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17 juin 2013

Le triangle Iran-Argentine-Israël et la France

Les élections iraniennes viennent de se dérouler, et de témoigner de la calme détermination des Iraniens à rester maîtres chez eux. Ni turbulences symptomatiques de nervosité au sommet de l’État, ni abstentionnisme massif signifiant la perte de légitimité du système, ni votes hystériques : juste une alternance bien élevée, comme cela se pratique en Occident. La qualité de ce vote ressort particulièrement sur le fond que constitue la volonté bien réelle d’Israël de déstabiliser et de dévitaliser durablement l’Iran.

M. Fabius veut faire payer les Français, en morts et en sacrifices matériels, pour s’offrir le plaisir d’envahir et de démembrer la Syrie, avant d’en faire autant en Iran ; il y a deux semaines, il a essayé de faire classer la branche militaire du Hezbollah dans les organisations terroristes, en dépit de l’avis de plusieurs diplomaties européennes.



En fait, c’est depuis la victoire de la révolution khomeyniste qu’Israël se démène pour faire accuser l’Iran de terrorisme d’État, sans parvenir à dépasser le stade de l’imprécation médiatisée. Nouvel épisode ficelé par les services français de propagande israélienne, le 29 mai dernier, plusieurs jours avant que l’info soit reprise par d’autres, RFI avait annoncé que le procureur argentin Alberto Nissman avait découvert un réseau monté par le Hezbollah pour commettre des attentats et couvrant toute l’Amérique latine. Bien entendu, Cuba s’en est trouvée aussitôt accusée de complicité de terrorisme [1] Il s’agissait simplement d’amplifier la presse israélienne [2] et argentine [3], qui prennent la chose très au sérieux, quoique cette accusation contre le Hezbollah soit éculée, et soit reprise régulièrement depuis plus de dix ans dans les mêmes médias. Un nouveau coup de couteau dans l’eau, pour Israël et pour la bande à Fabius ?

L’exception argentine

Les médias argentins monopolisant l’info, qui ont prêté un grand sérieux à la déclaration creuse du procureur Nissman, livrent une bataille sur tous les fronts contre la présidente argentine Cristina Fernandez, laquelle tente de mener à bien des réformes sociales, économiques, et de limiter la nuisance de ces mêmes médias hégémoniques, tout en pratiquant une ouverture diplomatique sans précédent en direction de l’Amérique latine. Ce faisant, elle emprunte de façon décidée la voie ouverte par le président Chavez, et elle est au coude à coude avec le président Correa, avec un projet d’envergure, ce qui lui vaut un acharnement médiatique tout à fait comparable à celui qu’a subi Chavez. La reprise en main des richesses nationales, l’alliance sur ces bases-là avec les autres pays d’Amérique latine, le renforcement de l’axe des BRICS contre celui de l’OTAN, voilà les enjeux réels. Il s’agira ici d’évoquer le rôle de pivot de l’Argentine, dans la grande confrontation Israël Iran, où chaque autre pays a un rôle par procuration.

La campagne d’intoxication contre le Hezbollah, avec extension au continent latino-américain, relancée par Israël ces jours-ci, est bien sûr une réponse à l’offensive du Hezbollah en Syrie, et à celle du président Bachar el-Assad. Mais elle se heurte à plusieurs obstacles en Argentine.

Cristina Fernandez a pour ministre des Affaires étrangères Hector Timmerman, fils du célèbre Jacobo Timmerman, connu pour avoir été sauvé par une campagne internationale des geôles du général Videla, expulsé en Israël, devenu ensuite extrêmement critique du terrorisme israélien, et frère de Daniel Timmerman, israélien et néanmoins objecteur de conscience. Et le Timmerman actuellement ministre de Cristina Fernandez a déjà déclaré publiquement que Tel Aviv n’a pas à donner d’ordres au gouvernement argentin [4].

L’Argentine et l’Iran ont bouclé au mois de mai un accord historique de coopération. Il s’agit de reprendre l’enquête embourbée depuis bientôt vingt ans sur l’attentat de 1994, contre le centre mutualiste AMIA [5], qu’Israël impute à l’Iran. Voilà ce qui fait enrager toute la zionolande. En toute logique sioniste, le gouvernement argentin – Timmerman Jr. inclus – est donc accusé de complicité avec l’Iran, cet « État terroriste qui nie la Shoah ». C’est l’anathème censé clouer le bec à chacun.

Parmi les coups de bluff successifs d’Israël concernant cet attentat, il faut rappeler le déclenchement de poursuites internationales – par proxy argentin – contre huit Iraniens, dont l’ancien président Rafjansdani, MM. Mohsen Rezai et Ali Akbar Velayati , tous deux candidats à la présidence pour les élections du 17 juin 2013, l’ancien ambassadeur d’Iran et son conseiller culturel, MM. Baharv et Rabbani, et M. Soleimanpour, autre ancien ambassadeur en Argentine. Ce dernier fut effectivement arrêté par Interpol à Londres en 2006, mais la justice britannique le relâcha, parce que le dossier d’accusation transmis par le procureur argentin était... vide. Pour cet ordre de détention arbitraire, l’Argentine dut verser une indemnisation colossale, et payer tous les frais.

Ce que même les Argentins ignorent généralement, c’est que l’Argentine a toujours été le principal partenaire commercial de l’Iran en Amérique latine, et de loin. Depuis l’époque du shah, et ce, avec les encouragements des USA et d’Israël au départ. L’Argentine a fourni à l’Iran technologie, matière premières et conseillers dans le domaine nucléaire, outre du blé, de la viande et des armes.

De l’usage israélien du terrorisme

L’attentat de 2012 en Bulgarie, contre un autobus de touristes israéliens a été immédiatement imputé au Hezbollah par Israël. Mais en quelques semaines, il s’est avéré que c’était impossible. Le gouvernement bulgare a refusé de se prêter à l’opération de propagande israélienne, une réaction rapide, saine, et rare [6]. Cet attentat s’inscrit probablement dans la liste des attentats sous faux-drapeau dont Israël est spécialiste. Or c’est à Buenos Aires qu’avait eu lieu le premier du genre : un attentat contre l’ambassade d’Israël, faisant une vingtaine de morts, en 1992. Après cela, le président Menem, en fonction à l’époque, qui, malgré ses origines et sa famille syriennes, avait choisi de faire son premier voyage officiel à Tel Aviv, ne modifia en rien ses relations avec l’Iran, au grand dam d’Israël, qui avait accusé aussitôt l’Iran de cet attentat « antisémite ». Bizarrement, lorsqu’il s’avéra que les enquêteurs israéliens mentaient comme des arracheurs de dents sur le terrain, Israël renonça à toute exigence ou poursuite, et il n’y eut plus de suite judiciaire du tout au sujet de cet attentat trop étrange (voiture piégée inexistante, explosifs placés à l’intérieur de l’ambassade, multiples tentatives israéliennes pour introduire de fausses preuves sur les lieux, etc.) !

En 1994, rebelote, le deuxième attentat « antisémite » secouait Buenos Aires ; AMIA est une institution culturelle et mutualiste argentine, fleuron de l’intégration juive en Argentine. Comme dans le cas précédent, les victimes (80 au moins) en furent des employés modestes et de nombreux non-juifs, mais aucun dirigeant juif. Comme dans le cas précédent, la commission d’enquête israélienne fit effectivement répandre par les médias la certitude qu’il y avait eu une camionnette piégée conduite par un militant suicidaire du Hezbollah. Mais le juge qui suivit aveuglément cette piste fut quelques années plus tard destitué, parce qu’il payait (sur ordre, avec des sommes provenant d’Israël) un voleur de voitures inculpé dont on espérait qu’il validerait la thèse de la camionnette piégée. Un autre inculpé, syrien d’origine, s’avéra aussi innocent que le premier, et la piste syrienne ne fut jamais sérieusement envisagée. L’expertise de Renault confirma qu’il n’y avait pas eu de camionnette piégée, et le kamikaze supposé fut... abattu par les Israéliens au Liban l’année suivante. Le procureur Nissman, qui prend régulièrement et de façon officielle ses ordres auprès du Jewish Committee de Washington [7], base depuis des années ses accusations contre les dirigeants iraniens sur les dires d’un Iranien opposant au gouvernement, membre des Moudjahiddines du peuple, organisation reconnue comme terroriste même par les USA, et dont les déclarations sont aussi infondées qu’absurdes : il aurait reçu les aveux de certains des inculpés, hauts dignitaires du régime iranien !

En tout état de cause, on voit mal selon quelle logique l’Iran organiserait des attentats dans le pays avec qui il a les échanges commerciaux les plus dynamiques, depuis les années 1960. Le président Menem, qui n’avait jusque là guère écouté les vociférations israéliennes, avait capitulé, et, à la suite de l’attentat de 1994, il avait mis fin au partenariat dans le domaine du nucléaire. Depuis, l’enquête avait continué de s’enliser, de scandales en irrégularités diverses.

Le virage diplomatique argentin

Brusquement, donc, et contrairement à tout pronostic, le gouvernement argentin a provoqué la fureur d’Israël en proposant au gouvernement iranien de créer une commission d’enquête mixte, à laquelle participeraient 5 autres États agréés par les deux parties. C’était en février 2013. Le projet a été validé par le Congrès argentin, malgré le courroux du représentant argentin des intérêts israéliens, qui menaça publiquement la présidente d’un « troisième attentat », à quoi Cristina répondit : « Ah bon, et comment le savez-vous [8] ? » Puis le projet de commission a également été validé par le gouvernement iranien. Quelques mois plus tard, de nombreux journalistes juifs argentins prennent ouvertement position contre les ingérences israéliennes dans la politique argentine, et critiquent férocement le procureur Nissman [9].

En quoi consistent les intérêts israéliens en Argentine ? Les terres de la Patagonie, fertiles et vides, sont depuis longtemps convoitées et méthodiquement achetées par des citoyens israéliens, qui y plantent fièrement le drapeau israélien à l’occasion, et les hôteliers font dans ces contrées leur réclame en hébreu, tout simplement. Banques, organes politiques, culturels et médias, comme partout, sont on ne peut plus liés aux intérêts israéliens, d’autant plus que ce pays tempéré, naturellement riche et insuffisamment peuplé, peut constituer une zone de repli massif en cas de nécessité. Le dernier scandale est celui de la concession à la société israélienne Mekorot de la distribution de l’eau dans la capitale, par le gouverneur de la province de Buenos Aires, ennemi juré de la Présidente. Les antisionistes s’en sont émus, tous les traités signés par l’Argentine stipulant qu’on ne signe pas avec les pays qui bafouent les droits de l’homme, qui pratiquent la torture, etc. [10] L’extrême sud, avec ses glaciers, constitue la grande réserve naturelle d’eau que les Israéliens entendent bien contrôler.

Traditionnellement, l’Argentine considère la Grande-Bretagne comme le pays impérialiste qui la menace directement. Cristina Fernandez a relancé les discussions afin de faire reconnaître la souveraineté argentine sur les îles Malouines (Falkland), dans le sillage de la guerre de 1982 [11]. L’enjeu est énorme : ce sont les immenses réserves en matières premières diverses dans les eaux territoriales argentines que l’OTAN veut garder sous son contrôle. Tous les gouvernements latino-américains soucieux de multipolarité, ainsi que leurs alliés, BRICS et autres, suivent attentivement le dossier, qui ne concerne pas seulement les extrême gauches locales, ni les nationalistes utopiques habituellement appelés néo-nazis. Il s’agit de rouvrir un nouveau front dans la guerre anti-impérialiste [12].

Israël, avec M. Fabius, renforce ses opérations de propagande sur fond d’élections : présidentielles à Caracas en mai, à Téhéran en juin, législatives à Buenos Aires en octobre, présidentielles à Damas en 2014. Les campagnes mensongères autour de l’élection du président Maduro au Venezuela ont donné le ton : il n’y a plus de limites à l’outrance. Il faut souhaiter que l’extrême gauche française, qui a bien soutenu le président Chavez, et qui lui doit également beaucoup, sache échapper aux chantages israéliens, et reconnaître que la diplomatie argentine d’ouverture à l’Iran est un facteur d’équilibre indispensable pour contrer les visées impérialistes Otanosionistes. Ce n’est pas le moment de donner un coup de poignard dans le dos à la dynamique bolivarienne [13]. Le changement d’équipe gouvernementale à Téhéran permettra aux forcenés de la laïcité de ne pas perdre la face, et de faire efficacement front au lobby pro-israélien.



Maria Poumier

Notes :

[1] http://www.clarin.com/politica/Timerman-Interpol-volvio-defender-Iran_0_929307118.html
Cet article résume bien l’affaire ; on notera le dernier paragraphe : "Nisman entre tanto, recibió total apoyo de la DAIA, y la AMIA. Ayer, del Comité Judío Americano, de la representante estadounidense Ileana Ros-Lehtinen (republicana), y en la Argentina, de los diputados opositores Eduardo Amadeo y Gustavo Ferrari." : Le procureur Nissman a reçu un appui total de la Délégation d’Associations Israélites en Argentine, etc., de Ileana Ros-Lehtinen, etc.
[2] http://www.haaretz.com/news/world/iran-set-up-terrorist-networks-in-latin-america-argentine-prosecutor-says-1.526822
[3] La grande presse argentine (Clarîn, et son rival La Naciôn) se borne généralement à développer les points de vue israéliens officiels, voir : http://www.daia.org.ar/Site2009/nota.php?id=4697
[4] http://www.youtube.com/watch?v=MZUQ8LfwYb0 ; http://mounadil.wordpress.com/2013/03/09/argentine-le-chef-de-la-diplomatie-hector-timerman-dit-ses-quatre-verites-a-lentite-sioniste/
[5] Voir "L’Argentine se retourne contre le Mossad, le destin de l’Occident pourrait basculer" http://www.plumenclume.net/articles.php?pg=art1446
[6] http://www.egaliteetreconciliation.fr/Attentat-contre-des-touristes-israeliens-en-Bulgarie-Aucune-preuve-formelle-impliquant-le-Hezbollah-18519.html
[7] http://www.youtube.com/watch?v=unAZMzDXz1A
[8] http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=Lf7e-lgWuYA
[9] Causa AMIA, se abre el juego, por Daniel Schnitman, La Voz y la Opinion, periodismo judeo argentino independiente, junio-julio 2013. Raul Kollman dans le quotidien Página 12, etc.
[10] http://www.noticiaspia.com.ar/protesta-en-argentina-contra-empresa-de-agua-israeli/#sthash.ImMs23or.dpuf
[11] http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2013/03/13/malouines-l-argentine-denonce-une-parodie-de-referendum_1846970_3222.html
[12] Voir le dossier : La guerre des Malouines aura-t-elle lieu ? http://www.plumenclume.net/articles.php?pg=art1333
[13] Riposte laïque définit à sa façon des deux camps en présence ; l’enjeu est bien la main mise d’Israël sur chaque mouvance, dans chaque pays : http://ripostelaique.com/je-ne-pleure-pas-la-mort-de-lantisemite-chavez-ami-de-melenchon-et-du-hezbollah.html


Source : E&R

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