Publié le samedi 24 décembre 2011 à 01H00
C’est un fait historique dans le milieu discret de la franc-maçonnerie. La Grande Loge nationale française dont le grand maître, François Stifani, est mis en cause par un large pan de l’obédience aux niveaux local, national et international, vient de dissoudre la branche polynésienne. Une dissolution attendue par les maçons du fenua qui viennent de se constituer en Grande Loge régulière de Tahiti et des archipels. L’ex grand maître provincial et futur grand maître de la Grande Loge régulière de Tahiti et des archipels, Philippe Gestas, pointe du doigt l’attitude du grand maître Stifani et apporte les détails d’une situation inédite. Interview.
Longtemps membre, Gaston Flosse a quitté la GLNF “lorsque sa vie politique a été perturbée”
La crise qui secoue la GLNF est sans précédent. Alors que Paris a dissous la branche polynésienne, cette dernière renaît via la Grande Loge régulière de Tahiti et des archipels
François Stifani, le grand maître de la GLNF vient d'annuler sa venue au fenua qui devait débuter dès aujourd’hu
Philippe Gestas, ancien grand maître provincial de la GLNF et futur grand maître de la Grande loge régulière de Tahiti et des archipels.
PATRICE LAFFORGUE
Des événements sans précédent viennent de se produire. La GLNF vient de dissoudre la branche polynésienne dont vous étiez le grand maître, pouvez-vous apporter des précisions sur ces faits ?
“Depuis près de deux ans la GLNF vit des soubresauts avec des décisions qui ont été prises par le grand maître de la Loge nationale française et qui à plusieurs reprises ont transgressé les règles maçonniques auxquelles nous sommes attachés qui sont dictées par la grande loge unie d'Angleterre et qu'on appelle les Landmarks. Des frères se sont levés pour manifester leur opposition à ces prises de décisions et se sont réunis dans différents collectifs. Un certain nombre de grands maîtres provinciaux, dont je faisais partie, avec le soutien de l'ensemble des frères de notre province, ont souhaité aussi manifester au grand maître notre opposition à ses décisions et en ma qualité de grand maître provincial je me suis rapproché de 14 autres grands maîtres provinciaux en métropole et nous sommes entrés en opposition par rapport aux décisions du grand maître. Nous avons été tous suspendus et nous avons été radiés de la GLNF. À cette radiation, a fait suite la fermeture par décret de la province de Polynésie française au même titre que d'autres provinces en métropole ont été fermées sur les mêmes motifs. La décision de fermeture de la province et la menace édictée par le grand maître de venir en Polynésie pour remettre de l'ordre, ce qui signifie en langage maçonnique : fermer les ateliers qui lui sont opposés, nous a conduit à prendre des décisions, non pas dans la précipitation, mais dans l'urgence, en souhaitant garder notre possibilité de nous constituer en obédience régulière, et plus tard, reconnue. Pour être une obédience régulière, il faut que trois ateliers d'une obédience régulière reconnue, comme celle de la GLNF émettent le souhait auprès de la Grande Loge Unie d'Angleterre de se constituer en une autre obédience, ce qui est le cas. Trois ateliers de la GLNF ont souhaité se réunir pour former la Grande Loge régulière de Tahiti et des archipels.
Quels sont ces ateliers qui se sont unis ?
”Ce sont les respectables loges Poe Rava, Te Parau Mo'a et celle des hospitaliers".
Qu'est-il reproché précisément au grand maître Stifani ?
"C'est de ne pas respecter les Landmarks de la franc-maçonnerie, c'est-à-dire d'essayer d'avoir une influence dans la vie politique, de prendre des décisions dans la vie religieuse de la métropole, d'investir de l'argent à des profits critiquables, une sur-médiatisation de son action avec beaucoup de choses qui nous ont déplu, comme l'entrée de caméra dans les ateliers pendant les réunions, de créations de loges d'exception…".
Localement, au sein de votre obédience avez-vous le soutien de vos frères ?
"On n'a pas le soutien de l'ensemble des frères, nous avons le soutien d'une majorité d'entre eux. Un certain nombre encore espère un sauvetage de la GLNF par une assemblée générale. Tout ce qu'on leur souhaite c'est que la GLNF soit sauvée. Nos informations et notre intuition disent qu'a priori il y a peu de chance qu'elle le soit dans les termes actuels avec le grand maître en place (…) et en tout état de cause la perte des reconnaissances ne pourront pas être redonnées à la GLNF immédiatement et très probablement en France on va se diriger vers une nouvelle obédience régulière qui, elle, a déjà les promesses d'être reconnue par l'ensemble des grandes loges du monde".
Avez-vous enregistré des départs suite à cette affaire ?
"En Polynésie très peu. On doit avoir une ou deux personnes qui pour des raisons surtout professionnelles, compte tenu des remous et quelques événements qui sont parus dans la presse en dévoilant l’appartenance de frères, ont souhaité se retirer. Mais nous n’avons pas subi ce que subi la métropole avec beaucoup de démissions".
C'est un épisode sans précédent au sein de la Grande Loge ?
"Non seulement au niveau de la GLNF mais de toute la maçonnerie mondiale. La GLNF allait fêter ses 100 ans l’année prochaine et c’est la première fois qu’une obédience au niveau international subit un tel séisme."
Et ceci étant la cause d’un seul homme ?
"Ceci, exacerbé par un seul homme. Mais il est très probable que cet homme-là, paye un petit peu les dérives précédentes".
Plus généralement, beaucoup de fantasmes tournent autour de la franc-maçonnerie, on pointe du doigt son influence, ses réseaux. Localement, ce qui était la GLNF, avait une influence politico-économique ?
"Aucune ! Et à cela nous y tenons. Nous sommes une fraternité initiatique et nous travaillons simplement à la gloire du grand architecte de l’univers en nous interdisant d’avoir quelques actions au niveau religieux, économique ou politique. Il est vrai que dans notre obédience, comme dans d’autres, il peut se trouver des hommes politiques voire même des hommes d’église qui en font partie. Mais pour autant, il n’y a aucune connivence avec le pouvoir en place ou le pouvoir dans l’opposition.
En maçonnerie, on se prive de tout appui que l’on pourrait espérer dans la vie profane en connaissant un tel ou un tel. On s’interdit tout avantage qui pourrait être dû à l’appartenance à la franc-maçonnerie. Et très vite quelques profanes qui sont entrés en maçonnerie en se disant qu’ils allaient pouvoir se créer un réseau se sont vite aperçus qu’en fait, ils avaient plus un réseau à l’extérieur."
On sait que Gaston Flosse faisait partie de la GLNF, est-il toujours des vôtres ?
"Non. Gaston Flosse a fait effectivement partie de la GLNF. Il a été un symbole en Polynésie parce que justement il était président du territoire à l’époque et qu’on respecte les lois du pays. Il a appartenu à la Grande Loge nationale française. Il s’est retiré de la GLNF lorsque sa vie politique a été perturbée. Sa démission est actée depuis trois ou quatre ans".
C’est une initiative personnelle de sa part ?
"Tout à fait. Il existe dans la vie d’un maçon des moments où l’on doit prendre des décisions".
Appliquez-vous une certaine jurisprudence dès qu’un maçon est mis en examen ou condamné, cela est suivi d’une mesure d’exclusion ?
"Oui, c’est une obligation. On applique les règlements et les statuts de la GLNF mais qui sont ceux de la Grande Loge unie d’Angleterre. Il ne doit pas y avoir de personne en rupture de ban avec la société".
Une procédure qui s’enclenche dés une mise en examen ou une condamnation ?
"Dès la condamnation. En principe, il est de bon ton pour une mise en examen de mettre la personne en retrait, ce que l’on appelle “en sommeil”, sachant qu'on est présumé innocent jusqu’à ce que l’on soit condamné. En principe dans ce genre de situation on demande au frère de signer une lettre de démission qui sera actée le jour de sa condamnation.
Combien de frères ont dû subir ce départ ?
“Chez nous un seul, c’est Gaston Flosse, parti de lui-même en nous remettant sa démission”.
De votre poste d’observateur, quelle analyse faite vous de la situation politique et de son instabilité depuis 2004 ?
“Nous ne faisons aucune analyse et nous n’intervenons absolument pas dans quelques discussions politiques que ce soit et nous respectons le pouvoir en place”.
Quel est le contenu des tenues de la GLNF ?
“Du travail symbolique et spirituel”.
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La franc-maçonnerie
La franc-maçonnerie est un mouvement universaliste aux objectifs d'ordre éthique et humaniste, œuvrant pour le progrès de l'humanité, avec un idéal de fraternité et de solidarité. Elle est organisée aujourd'hui en Loges locales et en Grandes Loges supra régionales, structurées hiérarchiquement, qui ont un fonctionnement fortement rituel. La Grande Loge nationale française avec le Grand Orient, la Grande Loge de France et le Droit Humain sont les obédiences les plus connues. Les francs-maçons agissent de manière discrète et non secrète. L'entrée se fait par cooptation avec un cheminement initiatique qui a pour objectif d'éprouver la volonté et la bonne foi quant à l'adhésion à la démarche philosophique et humaniste de la franc-maçonnerie. Leur enseignement repose sur des méthodes de travail appelées rites. L'utilisation de symboles dans les rites est importante, les plus connus étant le triangle, le compas et le tablier.
Propos recueillis par Patrice Lafforgue
Source: Lesnouvelles.pf
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