Il ne se sera privé de rien durant ce quinquennat, le sarkastique… Et les socialistes outrés par ce « hold-up », qu’en faisaient ils de cette cagnotte quand ils étaient « aux affaires »??? Ca ne date pas d’hier non?
Médiapart L’hyper-président Sarkozy ne s’interdit rien. Non seulement il empiète sur les attributions de son gouvernement et s’accapare le pavillon de La Lanterne, la résidence historique du Premier ministre, mais on découvre qu’il a aussi mis la main, dans la plus grande discrétion, sur la «réserve» du ministre de l’Intérieur, une étrange cagnotte connue des seuls initiés, dotée de plusieurs millions d’euros par an. Un véritable «hold-up», selon le député socialiste René Dosière, spécialiste des comptes de l’Élysée.
De quelle «réserve» s’agit-il? Chaque année, dans le budget de l’État, une ligne de crédits est allouée au ministre de l’Intérieur, camouflée dans un programme au nom abscons: «travaux divers d’intérêt local». Derrière ce jargon se cache, depuis des lustres, un formidable outil de pouvoir et d’influence: le ministre de l’Intérieur (aussi ministre des Collectivités locales) a le droit de distribuer cette manne sous forme de subventions exceptionnelles aux communes qui lui en font la demande par courrier, et qu’il choisit selon son bon vouloir. En 2012, cette tirelire contiendra au moins 19 millions d’euros, d’après le projet de loi de finances initial.
Traditionnellement, l’occupant de la place Beauvau saupoudre ici et là, vole au secours de tel ou tel élu qui n’arrive pas à boucler le financement de son nouveau clocher, de son école, de son stade, ou de n’importe quel projet local (remplissant un certain nombre de critères tout de même). L’usage de cette «réserve ministérielle» a toujours été d’une opacité totale: aucune liste des collectivités bénéficiaires n’est rendue publique. C’est le clientélisme à l’état pur, érigé en système.
Or Nicolas Sarkozy a mis la main sur une grande part de ce trésor fin 2008, sans le moindre complexe. Deux anciens ministres de l’Intérieur du gouvernement Jospin, interrogés par Mediapart, n’en reviennent pas. «C’est scandaleux!», dénonce Jean-Pierre Chevènement, aujourd’hui sénateur. «Nous assistons à un détournement de procédure», s’étrangle Daniel Vaillant (maire et député du XVIIIe arrondissement de Paris), «choqué que le président de la République se soit attribué cette réserve ministérielle». «C’est une curieuse conception de la République.»
L’affaire date du 23 octobre 2008. Par une lettre longtemps restée secrète (rendue publique le 15 novembre dernier par Le Monde), Nicolas Sarkozy a ordonné à Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur à l’époque, de renoncer à l’essentiel de sa cagnotte: «Je souhaite que les deux tiers de ces crédits (…) fassent désormais l’objet d’une programmation décidée au niveau de mon cabinet», lui a indiqué le président de la République. «Les deux tiers», c’est-à-dire 12,6 millions d’euros pour 2012.
La gaulliste s’est exécutée. Et depuis, des élus locaux en mal de subventions adressent leurs courriers au 55, rue du Faubourg-Saint-Honoré, palais de l’Élysée. Les conseillers du Président traitent les demandes, en fonction de critères restés inconnus. Comment ne pas soupçonner un usage ultrapartisan de cet argent public, qui favoriserait l’UMP et récompenserait des opposants accommodants?
Mediapart n’a pu obtenir le moindre chiffre, le moindre nom. Quand on demande la liste des collectivités aidées par l’Élysée depuis octobre 2008, le conseiller communication du Président renvoie vers le ministère de l’Intérieur: «Ce sont eux qui ont les infos.» Place Beauvau, où Brice Hortefeux puis Claude Guéant ont succédé à Michèle Alliot-Marie, pas de réponse. À Bercy, même mutisme.
Mediapart a donc sollicité une vingtaine de préfectures (Hauts-de-Seine, Alpes-Maritimes, Paris, Bouches-du-Rhône, Pas-de-Calais, Seine-et-Marne, etc.): département par département, celles-ci gèrent en effet les dossiers et voient passer chaque subvention. Mais au lendemain de nos premières demandes, une consigne est tombée du ministère de l’Intérieur: bouche cousue!
La loi de 1978 sur le droit d’accès aux documents administratifs fait pourtant obligation aux préfectures de nous communiquer ces données − comme la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), autorité indépendante, a déjà eu l’occasion de le rappeler. Il s’agit, dès lors, d’une obstruction délibérée.
Mediapart a fini par dénicher un exemple. Le 3 mars 2011, Anne Grommerch-Brandenbourger, députée UMP de Moselle, a reçu cinq lettres signées du chef de l’État en personne, lui annonçant qu’il “arrosait” cinq villages de sa circonscription: «Vous avez bien voulu appeler mon attention sur la demande d’aide financière de la commune de KANFEN, afin de lui permettre de réaliser l’aménagement d’un parking de covoiturage, écrit notamment Nicolas Sarkozy. J’ai décidé d’accorder à cette commune une subvention (…) d’un montant de 30.000 euros. (…) Heureux d’avoir pu vous aider sur ce dossier important.»
25.000 euros pleuvent, le même jour, sur Zoufftgen et ses «ateliers municipaux». 50.000 euros sur Waldweistroff pour la «requalification de la place de l’Église». 150.000 euros sur Rettel et sa «caserne de gendarmerie». 30.000 euros sur Merschweiller dans la perspective de l’«aménagement de la rue des Champs et d’une placette à Kitzing». En tout, à six mois de sénatoriales ultraserrées en Moselle (et quinze mois des législatives), Nicolas Sarkozy a ainsi distribué 285.000 euros. Pour quelles raisons? La députée Anne Grommerch, sollicitée à de multiples reprises par Mediapart, n’a pas retourné nos appels.
En général, une fois la bonne nouvelle annoncée aux édiles, l’Élysée ne s’encombre pas de la paperasse ni du suivi des dossiers, abandonnés aux fonctionnaires de l’Intérieur. «La gestion administrative (de la réserve) continuera à être assumée par votre ministère», précisait Nicolas Sarkozy dès octobre 2008, dans ses instructions à Michèle Alliot-Marie. Les avantages de la réserve, oui. Les inconvénients, pas question!
«Constitutionnellement, tout cela pose un vrai problème, peste le socialiste René Dosière. C’est une intervention directe du Président dans le champ d’action du gouvernement. En plus, je parie que Nicolas Sarkozy fait principalement des choix politiques; ça lui sert à fluidifier, comme on dit, ses relations avec les élus de la majorité. À les contrôler. Je serais curieux de savoir, par exemple, comment sont traités les villepinistes.»
Les anciens ministres de l’Intérieur, de droite comme de gauche, n’ont-ils pas procédé, eux aussi, à une répartition des fonds clientéliste? «C’est vrai que, de toute façon, c’est un peu politique comme financements», admet René Dosière.
Daniel Vaillant, ministre de l’Intérieur de Lionel Jospin entre 2000 et 2002, reconnaît lui aussi que «le système de la réserve n’est pas très élégant», mais il assure avoir, quand il était en fonction, réparti les fonds de manière «équitable». Faute de données publiques, c’est invérifiable. «Au ministère, il y avait alors une commission avec des fonctionnaires de la Direction générale des collectivités locales et un membre de mon cabinet, qui examinait les demandes, détaille le socialiste. Je ne décidais pas le nez au vent!»
À l’époque, surtout, le chef de l’État, Jacques Chirac, respectait les formes républicaines: «Quand le président Chirac voulait débloquer des subventions pour des élus de Corrèze (ndlr: son fief), il m’écrivait à moi!, relate Daniel Vaillant. Il ne s’arrogeait aucun droit.»
Le socialiste plaindrait presque les ministres de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy: «Quand je suis intervenu auprès de Brice Hortefeux pour qu’il accorde une petite subvention à la commune de Saint-André-en-Morvan dans la Nièvre (ndlr: le département de naissance de Daniel Vaillant), je comprends mieux pourquoi il m’a répondu: « Je ne peux pas, y a plus de sous »! En fait, ses crédits se raréfiaient, puisqu’ils étaient détournés par l’Élysée!»
Si Daniel Vaillant suggère a minima que Nicolas Sarkozy rende la cagnotte, d’autres socialistes poussent plus loin la critique: «Cette réserve, qui institutionnalise le clientélisme, ne devrait même pas exister», juge le député Jean-Jacques Urvoas, qui réclame son abrogation pure et simple.
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