Les autorités lausannoises et le milieu noctambule réfléchissent à des solutions pour rétablir la sécurité: restriction des horaires d’ouverture, surveillance accrue aux abords des clubs, renforcement de la présence policière et limitation de la consommation d’alcool.
Selon un sondage réalisé par l’Office fédéral de la Santé publique en 2007, près de la moitié des actes de violence, quels qu’ils soient, sont perpétrés sous l’emprise de l’alcool. Les plus fréquents sont le tapage nocturne, les altercations, les coups et blessures, les vols, mais aussi la violence domestique et les crimes sexuels. Même s’il ne suffit pas à lui seul à expliquer le recours à la violence, l’alcool en est le principal facteur de risque. Comment expliquer son impact sur nos comportements? Une partie de la réponse réside dans son action sur l’organisme. Après son ingestion, l’alcool passe très vite dans le sang, pour atteindre ensuite les zones riches en graisse ou en eau, le cerveau par exemple. Comme d’autres substances psychotropes addictives, l’alcool agit sur le système de récompense (zones du cerveau qui gèrent notre motivation à agir de façon adaptée) en augmentant la décharge en dopamine, à l’origine de la sensation de bien-être ou, à plus haute dose, de l’ivresse. Mais il agit surtout sur les circuits de certains neurotransmetteurs et perturbe l’équilibre fragile entre les zones de contrôle et d’agitation de notre cerveau. Cette perturbation cause une désinhibition de l’individu, qui contrôle moins bien sa part d’agressivité: «Une personne qui a trop bu perçoit moins bien le danger. Elle a tendance à prendre des risques et à minimiser les conséquences de ses actes. Débarrassée de ses freins psychologiques, elle accède plus facilement à la violence qui est en elle. Mais l’alcool n’est qu’un révélateur», explique le professeur Jean-Bernard Daeppen, chef du service d’alcoologie au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), à Lausanne. Une personne colérique, impulsive, brutale, qui peine à supporter la frustration, souffrant d’instabilité émotionnelle ou de troubles de la personnalité (antisociale, borderline) est prédisposée à la violence. Son passé aussi peut avoir une influence (conditions de vie difficiles, parents alcooliques, etc.).
Perceptions modifiées
La fonction révélatrice de l’alcool est d’autant plus forte que l’alcoolémie est élevée. Sur le plan physiologique, une alcoolisation aiguë (un gramme pour mille) modifie les perceptions: l’acuité visuelle diminue et l’attention se limite aux éléments les plus saillants et immédiats d’une situation. Cette mauvaise appréciation des gestes ou des paroles d’autrui est souvent à l’origine des comportements inadéquats. «Il existe une corrélation claire entre l’alcoolémie et la propension à la violence», poursuit le Dr Thierry Favrod-Coune, chef de clinique, responsable Alcool au Service de médecine de premier recours des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Au-delà de 0,8 gramme pour mille, toute personne tend à perdre la maîtrise de soi et à devenir incapable de faire des choix raisonnés. «Des études montrent même que dans des situations conflictuelles, le spectre des solutions envisagées par un individu ivre se réduit au profit de réactions instinctives», poursuit-il. De plus, passée cette limite, les effets négatifs de l’alcool remplacent les sensations positives: la confusion, la perte de vigilance, les malaises, les troubles de la marche et de l’élocution apparaissent. Fragilisée, la personne alcoolisée court le danger de commettre des actes répréhensibles (violence, conduite dangereuse ou comportement sexuel à risques, etc.), voire d’en être elle-même victime. Autres cas problématiques, les alcoolodépendants: «En raison de l’effet de tolérance, la personne dépendante à l’alcool doit sans cesse boire plus pour se sentir soûl. Comme elle atteint plus facilement une alcoolémie élevée, elle est davantage exposée à des comportements à risque», explique Jean-Bernard Daeppen. La prise concomitante d’autres substances psychotropes (cocaïne, tranquillisants de la classe des benzodiazépines, par exemple) renforce les effets de l’alcool et facilite les passages à l’acte.
Influence de l’environnement
Dernier facteur important: le contexte de consommation. Le danger de violence est bien plus fort dans un stade de foot ou à la sortie d’une boîte de nuit que lorsqu’on est seul dans son salon. Dans le cadre précis des sorties nocturnes, ajoute Ségolène Samouiller, porte-parole d’Addiction suisse, «le recours à l’agressivité peut aussi être lié à l’effet de groupe – au sein duquel on veut se montrer fort, sûr de soi – auquel s’ajoute la baisse d’inhibition causée par l’alcool». A ce titre, le jeune âge est un facteur de risque supplémentaire quand on sait qu’«une majorité des hommes de 20 ans ont des épisodes réguliers d’alcoolisation aiguë», commente Jean-Bernard Daeppen, coauteur d’une vaste étude sur cette population. Pour conclure, Thierry Favrod-Coune en appelle à la prudence: «Les 14-20 ans sont particulièrement vulnérables face à la violence. Ils traversent une période d’instabilité et leurs cerveaux, encore en plein développement, sont plus sensibles aux effets de l’alcool.» (Le Matin)
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