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7 janv. 2012

Révélations sur les singulières pratiques commerciales d'Apple

Concurrencés par les Apple Store, de nombreux revendeurs dits "Premium"
 des produits de la marque à la pomme ont vu leurs ventes baisser. (SIPA)
INTERVIEW François Prudent, PDG de la société eBizcuss a vu son chiffre d'affaires baisser de 30% en trois mois. S'estimant lésé par Apple, ce revendeur "premium" a décidé de porter plainte contre son fournisseur dont il dévoile les pratiques commerciales opaques.

François Prudent porte bien son nom. Revendeur “Premium” de matériel Apple avec sa société eBizcuss, il se battait silencieusement et en toute discrétion depuis des années contre les conséquences de la stratégie de distribution d’Apple sur les revendeurs indépendants de la marque à la pomme. En seulement trois mois, son chiffre d'affaires a baissé de 30%. Sa capitalisation boursière a été divisée par 5 depuis deux ans et demi. Voilà pourquoi, il a décidé de déposer deux plaintes contre Apple. Posant, au passage, une vraie question : depuis le lancement des Apple Stores qu’il possède en propre, Apple a-t-il encore besoin d’un réseau de distributeurs indépendants ? 

Depuis combien de temps votre réseau de revendeurs travaille-t-il avec Apple ?

eBizcuss a été créé en 1992. Nous avons vendu du matériel Apple depuis cette date, d’abord du matériel plutôt orienté Business to Business jusqu'en 2000, puis, depuis cette date, nous avons accompagné Apple dans leur virage "Grand public" qui a fait suite au retour de Steve Jobs. A partir de cette époque, nous avons multiplié les points de vente, à la demande d'Apple. Notre réseau en compte quinze aujourd'hui : 9 en France et 6 en Belgique. En 2000, 60% de notre chiffre d'affaires venait des produits Apple, 40% des produits PC. Aujourd’hui, quasiment 100% de notre chiffre d'affaires vient des produits Apple.

Comment est organisée la distribution des produits chez Apple ?

En fait, il faut savoir que, grosso modo, il existe deux réseaux de distribution physique chez Apple : les APR (“Apple Premium Resellers”), qui sont des revendeurs indépendants -enfin, de moins en moins indépendants... et les ARS (“Apple Retail Stores”), plus connus sous le nom de Apple Stores, qui sont totalement détenus ou contrôlés par Apple.

Nos problèmes ont commencé quand ce deuxième réseau de distribution “propriétaire” est apparu, en 2009. Nous avons tout de suite compris que quelque chose clochait quand nous avons vu que le premier Apple Store parisien s’était établi au Louvre, en pleine zone de chalandise d’un de nos principaux magasins, rue du Renard !

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans vos relations avec Apple ?

Disons que pour bien vendre des produits Apple, encore faut-il être livré en produits Apple... Or concernant les deux grands lancements de produits de 2011, à savoir l’Ipad 2 et le Mac Book Air, nous avons été livrés... 3 mois après le lancement. L’Iphone 4S a, lui, été lancé fin septembre et nous n’avons toujours rien reçu...

Par ailleurs, nous nous arrachons aussi les cheveux avec la notion de “Restricted Zones” : ce sont des zones où des Apple Stores pourraient s’implanter, et où, par conséquent, un revendeur ne peut pas s’installer. Mais à chaque fois que nous voulons ouvrir un nouveau point de vente, Apple nous répond : “impossible, l’emplacement voulu est en Restricted Zone” ! On a l’impression que la France entière est une Restricted Zone, d’autant plus que Apple refuse bien sûr de nous communiquer une carte de ces fameuses zones ! En tout, nous avons fait 10 demandes : elles se sont traduites par 10 refus. Le plus déroutant, c’est que des emplacements avaient été suggérés par Apple France, et qu’ils ont été refusés par Apple USA...

Nous sommes également victimes d’une pratique qui ressemble à du détournement de clientèle : par exemple quand un client achète un Mac chez nous, il reçoit ensuite des mails promotionnels envoyés par Apple. Ainsi, au moment du pré-lancement de l’Ipad, Apple a fait une campagne de précommandes par emailing en direction des Mac achetés par nos clients. Nous leur avons demandé l’autorisation de pouvoir leur envoyer, nous aussi, des emails de précommande : Apple nous l’a interdit.

Même au niveau des conditions de paiement, nous subissons la loi d’Apple : en principe, nous devons les payer à 30 jours. Mais dans les faits, c’est dès que la marchandise quitte l’Irlande (Apple Europe est une société basée en Irlande, NDLR) que nous devons payer Apple, soit 15 jours après réception de la commande ! Quand on sait que certains de leurs fournisseurs sont payés à un an...

Mais si ces conditions sont si draconiennes, pourquoi ne pas rompre le contrat et vendre d’autres produits que ceux d’Apple?

Mais parce que nous ne le pouvons pas ! Nous sommes devenus totalement dépendant d’Apple ! Dans le contrat, il est indiqué par exemple que le revendeur n’a pas le droit de "démontrer" (exposer et permettre la manipulation par le chaland, NDLR) d’autres produits que ceux d’Apple. D’autre part, les produits d’Apple doivent représenter au minimum 75% du CA du magasin - en fait, chez nous, Apple représente quasiment 100% du chiffre d'affaires, car chez nous les produits "non Apple" concernent seulement les accessoires d’autres marques et les imprimantes -lesquelles doivent être en plus agréées par Apple !

En fait, nous sommes face à un "conflit de canaux de distribution" : d’un côté, le réseau des ARS (Apple Stores, NDLR), que Apple possède en propre. De l’autre, le réseau des revendeurs indépendants, appelés les APR (“Apple Premium Resellers”).

Il faut savoir que Apple Europe, qui supervise les APR (réseau des revendeurs), se trouve en fait en compétition avec Apple USA, qui gère en direct les ARS (Apple Stores) : du coup, chaque entité a ses objectifs, qui ne sont apparemment ni harmonisés ni cohérents. Prenons l’exemple des taux de marge : notre taux de marge n’est que de 16%, alors qu’il est de 20% pour les Apple Stores !

Un nouveau problème est apparu : l’essentiel de notre chiffre d'affaires (60%) est réalisé en B to B, donc avec une cible “entreprises”. Or il existe aussi au sein des Apple Stores des équipes dédiées à cette cible “entreprises” ! Nous avons pu constater qu’ils leur faisaient des propositions inférieures de 10% au "prix public Entreprises" officiel d’Apple.

Avez-vous essayé de négocier avec Apple ?

Mais nous n’arrêtons pas d’essayer de négocier avec eux... Depuis deux ans et demi, nous demandons à Apple : "qu’est-ce qu’on doit faire pour que notre développement soit compatible avec celui des Apple Stores ?" Mais nous n’avons aucune réponse. Quand nous leur envoyons des lettres recommandées, ou quand nous lançons un référé, comme ce fut le cas en novembre, ils nous font répondre qu’ils vont prendre des mesures à notre égard -mais en général, ce sont des mesures de rétorsion...

Nous avions fait ce référé pour demander à ce qu’ils nous livrent leurs produits avant les fêtes de fin d’année. Généralement, nous ne recevons pas assez de produits. Là, notre référé a eu l’effet inverse : au lieu de nous livrer 10 Mac, par exemple, ils en ont livré 60, ce qui a asséché notre trésorerie !

Comment est-ce possible ?

C’est simple : il leur a suffi de faire passer unilatéralement notre "allocation de base" de 10 unités à 60, sans nous demander notre avis... L’allocation de base, c’est une sorte de "quantité minimum par commande..." Par ailleurs, est-ce un hasard si, juste après notre référé, nous avons temporairement disparu du "Locator" de leur site Internet ? (un moteur de recherche interne au site d’Apple qui donne l’adresse des Apple Stores et des revendeurs NDLR) Nous avons dû envoyer des dizaines de mails, passer un nombre incalculable de coups de fil, envoyer une vingtaine de lettres recommandées pour avoir une réponse à notre question relative à leur stratégie de distribution. Résultat : aucun. Même si nous avons pu arracher de temps en temps un rendez-vous sympathique mais purement formel.

Comment ça se passe, quand vous avez rendez-vous avec Apple ?

Pendant 45 minutes, un salarié habillé très "casual wear", très "cool", vous explique à quel point Apple est une boîte fantastique, que c’est une chance incroyable de travailler avec Apple, et que leurs produits fabuleux vont changer le monde. On est à la limite de l’évangélisation, d’autant plus que l’orateur est généralement habité par son discours et qu’il est tout à fait convainquant. Il peut y avoir un slide-show, des visuels, mais ce n’est pas toujours le cas.

Ensuite, pendant 45 minutes, c’est à nous d’expliquer notre problème. Nous leur demandons : "Où pouvons-nous nous déployer ? Sur quels réseaux secondaires pouvons-nous nous implanter ? Quel est votre stratégie de distribution, et comment pouvons-nous à la fois nous y conformer et poursuivre notre développement ?" Les réponses se font toujours sur le même schéma : d’abord, ils nous expliquent que dans tel pays, ça se passe comme ceci, que dans telle zone géographique, ça se passe comme cela... Puis ils finissent par nous dire qu’ils vont transmettre nos questions à leur hiérarchie. Nous attendons encore la réponse à chacune de ces questions...

Est-ce que les relations s’améliorent depuis la nomination de Tim Cook au poste de PDG ?

Je ne sais pas si les choses vont mieux ou moins bien depuis la nomination de Tim Cook. Ce que je peux dire, en revanche, c’est que depuis la disparition de Steve Jobs, on sent que les gens ont peur pour leur emploi et qu’ils n’osent pas bouger. Déjà, avant, ils bougeaient peu, mais là, on peut le dire, oui, c’est pire.

Allez-vous agir en justice contre Apple ?

En fait, nous allons donc lancer deux actions en justice, avec l’aide de nos avocats Me Santoni et Me Thouvenin. Une plainte pour "abus de position dominante", et une plainte pour "dépendance économique". Les deux plaintes sont déjà rédigées et seront déposées dans quelques semaines. Nous irons jusqu’au bout, car nous n’avons rien à perdre : en raison du manque de lisibilité de la stratégie de distribution d’Apple, en raison du conflit entre les Apple Stores et les revendeurs, nous savons que notre horizon, actuellement, est totalement bouché.

Nous sommes dans la seringue et condamnés à l’asphyxie : notre chiffre d'affaires a baissé de 30% lors du troisième trimestre 2011 (alors qu’Apple a vu son CA croître de 60% cette année-là), notre action a baissé de 50% depuis un an, et notre capitalisation boursière a été divisée par 5 depuis deux ans, sans parler de l’emploi des 130 salariés en France, qui est menacé.

En cas de dilemmes -et ils sont potentiellement nombreux-, Apple favorisera toujours ses Apple Stores. Mais dans ce cas, pourquoi conserver un réseau de revendeurs ? Surtout s’ils refusent de nous livrer les produits au bon moment, et qu’ils nous imposent des prix excessivement élevés -ou des marges excessivement faibles, ce qui revient au même. Mais ce que nous voulons surtout, c’est que Apple vienne enfin nous expliquer quelle est sa stratégie multicanal, et quelle est la place du réseau des revendeurs dans cette stratégie.

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