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16 janv. 2014

Mateo Alaluf : « Le revenu de base précariserait l’emploi »

L’Initiative Citoyenne Européenne (ICE) pour le Revenu de Base Inconditionnel a officiellement pris fin ce mardi, 14 janvier à 23h59. Bilan : au moins 285 000 déclarations de soutien provenant de citoyens de 28 pays européens différents. 


C’est insuffisant pour atteindre le million de signatures demandé par la Commission Européenne afin que soit étudié en profondeur l’ICE au sein du Parlement. Après que Barbara Garbarczyk se soit exprimée lundi en faveur de l’instauration de cette « allocation universelle », FDC est allée interroger Mateo Alaluf, enseignant à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). Le sociologue défend une analyse critique sur ce projet citoyen qu’il estime être « une institutionnalisation de la dépendance »

Femmesdechambre.be : Qu’est-ce que le « revenu de base », appelé aussi « allocation universelle » ? Et pourquoi êtes-vous défavorable à la mise en place de cette allocation ?

Mateo Alaluf : Dans sa forme radicale, telle qu’elle a été formulée par le Collectif Fourier dont Philippe Van Parijs fut un des initiateurs dès 1982, l’allocation universelle était à l’origine une somme d’argent suffisante versée à chaque citoyen pour couvrir ses besoins fondamentaux. Cette allocation était censée se substituer aux différents régimes de sécurité et d’aide sociale, d’aide aux entreprises, rendre caduque les dispositifs de salaire minimum. Bref, d’éliminer les « obstacles administratifs » et s’inscrivait ainsi dans une perspective de dérégulation de l’emploi.

Même si à présent rares sont les promoteurs de l’allocation universelle à défendre cette thèse radicale et en présentent des formes partielles ou modérées, la conception originale marque toujours sa philosophie. Depuis lors, le revenu universel revêt de nombreuses variantes et des dénominations diverses. Philippe Van Parijs définit à présent ce revenu comme une rente sur les ressources communes dont chacun pourrait bénéficier.

L’illusion qu’entretient la proposition d’octroi d’une allocation universelle réside dans le fait que ses promoteurs pensent être des défenseurs de l’autonomie alors que, selon moi, il s’agit comme le soutient Robert Castel, d’une institutionnalisation de la dépendance. A travers l’histoire sociale, l’autonomie des personnes s’est construite à travers des droits et les protections les plus fortes sont générées par le travail. Promouvoir comme alternative l’octroi d’une somme d’argent à chacun se substitue ainsi à la lutte sur le front du travail qui constitue le cœur de la question sociale et à entériner les exigences du marché. Des travailleurs potentiels, déjà bénéficiaires d’une allocation médiocre, constitueraient une nouvelle armée de réserve au moindre coût pour les entreprises. 


FDC : S’agit-il d’un substitut au chômage ?

M.A. : Oui. Selon ses promoteurs trois cas sont présentés : Soit le montant est inférieur à celui du chômage, alors il serait complété de manière à atteindre le niveau de l’indemnité de chômage ; soit il serait supérieur, alors il se substituerait à l’indemnité de chômage ; soit encore il s’ajouterait au montant du chômage et s’inscrirait alors vraisemblablement dans un système de dégressivité renforcé des allocations de chômage. Aucun de ces cas ne correspondrait, selon moi, à une amélioration de la situation des chômeurs.

FDC : Imaginons que la mise en place d’un tel revenu ait lieu. Comment se traduit-elle concrètement : il n’y a plus lieu de travailler ? Et ceux qui désirent travailler : reçoivent-ils une rémunération en plus du revenu de base ?

M.A. : Le revenu de base serait en quelque sorte une subvention aux employeurs. Le salaire, dans la mesure où il s’ajoute au revenu de base, serait en effet tiré vers le bas. Les syndicats seraient déforcés dans la négociation collective (existeraient-ils encore et serait-il encore question de négociation collective ?) puisque les salariés disposeraient déjà d’un revenu. La rémunération du travail deviendrait, comme naguère pour les femmes, un revenu de complément. Chacun serait forcé de compléter son revenu et serait à la recherche d’emploi ou de petits boulots. Si bien que la précarisation de l’emploi, déjà largement entamée, serait accentuée et rendue permanente.



FDC : Les spécialistes défendant l’instauration de cette allocation universelle ne sont pas d’accord sur le montant de cette dernière … Doit-elle être « suffisante » pour vivre ?

M.A. : Le revenu de base, dans les différentes propositions ne dépasse guère celui de l’indemnité de chômage ou du seuil de pauvreté. Ces niveaux paraissent même comme des idéaux qu’on ne pourrait atteindre que plus tard. En attendant, selon des promoteurs du revenu de base, il faudrait se contenter de montants bien plus modestes. Nous sommes bien loin du « revenu de base suffisant » comme condition nécessaire à toute allocation universelle préconisé par André Gorz. De plus, les quelques simulations macro-économiques dont nous disposons (il est vrai déjà anciennes et peu nombreuses), ne permettent pas, à dépense sociale constante, de conclure à de meilleures performances d’un système d’allocation universelle par rapport à la protection sociale existante, en particulier sur le plan de la réduction des inégalités sociales.

FDC : Ne doit-on pas craindre, en cas d’instauration de ce revenu, que la majorité des citoyens décident de se contenter d’un niveau de consommation modeste et que du coup, il n’y ait plus assez de personnes qui travaillent ?

M.A. : Non. Il est à craindre, compte-tenu du caractère modeste de l’allocation, que la grande majorité des personnes se trouve dans l’obligation d’accepter un travail précaire dans de mauvaises conditions.

FDC : Cette idée d’un revenu de base peut-elle être qualifiée d’ « anticapitaliste » ?

M.A. : Cette idée permet au contraire de renouer avec la logique libérale : elle consiste à tirer de son travail une propriété privée, pour ceux qui occupent un emploi productif dans le secteur compétitif (les méritants) et réserve pour les autres, un minimum de revenu assuré par l’état (l’allocation universelle) agrémenté de petits boulots. De plus, l’octroi d’une telle allocation permettrait à l’état, conformément à la doxa libérale, de se désengager de la politique sociale et d’attribuer aux groupes les plus fragiles, l’entière responsabilité de leur sort dans la mesure où ils bénéficient déjà d’un revenu de base.

Bernard Friot, sociologue, enseignant à l’Université Paris X estime que le revenu de base est « une roue de secours du capitalisme ».

FDC : N’y a-t-il pas un ancrage fort dans nos sociétés occidentales de l’idée suivante : « Pour percevoir de l’argent, sans avoir honte, il faut travailler » qui empêche la mise en place d’une telle mesure ?

M.A. : L’Etat social a permis précisément à la suite d’une histoire et de conflits d’envergure, que ne pas travailler ne soit pas une honte et un objet de charité, mais un droit. Ainsi les enfants sont dispensés de travail et ont droit à l’éducation, les retraités ont droit à leur pension et les chômeurs à leur indemnité. Les différents régimes de sécurité sociale (allocations familiales, soins de santé…) ont évolué vers l’universalité. La socialisation du salaire, selon les termes de Bernard Friot, a permis qu’une partie substantielle des revenus des salariés soit détachée du travailleur particulier et redistribuée. Les vacances, la santé, la retraite, le chômage, la formation s’inscrivent dans ce processus de socialisation. Le salaire permet déjà très largement de découpler le travail du revenu et procure en conséquence non seulement des revenus mais aussi des droits sociaux. Il est vrai que sous le nouveau régime du capitalisme ces droits sont remis en cause. C’est pourquoi il est urgent de les défendre.

FDC : Une initiative citoyenne européenne (ICE) en faveur du revenu de base inconditionnel devait récolter pour hier, 14 janvier 2014, plus d’un million de signatures afin que la Commission européenne soit tenue d’étudier en profondeur celle-ci au sein du Parlement européen. Pouvez-vous commenter cette ICE ?

M.A. : Je n’y suis pas favorable. Je pense qu’il faut d’abord lutter pour renforcer les minima sociaux à savoir le revenu d’insertion, la grapa (garantie de revenu aux personnes âgées) et en ce qui concerne le chômage, combattre les mesures de dégressivité et la chasse aux chômeurs et agir pour l’augmentation des allocations. La réduction du temps de travail, l’amélioration des conditions de travail et la fixation d’un revenu maximal pour les riches constituent autant de champs de mobilisation prioritaire.

FDC : Selon vous, l’instauration d’un revenu de base a-t-elle des chances d’avoir lieu un jour ? Et si oui, dans quel(s) pay(s) ?

M.A. : Chaque fois que pareil système est mis en œuvre, c’est pour pallier le défaut de services publics et d’infrastructures sociales. Un revenu de base ne pourrait pas compenser un service public de santé, d’éducation, de transports… convenable et les capacités pour les groupes les plus fragiles d’en bénéficier. Or, les exemples de réalisation de systèmes de revenu de base habituellement mis en avant sont un moindre mal pour pallier l’absence d’infrastructures publiques.

FDC : Cette idée d’une allocation universelle fédère, au-delà des clivages politiques : est-ce une bonne chose ?

M.A. : S’il est vrai que l’allocation universelle fédère des promoteurs de droite comme de gauche comme il ressort de l’ICE, heureusement elle reste cantonnée dans des milieux restreints. En particulier, si les tenants de l’ICE font état de l’approbation d’un syndicat bulgare, le rejet de cette proposition par les organisations syndicales des différents pays me paraît significative.


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