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30 nov. 2011

Exxon défie Bagdad au Kurdistan

Les compagnies pétrolières anglo-saxonnes conduisent à nouveau la diplomatie occidentale en Irak. En jeu : l'avenir de la production mondiale.


La firme pétrolière américaine ExxonMobil a entrepris de mettre à l'épreuve la détermination du gouvernement irakien à défendre son autorité sur l'ensemble de son territoire, au moment où les troupes américaines achèvent de se retirer du pays.



Le géant Exxon a annoncé le 11 novembre la signature avec le gouvernement du Kurdistan irakien d'un contrat d'exploitation de six blocs de concession situés sur le territoire de cette région semi-autonome du Nord de l'Irak. A Bagdad, le gouvernement irakien dénie pourtant au Kurdistan le droit de signer des accords pétroliers de manière indépendante, et menace Exxon de sanctions.


Le ministère du pétrole irakien a indiqué le 21 novembre que la Royal Dutch Shell pourrait prendre la place d'Exxon sur un champ pétrolier géant du Sud du pays, West Qurna, où la firme américaine assure, en coopération avec Shell, la production de 370 000 barils par jour dans le cadre d'un contrat de service signé avec Bagdad.

D'après le premier ministre de la région semi-autonome du Kurdistan, l'accord qu'il vient de conclure avec Exxon ne contrevient pas à la constitution irakienne, rapporte Al Arabiya. Faux, répond le gouvernement central à Bagdad, qui contrôle le champ pétrolier géant de Kirkouk revendiqué par le Kurdistan, et qui refuse de voir lui échapper les autres champs du Nord de l'Irak, situés pour la plupart sur le territoire de la région semi-autonome.

La loi irakienne sur le pétrole, qui devait permettre de partager les revenus de l'or noir, est plus que jamais dans l'impasse, indique Petroleum Economist.

C'est la première fois que le Kurdistan se risque à signer un accord avec une major. Jusqu'ici, Erbil jouait la prudence, se contentant de collaborer avec de petites compagnies indépendantes. Car Bagdad a pour l'instant placé systématiquement sur liste noire à toutes les sociétés pétrolières traitant directement avec les Kurdes, leur interdisant l'accès aux champs du Sud de l'Irak.

Le défi d'Exxon au gouvernement de Bagdad démontre à nouveau la volonté de la première compagnie pétrolière privée de la planète de prendre des risques politiques importants afin de reconstituer ses réserves déclinantes, après sa signature d'un accord avec le Kremlin en septembre pour développer le pétrole russe de l'Arctique.

L'impasse qui se profile au Nord de l'Irak peut avoir des conséquences lourdes sur la capacité de l'industrie pétrolière, aujourd'hui très discutée, à retarder le déclin de la production mondiale d'or noir.

L'Irak est jugé généralement capable d'accroître très substantiellement ses extractions. Mais il tarde à y parvenir depuis la fin de la guerre. Dans son dernier rapport annuel, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) compte sur l'Irak pour assurer la plus forte augmentation future de la production mondiale, avec un supplément de 5,2 millions de barils par jour (Mb/j) escompté d'ici à 2035, loin devant l'Arabie Saoudite (+ 3,9 Mb/j). La production de l'Irak serait ainsi portée de 2,4 à 7,6 Mb/j, très au-delà de son niveau de production record de 3,5 Mb/j atteint en 1979, juste avant le début de la guerre contre l'Iran.

Sans cette hausse énorme des extractions souhaitée par l'AIE (et par le gouvernement irakien), le marché pétrolier mondial ira dans le « mur », déclarait en 2007 le chef économiste de l'AIE, Fatih Birol, dans une interview qu'il m'avait accordé pour le site du Monde.

Qualifié de « frontière ultime du pétrole » par l'ancien patron de BP, Tony Hayward, le Kurdistan disposerait de 45 milliards de barils de réserves à lui seul. C'est plus du double des réserves du golfe du Mexique et près de 40 % des réserves totales de l'Irak, les quatrièmes de la planète.



Le pétrole de la région semi-autonome kurde a jusqu'ici été moins développé que celui de la région de Bassora, au Sud, où se concentre l'essentiel du reste de la production irakienne. Le Kurdistan est par ailleurs beaucoup plus sûr que le reste de l'Irak pour les pétroliers occidentaux, américains et britanniques en particulier.




Le défi d'Exxon apparaît bien plus risqué pour Bagdad que pour la major américaine.

« ExxonMobil a peu à perdre avec son contrat de service dans le Sud, et beaucoup à gagner avec son contrat de partage de la production dans le Nord », remarque un expert cité par le Oil & Gas Journal.

Mais pour Bagdad, choisir d'écarter Exxon du consortium qui l'unit à Shell sur le champ de West Qurna risquerait d'avoir des conséquences fâcheuses. A West Qurna, Exxon s'est engagé dans un plan d'investissement de 50 milliards de dollars qui vise à rendre ce champ gigantesque beaucoup plus productif. Les investissements à West Qurna constituent l'élément clé du très ambitieux programme de développement de la production que Bagdad essaye de mettre en place. Annuler maintenant le contrat d'Exxon « risquerait de mettre en péril ce programme à un moment crucial de la reconstruction de l'Irak », note l'agence UPI, qui ajoute : « Une longue bataille juridique risquerait de décourager d'autres investisseurs étrangers. »

Mais laisser faire les Kurdes pourrait donner des idées à la population chiite pauvre qui peuple majoritairement le Sud de l'Irak. Les chiites « voient les exportations de brut augmenter et perdent patience face aux coupures de courants, au chômage et à la lenteur du développement du logement et de l'activité économique » dans la région de Bassora, constate l'agence Reuters.

D'après Tony Hayward, désormais patron de Genel Energy, une compagnie pétrolière indépendante cotée à Londres et aujourd'hui n°1 du pétrole au Kurdistan, l'initiative d'Exxon pourrait « finalement […] hâter la progression vers un compromis » entre Bagdad et la région région kurde semi-autonome, rapporte le Oil and Gas Journal.

Une porte-parole du département d'Etat américain a indiqué :

« La continuation d'un développement rapide du secteur pétrolier irakien est dans l'intérêt de tout le monde, et nous attendons que le gouvernement de l'Irak et ExxonMobil résolvent ce problème d'une manière qui ne freine pas les progrès futurs de ce secteur essentiel. »

L'ambassadeur britannique en Irak a appelé Bagdad « à résoudre ses différents [avec le Kurdistan] et à trouver un accord sur le partage des revenus et les lois sur les hydrocarbures ».

Les compagnies pétrolières occidentales sont en passe de peser de manière décisive sur l'avenir de l'Irak. A Washington et à Londres, les diplomates soutiennent passivement Exxon et Genel Energy contre Bagdad, priant certainement pour que tout ça se termine bien.

Un pari dangereux. Le 31 décembre, les soldats américains auront quitté l'Irak, laissant la porte ouverte à toutes sortes de développements chaotiques dans la région de la ville de Kirkouk et de son champ pétrolier, que les Kurdes d'Irak considèrent comme partie intégrante de leur territoire, mais qui demeure sous l'autorité de Bagdad. Un champ en très mauvais état et largement épuisé, d'après la compagnie pétrolière nationale irakienne. Le gouvernement du Kurdistan refuse de prendre pour argent comptant cette affirmation, qui paraît pourtant très plausible, dans la mesure où le champ de Kirkouk est exploité depuis quatre-vingt-quatre ans.

Avec Exxon et Genel Energy, ce sont une nouvelle fois les compagnies pétrolières qui maîtrisent le jeu diplomatique occidental en Irak. On se croirait revenus à la fin des années vingt, à l'époque de la création de l'Irak Petroleum Company, lorsque les majors anglo-saxonnes et leur petite sœur française, la CFP (l'ancêtre de Total), présidaient au dépeçage de l'empire turc en Mésopotamie, sous le regard bienveillant de leurs chancelleries.

Tandis que s'accumulent les indices tendant à montrer que l'invasion de l'Irak en 2003 était bien une guerre du pétrole, l'impérialisme fait en Irak son éternel retour, tel qu'il fut défini en 1951 par Hannah Arendt dans Les origines du totalitarisme, à propos de la guerre des Boers :

« Pour la première fois, ce ne fut pas l'investissement du pouvoir qui prépara la voie à l'investissement de l'argent, mais l'exportation du pouvoir qui suivit docilement le chemin de l'argent exporté (...) » (Gallimard, 2002, p. 384).


L'exploitation du pétrole de Kirkouk a débuté le 14 octobre 1927. Jusqu'à la nationalisation de 1972, le pétrole irakien fut exploité par un consortium réunissant la Shell, British Petroleum, Standard Oil of New Jersey (l'ancêtre d'Exxon), Socony-Vacuum (l'ancêtre de Mobil), la CFP (l'ancêtre de Total) et enfin l'homme d'affaires arménien Calouste Sarkis Gulbenkian (dit "Monsieur Cinq Pour Cent"). [APOC]



Le Monde.fr

25 Novembre 2011

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