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25 mai 2012

Les enfants de Falloujah : l’hôpital des horreurs

Le Dr Aiman Qeis avec deux bébés nés à l’hôpital général de Falloujah
Des bébés morts-né, d’autres handicapés, des déformations trop pénibles à décrire... Qu’est-ce qui se cache derrière ces faits terribles à l’hôpital général de Fallujah ?

Les photos s’affichent sur un écran à un étage supérieur de l’hôpital général de Falloujah. Et tout à coup, le bureau de l’administrateur Nadhem Shokr al-Hadidi se transforme en une petite chambre des horreurs. Un bébé avec une bouche énorme et déformée. Un autre avec une malformation de la moelle épinière, la colonne vertébrale en dehors du corps. Un bébé avec un terrible et large œil cyclopéen. Un autre bébé avec seulement une demi-tête, mort-né comme les autres, dont la date de naissance est le 17 juin 2009. Maintenant, une autre série d’images sur l’écran : date de naissance, 6 juillet 2009, avec un petit enfant avec un demi-bras droit, pas de jambe gauche, pas d’organes génitaux.

« Nous voyons cela tout le temps maintenant, » dit Al-Hadidi, et une femme médecin entre dans la pièce et regarde l’écran. Elle a mis au monde certains de ces enfants mort-nés. « Je n’ai jamais rien vu d’aussi terrible que cela dans mon service, » dit-elle calmement. Al-Hadidi prend les appels téléphoniques, accueille les visiteurs dans son bureau, nous offre du thé et des biscuits pendant que les images de cet horrible spectacle se déploient sur l’écran. J’ai demandé à voir ces photographies afin de m’assurer que les enfants mort-nés, les malformations, étaient bien réels. Il y a toujours un lecteur ou un spectateur qui va murmurer dans un souffle, le mot « propagande ».
Mais les photos sont accablantes, une réponse terrible à de tels doutes. Le 7 janvier 2010 : un bébé avec une peau jaune et fanée, et les bras difformes. Le 26 avril 2010 : une masse grise sur le côté de la tête du bébé. Un médecin à côté de moi parle de « tétralogie de Fallot », une transposition des principaux vaisseaux sanguins. Le 3 mai 2010 : une créature ressemblant à une grenouille, où - selon le médecin de Falloujah qui entra à ce moment-là dans la pièce - « tous les organes abdominaux essayent de sortir du corps. »

C’en est trop. Ces photographies sont trop horribles, la douleur et l’émotion qu’elles suscitent - pour les pauvres parents, pour dire le moins - sont impossible à supporter. Ces photos ne peuvent tout simplement pas être publiées.

Les médecins de Falloujah savent que nous sommes au courant de cette tragédie. En effet, il n’y a plus rien de caché sur les déformations des enfants de Falloujah. D’autres correspondants, dont mon collègue Patrick Cockburn, ont visité Falloujah pour s’en rendre compte. Ce qui est honteux, c’est que ces déformations continuent de se produire sans surveillance. Une femme médecin de Falloujah, une obstétricienne formée en Grande-Bretagne - elle n’est arrivée ici que depuis cinq mois - a acheté de ses propres deniers pour sa clinique privée un scanner à 79000 livres sterling pour la détection prénatale des anomalies congénitales. Elle me donne son nom et me demande pourquoi le ministère de la Santé à Bagdad ne mènerait pas une enquête officielle complète sur les bébés difformes de Falloujah.

« J’ai été voir le ministère, » dit-elle. « Ils ont dit qu’ils avaient un comité. Je suis allé à ce comité. Et ils n’ont rien fait. Je n’ai tout simplement pas pu les amener à répondre. » Puis, 24 heures plus tard, la même femme envoie un message à un de mes amis, un autre médecin irakien, pour me faire savoir que je ne devais pas citer son nom.

Si le nombre d’enfants mort-nés de Falloujah est une honte, le personnel médical à l’hôpital général de Falloujah fait preuve d’honnêteté en prévenant à plusieurs reprises contre le danger de tirer des conclusions trop rapides.

« J’ai mis au monde ce bébé, » dit l’obstétricienne alors que clignote une image plus sur l’écran. « Je ne pense pas que cela a à voir avec des armes américaines. Les parents étaient consanguins. Les mariages tribaux ici impliquent un grand nombre de familles qui sont proches par le sang. Mais vous devez vous rappeler, aussi, que si les femmes accouchent chez elles d’enfants mort-nés avec des anomalies, on ne nous le signalera pas et le bébé sera enterré sans qu’on nous en informe.
Zeid Mohamed est né avec 4 doigts à chaque main

Les photographies continuent de défiler sur l’écran. Le 19 janvier 2010 : un bébé avec des membres minuscules, mort-né. Un bébé né le 30 octobre 2010, avec une fente labiale et au palais, encore en vie, un orifice dans le coeur, un défaut au visage, et qui a besoin d’un traitement échocardiographique. « Une fente labiale et au palais sont des anomalies congénitales communes », dit tranquillement le Dr Samira Allani. « Mais c’est leur fréquence en augmentation qui est alarmante. » Le Dr Allani a rédigé un document de recherche sur « l’augmentation des malformations congénitales » à Falloujah, une étude sur quatre pères « avec deux lignées de descendance ». Les malformations cardiaques congénitales, dit le document, ont atteint « un niveau sans précédent » en 2010.

Les chiffres continuent de grimper. Alors que nous parlons, une infirmière apporte un message au Dr Allani. Nous allons d’un seul mouvement dans un incubateur à côté de la salle d’accouchement de l’hôpital. Dans l’incubateur se trouve un petit bébé d’à peine 24 jours. Zeid Mohamed est sans doute encore trop jeune pour sourire, mais il dort, sa mère le contemplant à travers la vitre. Elle a donné sa permission pour que je puisse voir son bébé. Son père est un garde d’un service de sécurité et le couple s’est marié il y a trois ans. Il n’y a pas de malformations congénitales mentionnées dans le livret de famille . Mais Zeid n’a que quatre doigts à chacune de ses petites mains.

Les fichiers informatiques du Dr Allani contiennent une centaine de petits Zeids. Elle demande à un autre médecin d’appeler certains parents. Vont-ils parler à un journaliste ? « Ils veulent savoir ce qui est arrivé à leurs enfants », dit-elle. « Ils ont droit à une réponse. » Elle a raison. Mais ni les autorités irakiennes, ni les Américains, ni les Britanniques - qui ont été impliqués dans la seconde bataille de Falloujah et y ont perdu quatre hommes - ni aucune ONG importante, semble désireux ou en mesure de les aider.

Lorsque les médecins peuvent obtenir un financement pour une enquête, ils se tournent parfois vers des organisations qui ont clairement leur propre objectif politique. Le Dr Allani, par exemple, reconnaît le financement de « la Fondation Kuala Lumpur pour criminaliser la guerre » - un groupe qu’on ne peut soupçonner de chercher à blanchir l’utilisation d’armes des États-Unis à Falloujah. Cela aussi, je le crains, fait partie de la tragédie de Falloujah.

L’obstétricienne qui a demandé à rester anonyme parle avec tristesse de l’absence d’équipement et de formation. « Les anomalies chromosomiques - comme le syndrome de Down - ne peuvent être corrigées pendant la période prénatale. Mais une infection fœtale, cela nous pouvons le traiter, et nous pouvons régler ce problème en faisant une transfusion sanguine entre le bébé et la mère, mais aucun laboratoire ici ne dispose de l’équipement nécessaire... Une transfusion sanguine est tout ce dont nous avons besoin pour corriger une telle situation. Bien entendu, cela ne permettra pas de répondre à nos questions : pourquoi les fausses couches augmentent-elles ici, pourquoi les enfants sont-ils mort-nés, pourquoi les naissances prématurées sont-elles en hausse ? »

Le Dr Chris Busby, professeur invité de l’Université d’Ulster, qui a étudié les dossiers de près de 5000 personnes à Falloujah, est d’accord qu’il est impossible d’être catégorique sur la cause des malformations congénitales ainsi que des cancers. « Une exposition très importante à des causes mutagènes ont dû avoir lieu en 2004 lorsque les attaques se sont produites, » écrivait-il il y a deux ans. Le rapport du Dr Busby, croisé avec celui Malak Hamdan et Entesar Ariabi, dit que la mortalité infantile à Falloujah est de 80 sur 1000 naissances, alors qu’elle n’est que de 19 en Egypte, 17 en Jordanie et 9,7 au Koweït.

Un autre des médecins de Falloujah me dit que la seule aide qu’ils aient reçu du Royaume-Uni vient du Dr Harry Nicolaides Kypros, le responsable du département de médecine fœtale à l’hôpital King’s College. Il dirige un organisme de bienfaisance, la Foetal Medicine Foundation, qui a déjà formé un médecin à Falloujah. Je l’ai appelé. Il est éclatant de colère. « Pour moi, l’aspect criminel de tout cela - pendant la guerre - était que les gouvernements britannique et américain ne pouvaient même pas aller à Woolworths et y acheter des ordinateurs pour documenter les morts en Irak. Nous avons donc une publication du Lancet qui estime à 600 000 le total des décès durant la guerre. Pourtant, la puissance occupante n’a pas eu la décence d’avoir un simple ordinateur qui ne coûte que 500 livres sterling et qui leur permette de consigner : « ce corps a été amené aujourd’hui et voici quel était son nom. »

« Maintenant vous avez un pays arabe qui a un plus grand nombre de malformations ou de cancers que toute l’Europe réunie et vous avez besoin d’une étude épidémiologique appropriée. Je suis sûr que les Américains ont utilisé des armes qui ont causé ces déformations. Mais maintenant vous avez un gouvernement de Dieu sait quoi en Irak, et il n’y a aucune étude. Il est très facile de ne rien faire. Seul un doux cinglé comme moi veut essayer depuis Londres de faire quelque chose. »

Dans le bureau d’Al-Hadidi, il y a maintenant des photographies qui défient les mots. Comment pouvez-vous même envisager de décrire un bébé mort avec une seule jambe et une tête qui fait quatre fois la taille de son corps ?

auteur : Robert Fisk
source : info-palestine.net

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