissons gras, car ils sont bons pour le cœur, la circulation et la lutte contre certaines maladies inflammatoires, voire contre certains cancers.De plus, le poisson gras renforce la santé mentale, les acides gras contenus dans l’huile sont essentiels pour le développement du cerveau et ont un effet bénéfique sur la dépression, la schizophrénie, la maladie d’Alzheimer et certaines formes d’hyperactivité. »En Norvège, le ministère de la Santé recommande d’ailleurs de manger du poisson gras deux à trois fois par semaine, dont par exemple 200 gr de saumon par semaine.Plus risqué que bénéfique ?
Mais derrière les vertus connues des Oméga-3 pour la santé, une autre réalité du saumon norvégien est bien dissimulée.Selon l’enquête de Green Warriors :
- 10 à 20% des saumons d’élevage meurent dans les cages, du fait de la surpopulation, de malformations et de maladies ;
- les études vétérinaires montrent que presque la moitié des saumons souffrent d’inflammation cardiaque, neuf sur dix de dépôts graisseux supplémentaires au cœur ;
- les vaccins inoculés aux saumons provoquent des effets secondaires, comme des péritonites;
- les déchets alimentaires des fermes aquacoles s’élèvent à 7% – il y a donc 70 000 tonnes de restes rejetés en mer et qui sont ensuite mangés par les poissons sauvages à proximité.
Claudette Béthune, pharmacologue qui a travaillé pour l’organisme norvégien de sécurité alimentaire (le Nifes), avant de partir aux Etats-Unis, explique :En 2010, un reportage de France 3 alerte
Si les effets sur la santé humaine font l’objet d’une controverse scientifique, la catastrophe environnementale de l’industrie du saumon norvégien ne fait plus de doute.Un reportage diffusé sur France 3 l’an dernier a montré que l’aquaculture norvégienne n’avait rien à envier aux élevages de porc intensifs bretons : entassement des animaux, traitements aux antibiotiques, épandages nocifs pour l’environnement…
Pièces à conviction-Assiette-tous-risques (part 1/7)Le ministre français de l’Agriculture Bruno Le Maire, inquiet d’apprendre l’usage du diflubenzurondans les fermes norvégiennes, avait écrit à son homologue, Lisbeth Berg-Hansen.Il s’étonnait que ce pesticide, ne disposant pas d’autorisation de mise sur le marché en Europe, soit utilisé pour lutter contre le pou de mer dans les élevages norvégiens.Sur la notice de produit, il est clairement écrit qu’il est « très toxique pour les organismes aquatiques, peut entraîner des effets indésirables à long terme pour le milieu aquatique. Ne doit pas être utilisé à moins de 30 m des fossés de drainage, des ruisseaux, des barrages ou de grands plans d’eau ».Lisbeth Berg-Hansen avait tranquillement répondu à Bruno Le Maire que ce produit était légal dans son pays pour la lutte contre le pou de mer.La ministre norvégienne, juge et partie
La Norvège ne cesse de se justifier auprès de ses pays-clients et qui lui demandent des comptes. Ainsi, en réponse aux demandes de l’Agence européenne de sécurité sanitaire, l’Institut norvégien de recherche sur la nutrition, les poissons et crustacés vient encore de répondrequ’après examen, le niveau d’arsenic trouvé dans le poisson était bien plus bas que ce que soupçonnait l’Europe.Le gros problème est qu’aucune expertise indépendante n’existe. Et pour cause : la ministre norvégienne de la Pêche possède elle-même des participations dans des sociétés de pêche, à hauteur de plusieurs millions d’euros et nomme les directeurs des trois organismes publics censés contrôler l’industrie de la pêche (l’Agence norvégienne pour la sécurité alimentaire, l’Institut national de recherche sur la nutrition, les poissons et crustacés, et l’Institut de la recherche marine). Comme le détaille, sous couvert d’anonymat, un journaliste de la télévision norvégienne :
« L’industrie piscicole et la politique sont très connectées, cela ne dérange pas vraiment les Norvégiens, et peu de journalistes enquêtent sur ces sujets.Après l’embargo russe, lié aux quantités excessives de cadmium et de plomb retrouvées dans le saumon, la Norvège a déjà des difficultés à exporter en Chine et aux Etats-Unis. Elle ne veut pas se priver du marché français. »Inquiétudes pour le saumon sauvage
Kurt Oddekalv, président de Green Warriors, est le justicier vert qui a mené l’enquête avec les moyens du bord. Grâce à son mini sous-marin équipé d’une caméra (un temps confisquée par les autorités), il a pu filmer les fonds marins et constater leur dégradation ou eutrophisation.
Images sous-marines des Green Warriors de Norvège
Une épaisse couche blancheUne épaisse couche blanche l’a alerté : ce rejet, provenant des nutriments des fermes aquacoles, contamine les fonds marins (notamment avec du sulfure d’hydrogène) et chasse les saumons sauvages, lieux noirs et autres morues des fjords.La contamination de tout ce qui vit dans les fjords autour des élevages est un gros sujet d’inquiétude pour les amateurs de nature en Norvège. Les nutriments donnés aux saumons des fermes s’échappent des immenses filets et terminent dans la bouche de la faune avoisinante. Pour l’un des fondateurs (qui tient à rester anonyme) de Salmon Camera, une association qui commence à compiler les études scientifiques sur le sujet, c’est le principal sujet d’inquiétude :« Quand on pêche un poisson sauvage, on ne sait pas combien de jours se sont écoulés depuis qu’il a absorbé le diflubenzuron échappé des filets. Ce pesticide menace les crustacés, le plancton, toute la vie sauvage autour des élevages.Pour le saumon d’élevage, il y a des contrôles, normalement les éleveurs attendent que les traces de ce pesticide disparaissent de leur organisme, mais ce n’est pas le cas pour le poisson sauvage autour. »Avec les Green Warriors et le parti écologiste norvégien (qui n’est pas représenté au Parlement), ce pêcheur plaide pour un confinement des fermes qui éviterait qu’elles contaminent leur environnement. Tous demandent aussi des contrôles plus stricts sur la nourriture qui est donnée aux poissons.Auteur : Sophie Verney-CaillatUn dossier de RUE89-Planète partagé avec Sauve-La-TerreVoir aussi:
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