Dans ma petite ville des Vosges, il subsiste une activité distrayante : lire les compte-rendus des conseils municipaux. Dans celui du mois de Décembre 2012, il apparaît qu'une subvention d'un montant de 2463 euros a été octroyée au "Cercle philosophique et culturel" – l'autre nom de la loge maçonnique d'Épinal – pour la location d'une salle au centre des congrès. Le don de cette subvention a été approuvé à l'unanimité.
Je téléphone au standard de la Mairie dans l'espoir d'obtenir un peu plus d'informations. On transfère mon appel d'un service à l'autre ; retour au standard, où l'on m'annonce un nouveau renvoi, cette fois vers le "service animation".
"Bonjour, vous n'êtes pas dans le bon service mais je vais tenter de vous renseigner, m'explique-t-on.
- Pourquoi ne suis-je pas dans le bon service ?
- Parce que tout le monde se relance la balle !
- Je souhaitais juste savoir pour quel évènement le Cercle philosophique et culturel d'Épinal a reçu une subvention votée au conseil municipal de Décembre 2012.
- Alors, je vais vous dire une chose... Peut-être qu'elle a... Comment... Moi je ne l'ai pas. On n'a rien payé pour le cercle philosophique, me répond-on de façon hésitante.
- Le compte-rendu du conseil municipal indique le contraire.
- Je cherche...
- Si le Maire l'a signé, l'argent a du être versé.
- Alors... Il y a 2463 euros. Le problème c'est que je n'ai pas la délibération qui va avec. C'était pour une réunion plus repas, samedi 10 Novembre 2012.
- C'était une réunion publique ?
- Il me semble, je ne sais pas. Un colloque. C'est tout ce que je sais. Demandez au Cercle philosophique. C'est Monsieur Yvan Jacques qui a fait la demande de subvention."
L'événement du 10 Novembre 2012 n'apparaît nulle part : ni dans la presse locale, ni sur le site de la Fraternité d’Épinal. Des contribuables subventionnent un événement qui n'est pas porté à leur connaissance, tout du moins pas au-delà du procès verbal du conseil municipal. L'intérêt général prévaut...
Contacté au téléphone, Yvan Jacques, Président du comité d'organisation du 150e anniversaire de la Fraternité d'Épinal, accepte aimablement de parler de la subvention perçue.
"[L'évènement du 10 Novembre] était une tenue maçonnique, une tenue fermée, explique-t-il. Le grand maître est descendu spécialement de Paris pour ça. On peut transformer n'importe quel lieu pour se réunir. Ce n'est pas obligatoirement dans le temple. N'y voyez pas une largesse de la Mairie !". Dans le jargon maçonnique, une tenue désigne une réunion rituelle. Pourquoi donc faire financer un rite par la Mairie ?
"On a payé, assure Yvan Jacques en riant, ce n'est pas la Mairie qui a payé !
- Non, vous avez fait la demande d'une subvention publique pour cet événement. La Mairie a versé 2463 euros.
- Nous avons été subventionnés comme n'importe quelle association.
- Une subvention publique n'a pas vocation à soutenir un événement communautaire et privé.
- C'est une question politique que vous me posez ! C'est quoi ça ? Vous êtes en train de préparer les élections ?
- Je prépare un article.
- Il faut que vous sachiez exactement ce qu'il en est : on n'a pas eu droit à un régime dérogatoire. Vous savez que le Cercle philosophique est la façade profane de la loge maçonnique ; c'est donc une association spinalienne de la loi 1901. A ce titre, toutes les associations sont subventionnées.
- A la seule condition que l'événement subventionné ait un intérêt pour le public. Or, dans le cas présent, le public est exclu de l'évènement, puisqu'il s'agit d'une "tenue fermée".
- Attendez, c'était dans le cadre du 150e anniversaire ! Pendant un mois et demi, le public était convié.
- Si j'étais venu frapper à la porte du centre des congrès le 10 novembre, vous ne m'auriez pas laissé entrer ? - Cela dépend. En quelle qualité ? En qualité de journaliste, sûrement.
- Et en qualité de contribuable?
- Écoutez, je crois qu'il y a d'autres associations qui sont comme ça...
- Je n'arrive pas à concevoir qu'on puisse demander de l'argent public pour un évènement maçonnique privé !
- Parce que vous êtes borné ! Chaque association est privée ! Il y a un truc politicien là-dessous ! Si vous voulez attaquer Michel Heinrich... Il n'est pas franc-maçon vous savez ! Faut pas y voir une magouille, vous tombez à côté ! On n'a pas eu droit à un régime de faveur, c'est partout comme ça ! Vous êtes en train de chercher la petite bête ! Quand une association de j'sais-pas-quoi... de chasseurs se réunit, c'est un évènement privé ! Il faut arrêter ces histoires de secrets maçonniques, c'est de la connerie tout ça ! Cela remonte à Vichy !".
Craignant d'être devenu néo-nazi à mon insu, je pars immédiatement à la recherche d'un scandale de locations de chalets subventionnées dans le cadre d'une exécution de sangliers ou d'un rite de chasseurs à la gloire de Bacchus.
G. Benfredj
G. Benfredj
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