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Aucune fermeture mais des travaux conséquents pour les centrales françaises…Et des augmentations tout aussi conséquentes pour l’usager.
On aurait grand tort de conclure que le rapport de l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire), rendu public mardi 3 janvier, donne simplement quitus à EDF pour sa gestion, puisqu’aucune fermeture de centrales n’est préconisée.
Le nombre de remises à niveau exigées à très court et à long terme par l’ASN est si considérable pour faire face aux multiples vulnérabilités énumérées dans le parc nucléaire français qu’EDF sera certainement conduit à reconsidérer ses coûts de revient de fond en comble. Mais aussi toute sa conception du risque.
Et donc ses tarifs. Voire même à réexaminer la pertinence économique de certaines centrales, comme Tricastin ou Fessenheim. Ne nous y trompons pas : ce rapport est un séisme culturel et financier pour EDF.
Quand André Claude Lacoste, le patron de l’ASN, estime à quelques 2 milliards d’euros les investissements nécessaires, il n’évoque que les diesels d’ultimes recours dont chaque réacteur devra être doté. On est en réalité très loin du compte tant ce qui est présenté comme des différences d’appréciation sont en réalité bien des contentieux entre l’ASN et EDF. Et les points de divergence sont nombreux.
La doxa du Nucléaire ébranlée
Car c’est sans compter avec le résultat des évaluations demandées concernant les risques extraordinaires tectoniques ou d’inondation. De ce point de vue, l’analyse de l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) - qui a effectué les contrôles – est implacable. « Les rapports des exploitants identifient un certain nombre de scénarios extrêmes dans lesquels les SSC (systèmes importants pour la sûreté) pourraient être mis en échec du fait de la survenue d’agressions extérieures de grande ampleur (inondations ou autres évènements climatiques extrêmes, seismes, effets domino provenant d’accidents affectant d’autres installations nucléaires ou non) ».
Manifestement, le traumatisme Fukushima a ébranlé la doxa des agences de contrôle. André Claude Lacoste ne s’en cache pas dans son entretien au « Monde » : « Il y a un avant et un après Fukushima. Le retour d’expérience complet de l’accident de Fukushima peut prendre jusqu’à dix ans et il est possible qu’il nous amène à réviser notre compréhension actuelle de l’accident ».
La formulation est plus tranchée encore à l’IRSN, qui souligne lourdement que même eu égard au référentiel actuel de sûreté, « un certain nombre d’écarts de conformité ont été relevés sur les installations examinées ». Et qui ajoute : « Les événement survenus au Japon nécessitent de reconsidérer le postulat fait à la conception des installations selon lequel un accident grave ne peut être engendré par un phénomène naturel externe à l’installation compte tenu des dispositions prises ». Un révolution conceptuelle.
Danse sur des volcans
Le sentiment qui prévaut alors à la lecture de ce rapport très technique mais aussi formidablement précis et étayé d’exemples forts désagréables pour EDF, c’est bien que nous dansons sur cinquante-huit volcans. Et que s’il n’y a pas d’autres choix que de maintenir la filière nucléaire, en l’état ou réduite, comme c’est probable pour quelques décennies encore, les travaux de sécurisation s’annoncent formidablement lourds. Le vrai coût du nucléaire est peu à peu en train de surgir en pleine lumière.
A la lecture du rapport , on est d’abord en effet frappé par le nombre de »lacunes » d’ »écarts », de vieillissements prématurés (corrosion des tuyauteries des bacs de fuel ou des stations de pompage) et d’un niveau de vigilance souvent altéré, notamment s’agissant de la gestion de la « source froide » qui sert à refroidir les réacteurs à Fessenheim et au Cruas. Comme si l’habitude de la sûreté et l’absence d’accidents graves en France avait fait baisser la garde ici et là.
Des exemples qui font souvent froid dans le dos.
Du risque sismique
S’agissant du risque sismique : « Les exercices déclenchés par l’ASN lors des inspections ont montré que, sur la plupart des sites, les opérateurs susceptibles d’avoir à utiliser les données issues de l’instrumentation sismique ne savent pas ou mal exploiter l’instrumentation sismique, ce qui pourrait aussi retarder le repli des réacteurs voire ne pas amener à prendre cette décision. »
Pour Tricastin : « Certaines installations ne disposent pas de consignes spécifiques précisant la conduite à tenir en cas de séisme (la plupart des installations ne disposent pas d’alimentations électriques de secours dimensionnées au séisme, car non requises par leur référentiel de sûreté. Certains matériels disposent d’une alimentation électrique de secours par batteries ou onduleurs dont la durée peut être limitée à 30 minutes ;Les moyens de communication et de supervision des installations sont secourues par batteries ,ou pendant une durée de 30 minutes à quelques heures seulement (et ils ne sont pas non plus dimensionnés au séisme) ; sur la plupart des installations, les locaux de crise, l’alimentation électrique de la salle de commande, les générateurs électriques de secours et les réseaux de communication ne sont pas dimensionnés au séisme ; la disponibilité des moyens de détection et de lutte contre l’incendie n’est pas garantie (alimentation des détecteurs, réseaux, eau).
Ce type d’ »écart » était épinglé dans les précédents rapports mais de manière nettement plus diplomatique et souvent émasculé par la rédaction. Désormais, les diagnostics généraux sont nets. Et, disons le, cassants.
Manifestement, le renouvellement des experts de l’ASN mais surtout de l’IRSN, qui sont plus jeunes, moins impressionnables par les intérêts supérieurs de l’institution nucléaire, a fait son œuvre. Il faut saluer ici le travail de Jacques Repussard, Dr Général de l’IRSN qui lui même n’a pas fait sa carrière dans le lobby nucléocrate.
Du risque d’inondation
S’agissant des risques de rupture barrages ou de digues concernant Fessenheim et Tricastin, l’ASN exprime ainsi sans ambages son désaccord avec EDF. L’ASN souligne d’abord « l’absence d’éléments d’études précises » et « considère que l’engagement d’EDF répond partiellement à sa demande et qu’EDF devra mener des études indiquant de façon précise le niveau d’eau sur le site du Tricastin en cas de rupture des digues de Donzère-Mondragon et sur le site de Fessenheim en cas de rupture des digues du Grand Canal d’Alsace ».
De la sous-traitance
Même franchise s’agissant du recours à la sous-traitance : « L’ASN considère qu’EDF n’a pas suffisamment démontré, dans les rapports ECS (Evaluations complémentaires de sûreté), que le champ des activités sous-traitées, à la fois en termes de types d’activités considérés et en termes de compétences internes préservées, est compatible avec la pleine responsabilité d’exploitant en matière de sûreté et de radioprotection. »
Oui, on aurait décidément grand tort de réduire ce rapport à un feu vert pour l’exploitation des 58 réacteurs existants. C’est un feu clignotant et sous conditions. Des conditions drastiques.
Les mesures » imposées » par l’Autoirté de sûreté nucléaire :
D’autant que L’ASN prévoit non seulement l’adoption de nombreuses « prescriptions » auxquelles devra se soumettre l’exploitant mais définit aussi le cadre d’un renouvellement stratégiques des dispositifs de sécurité . Ce que Lacoste qualifie de « noyau dur » de dispositions matérielles et organisationnelles.
D’abord une FAR (Force D’Action Rapide) pour intervenir en urgence sur des sites accidentés et un centre de gestion de crise bunkerisé. Ensuite, des procédures pour prévenir le « dénoyage » des combustibles usés, c’est à dire des piscines qui sont généralement très proches des réacteurs et à ciel ouvert comme à Fukushima.
D’autre part, est exigé l’étude d’une enceinte nouvelle pour protéger les eaux souterraines en cas de fusion du cœur du réacteur. Et enfin des dus : groupes électrogènes diesel d’ultime recours dont devront être dotés chaque réacteur.
Pour que ces décisions soient gravées dans le marbre, l’ASN a préparé un projet d’arrêté fixant les règles générales relatives aux installations nucléaires de base qui apportera une contribution importante à l’amélioration de la sûreté et dont l’Agence « recommande qu’il soit signé au plus vite » par le Gouvernement. Le ton a changé.
Pour EDF, c’est l’heure des comptes et de l’apprentissage de l’humilité
Chez EDF, l’heure est aux additions avec le Milliard d’euros comme unité de référence. C’est aussi l’apprentissage de l’humilité. On est très loin du « risque quasiment zéro » évoqué dans le passé. Même l’EPR, présenté comme une merveille technologique invulnérable lors de la crise de Fukushima, devra selon l’Agence être revue et corrigée sur de nombreux points.
Auteur Guillaume Malaurie
Publié sur ResistanceInventerre
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