NANTERRE, Hauts-de-Seine (Reuters) – Les laboratoires Servier et leur président-fondateur Jacques Servier ont obtenu lundi une victoire procédurale avec le renvoi de leur premier procès pour « tromperie aggravée » dans l’affaire visant le médicament Mediator.
Les prévenus ont au moins gagné du temps, et pourraient même in fine obtenir l’annulation totale d’une des deux procédures pénales relatives à ce médicament prescrit à des millions de personnes de 1976 à 2009 et qui aurait fait, selon des rapports officiels, de 500 à 2.000 morts.
Saisi d’une citation directe par 600 victimes présumées, le tribunal correctionnel de Nanterre (Hauts-de-Seine) a retenu une demande soulevée par les prévenus, une « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC) consistant à se plaindre d’une possible violation des droits de la défense.
On ne peut, dit la défense des prévenus, juger les suspects pour « tromperie » sur citation directe alors même qu’une instruction est en cours à Paris sur les mêmes faits, dans laquelle pourraient apparaître des éléments à décharge.
Cette QPC sera soumise à la Cour de cassation qui aura trois mois pour statuer. Elle décidera soit de la rejeter, auquel cas le procès de Nanterre pourra se tenir, soit de la transmettre au Conseil constitutionnel, qui aura alors un délai de trois mois pour statuer définitivement. S’il accepte les arguments de la défense, le procès de Nanterre ne se tiendra jamais.
Dans sa décision lue à l’audience, la présidente du tribunal de Nanterre a eu des mots très durs pour les avocats des plaignants, qui s’étaient vantés dans la presse de « faire partir avec les pinces » les prévenus dans un délai de quelques jours.
La magistrate, Isabelle Prévost-Desprez, a rappelé le droit de chacun à un « procès équitable » et ajouté : « il ne saurait être imposé à aucun juge un procès tronqué ».
Hervé Témine, l’avocat de Jacques Servier, qui est âgé de 90 ans, a triomphé devant la presse.
« Le plus important, c’est que le tribunal a rappelé qu’aucune pression médiatique ne saurait dicter à aucun tribunal indépendant et impartial sa décision, son jugement », a-t-il dit.
L’INFORMATION DE PARIS, LA BONNE VOIE ?
Les avocats des plaignants de Nanterre, Me François Honnorat et Charles-Joseph Oudin, plaidaient l’urgence de tenir un procès pour des victimes malades ou en danger de mort. Ils estiment pouvoir démontrer sans problème la tromperie et faire l’économie d’une information judiciaire qui prendra de longues années.
Ils se faisaient donc fort d’obtenir de la prison pour Jacques Servier et quatre autres dirigeants et des interdictions d’activité contre la société Servier et sa filiale commerciale Biopharma.
D’autres plaignants, notamment l’assurance-maladie qui entend obtenir des centaines de millions d’euros de Servier au titre des sommes déboursées pour le Mediator, se montrent plus sceptiques et préfèrent officiellement la voie de l’information judiciaire de Paris, plus approfondie, où s’accumulent des dépositions et des expertises incontestables.
Dans cette information, Jacques Servier, ses sociétés et des dirigeants sont mis en examen depuis fin 2011, ainsi que ses sociétés, depuis septembre pour « tromperie et escroquerie » notamment. Les juges d’instruction ont d’ores et déjà imposé dans ce cadre 100 millions d’euros de cautions et de garanties à la société et ses dirigeants.
Le problème, déjà rencontré dans d’autres scandales de santé publique, est que les arcanes de la procédure permettent souvent à des prévenus d’enliser les enquêtes. Les affaires du sang contaminé par le virus du sida et de l’hormone de croissance ont ainsi capoté après deux décennies.
Servier et ses dirigeants sont soupçonnés d’avoir dissimulé les caractéristiques du Mediator, présenté comme antidiabétique mais prescrit comme coupe-faim, et d’avoir caché les risques identifiés dans les années 1990.
Le Mediator a été retiré du marché à l’étranger bien avant la France, de même que d’autres produits voisins, notent-ils.
La société Servier conteste ces accusations et remarque que le système de santé français dispose de très nombreux dispositifs de contrôle, qui n’auraient pas manqué, estime-t-elle, de relever tout risque s’il avait été si évident.
Source: Reuters
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