Fini le curriculum vitae sur une feuille A4, accompagné d'une banale lettre de motivation. Pour se démarquer parmi 5 millions de chômeurs, certains sont prêts à toutes les excentricités.
Opération d'embauches des managers de l'Oréal sur Second Life dans un Cyber café parisien - CAPMAN VINCENT/SIPA
C'est une vidéo qui requiert patience et courage. Durant trois douloureuses et interminables minutes, Isabelle Moreau, « 1,78 m, célibataire, 47 ans » au moment des faits, chante son CV. Pour convaincre les employeurs potentiels, elle a choisi d'exercer son talent sur l'air de Sœur Sourire :
« Isabelle communique, nique, nique tout simplement, et cela depuis vingt ans. C'est pour moi une vocation, c'en est presque une religion, que la com-mu-ni-ca-tion. »
La sanction du Web est tombée, impitoyable : la prestation d'Isabelle Moreau est désormais un cas d'école unanimement cité comme l'exemple à ne pas suivre pour quiconque aurait l'envie de s'essayer au grand jeu des CV « originaux ».
Mais en temps de crise, pour sortir du lot au milieu de 5 millions de chômeurs, le CV sur une page A4 accompagné d'une lettre de motivation aux formules de politesse éculées ne suffit plus.
« La personnalisation du CV est désormais un prérequis, reconnaît Xavier Souris, responsable marketing d'une start-up, TestnTrust. Il faut aller plus loin pour susciter l'intérêt dans nos métiers. Nous sommes directement passés du recrutement "à la papa" au casting de "La nouvelle star". » Alors, pour séduire le jury et se démarquer des autres, les candidats sortent l'artillerie lourde.
Fraîchement diplômé en marketing et parfaitement lucide sur les difficultés qui l'attendent, Alain Ruel a eu l'idée de mettre sa candidature « en promo ».
« J'ai fait un site qui n'était rien d'autre que mon CV en ligne. Et en juin, en pleine période des soldes, j'ai mis des bannières du genre "1 contact pris = 1 entretien offert", " - 50 % sur le temps de réponse". » L'opération, largement reprise par les médias locaux, a permis au jeune marketeur d'être embauché avant même d'avoir terminé son stage de fin d'études, à un salaire qu'il estime pudiquement « dans la moyenne ».
Ni au rabais, ni plus cher : l'inventivité ne sert qu'à accrocher l'œil du recruteur, pas à être mieux rémunéré - inutile de rêver. Mais, à une époque où décrocher un premier job relève de la prouesse, Alain Ruel fait figure de guide spirituel.
Depuis un peu plus d'un an, il est l'auteur du site cv-originaux.fr, qui recense minutieusement les efforts des aspirants à l'embauche. Tous les logiciels et toutes les applications du merveilleux monde des technologies numériques y passent : cette année, la mode est au CV Tumblr, une plate-forme de microblogging qui permet d'enchaîner les blagues en illustrant ses propos de petites vidéos animées.
Dawn Siff, une journaliste américaine, a même tenté le CV en six secondes à l'aide de l'application vidéo Vine, quand d'autres résument leur parcours en 140 signes sur Twitter. Mais l'imagination des candidats s'incarne aussi dans des démarches qui n'ont rien de virtuel.
Ecrire son CV sur un jean pour se faire embaucher par une marque de vêtements, ou donner un sens à l'expression « CV qui envoie du pâté » en postulant grâce à un curriculum imprimé sur un authentique pâté : pourquoi pas ? « Se vendre » - même en promo - n'y suffit plus, il faut parfois acheter ses chances d'être embauché.
Vincent Varlet, aspirant pubard, reconnaît avoir dépensé 400 € pour envoyer une dizaine de galettes des Rois à des recruteurs potentiels. Pour une somme à peu près équivalente, Rajon Dewan, 31 ans, promet d'offrir un iPad à celui qui l'aidera à décrocher un poste de directeur marketing digital.
Un autre, autoproclamé « supercandidat », a tout simplement organisé un salon du recrutement au Parc des expositions de Versailles... pour lui tout seul. Ingénieux ou pathétique selon les points de vue, ces exemples n'en sont pas moins un signe de la saturation du marché de l'emploi.
RISQUÉ, VOIRE SUICIDAIRE
« Il y a un effet d'entraînement, c'est certain, analyse Fabrice Mazoir, responsable éditorial du site Regions Job. Avec la viralité liée à Internet, les candidats ont compris que leur démarche pouvait rencontrer beaucoup d'écho, pour peu qu'elle soit partagée sur les réseaux sociaux. Les gens ont de moins en moins peur de s'exposer... Mais cela reste une pratique risquée. »Voire suicidaire.
Devant l'ampleur des moqueries suscitées par sa réinterprétation de Dominique nique nique, Isabelle Moreau a voulu retirer la vidéo. Peine perdue, elle avait déjà été copiée par un internaute, qui l'a remise en ligne illico.
« J'ai marché sur des œufs, il faut ne faut surtout pas en faire trop », explique Philippe Dubost, 29 ans, dont le CV parodiant le site de commerce en ligne Amazon a été visité 1 500 000 fois ! « Sur 1 000 messages, 150 venaient d'entreprises, de Tokyo à San Francisco. »Pari gagné : le jeune homme a trouvé du boulot.
« Cela fonctionne surtout dans les domaines de la communication, du graphisme, de la vidéo... » prévient Fabrice Mazoir. Pour un poste d'expert-comptable, inutile de danser des claquettes tout en déclamant son CV en alexandrins. De fait, dans des secteurs où l'originalité n'est pas une valeur absolue, toute forme de « fioriture » est plutôt rédhibitoire.
Une étude menée par une école de commerce norvégienne affirme qu'un CV dit « original » a deux fois moins de chances d'être sélectionné qu'un CV traditionnel.
« J'ai quelques secondes à consacrer à chaque CV, et je sais exactement où chercher les infos dont j'ai besoin, confirme le directeur des ressources humaines d'un grand groupe de presse. Ceux qui cherchent à m'en mettre plein les yeux vont au fond de la corbeille... Ou finissent scotchés sur la machine à café, ce qui n'est jamais bon signe. » Mieux vaut donc savoir sélectionner des destinataires susceptibles d'être sensibles à l'effort.
« Il faut surtout garder en tête que le nombre de propositions n'est pas du tout proportionnel à l'écho médiatique, poursuit Fabrice Mazoir. Les CV créatifs permettent aux jeunes candidats de compenser leur manque d'expérience professionnelle en montrant ce qu'ils savent faire, mais ça ne peut pas remplacer la candidature classique. Pour beaucoup, ça débouche surtout sur des prises de contact, ou sur rien du tout. »
Mais le CV « classique » débouchant lui aussi très souvent sur rien du tout, les jeunes diplômés et les chômeurs qui ne sont pas encore trop attaqués par la lassitude préfèrent être proactifs. « C'était aussi une façon pour moi de ne pas rester passif, explique Philippe Dubost. J'étais dans une impasse, et l'idée d'attendre que le téléphone sonne me rendait fou. »
Les CV en chanson ont encore de beaux jours devant eux, car les candidats à l'embauche n'ont tout simplement plus rien à perdre. Pas même la face.
PROFESSION : VÉRIFICATEUR DE DIPLÔMES
S'emballer sur sa maîtrise de l'anglais, masquer discrètement des périodes d'inactivité, exagérer un chouïa ses responsabilités passées ou étirer la durée d'un CDD font partie du jeu pour embellir un CV...
Problème : certains candidats poussent le bouchon un peu loin en s'inventant des diplômes.
La société Verifdiploma a flairé le filon. Elle propose d'attester l'authenticité des parchemins revendiqués par les candidats. Sur les quelque 5 000 demandes de vérification reçues, 26 % des CV étaient inexacts, et la moitié de ces 26 % mentaient sur la réalité du diplôme.
A 100 € la vérification, le soupçon pourrait coûter aussi cher aux recruteurs qu'aux candidats. Car l'exercice de faussaire n'est pas sans risque : dans certaines professions (médecins, avocats, experts-comptables, architectes...), le fraudeur peut être condamné pour faux et usage de faux ou exercice illégal (jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende).
source : marianne.net
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