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5 déc. 2013

Pourquoi Viktor Ianoukovitch n’a pas signé l’accord avec l’UE

Manifestation sur la place Maïdan à Kiev. Crédits: fraza.ua
C’est la question que se posent actuellement les Ukrainiens réunis sur la place de l’Indépendance à Kiev, aussi bien que les commissaires européens à Bruxelles. La revue russe Ekspert propose sa vision des faits. Viktor Ianoukovitch a étonné tout le monde en annonçant, une semaine avant le sommet de Vilnius, que l’Ukraine ne signerait pas l’accord d’association avec l’Union européenne.

Les partenaires européens, peu habitués à ces façons, sont restés un moment stupéfaits.

La population ukrainienne, à qui toutes les chaînes télévisées unanimes expliquaient depuis plusieurs mois d’affilée combien le pays avait avantage à l’intégration dans l’UE, est entrée en fureur. Les rues de nombreuses villes du pays se sont emplies de manifestants défilant aux cris de « L’Ukraine, c’est l’Europe » et maudissant le gouvernement ukrainien vendu à Moscou.

Que s’est-il donc passé, en réalité ? Pourquoi Ianoukovitch a-t-il promis la signature de l’accord à la population pour finalement ne pas tenir cette promesse ?

Ianoukovitch a commis deux erreurs. La première : le président ukrainien a manqué de perspicacité dans son estimation des propositions qui lui avaient été faites par l’Union européenne.

Il est important de souligner que, dans le projet visant à attirer l’Ukraine dans l’UE, le rôle de premiers violons avait été endossé par la Grande-Bretagne – empressée de punir la Russie pour le renforcement de ses positions de politique étrangère – et par ceux des pays est-européens (Pologne, États baltes et Roumanie) qui soutiennent traditionnellement, dans l’UE, les intérêts anglo-américains. Ce sont précisément des Européens de l’Est qui ont mené le dialogue avec l’Ukraine sur la question de son intégration : l’eurodéputé polonais Alexander Kwasniewski, l’euro-commissaire tchèque Stefan Füle et la présidente lituanienne Dalia Grybauskaite. Pour convaincre Ianoukovitch de signer l’accord, ces responsables politiques ont promis à l’Ukraine 20 milliards d’euros de crédits et des aides financières du FMI et de l’UE.

Ianoukovitch, et tout son cabinet de ministres avec lui, se sont alors convaincus qu’il serait possible de toucher cet argent sans libérer Ioulia Timochenko ni réduire les dépenses sociales, ce qu’exigeait le FMI. Le calcul des Européens orientaux était que le président ukrainien, une fois impliqué dans le processus de l’association avec l’UE et poussé par sa propre population, ne pourrait plus faire machine arrière, même en découvrant que Kiev n’obtiendrait, de loin, pas tout ce qui lui avait été promis.

La deuxième erreur de Ianoukovitch était d’avoir espéré qu’il parviendrait à convaincre la Russie de maintenir le régime de libre échange avec l’Ukraine. Ses collègues de l’UE l’ont d’ailleurs conforté dans cette assurance. Alexander Kwasniewski a été jusqu’à souligner dans la presse combien il serait plus facile à l’Ukraine de négocier avec Moscou une fois signée l’association avec l’UE. Comme l’espérait Ianoukovitch, l’Ukraine, profitant d’une zone de libre échange à la fois avec les pays de l’Union douanière et ceux de l’UE, aurait pu vivre confortablement sur le flux de marchandises qui aurait transité, par son territoire, depuis l’Union européenne vers la Russie et les pays de la CEI. D’autant que la Russie et les pays de l’Union douanière, ne disposant d’aucun levier d’action sur l’UE, auraient été contraints de faire appel à l’Ukraine en qualité de médiateur. Ce schéma devait rehausser l’importance de l’Ukraine aux yeux de l’UE autant qu’à ceux de la Russie.
Réveil difficile

Mais le résultat fut tout autre. Quand la Russie a lancé au mois d’août des mesures strictes à l’encontre de l’Ukraine et mis fin à l’import de marchandises, l’Ouest a précisé à Ianoukovitch les conditions réelles de la transaction. Comme l’a confié àEkspert une source bien informée à Kiev sous couvert de l’anonymat, Ianoukovitch devait libérer Ioulia Timochenko et laisser les entreprises européennes prendre part à la privatisation de secteurs importants de l’économie ukrainienne, y compris l’énergie et les chemins de fer. En outre, le FMI insistait – et insiste – pour une augmentation des tarifs du gaz pour les particuliers, afin que les entreprises publiques deviennent bénéficiaires – puis soient privatisées et rachetées par des compagnies occidentales, comme ça a été fait en Bulgarie. Bruxelles voulait lancer en Ukraine les mêmes processus qu’en Europe orientale – seulement à des conditions bien pires, étant donné que l’Ukraine, non membre de l’UE, n’aurait pas pu influer sur les décisions prises. Enfin, le projet n’envisageant absolument pas l’instauration d’un régime sans visas, l’Ukraine n’aurait pas pu exporter ses chômeurs en UE, comme le font les autres pays d’Europe de l’Est.

Si Ianoukovitch avait exécuté les exigences de l’Union européenne, le pouvoir et le business ukrainiens auraient été privés de tous leurs actifs et leviers d’action sur la situation. En outre, l’exigence de l’UE de laisser partir Timochenko montrait que l’Ouest avait l’intention de se mêler activement des processus de politique intérieure de l’Ukraine, et pouvait ne pas soutenir Ianoukovitch lors des élections de 2015. « Courant septembre-octobre, Ianoukovitch a compris qu’on l’avait laissé tomber, qu’on lui liait les mains pour qu’il transmette le pouvoir à ceux que lui indiquerait Bruxelles. Il avait le choix : accepter ce rôle, puis prendre au cours de l’année suivante une retraite paisible en qualité d’honorable euro-intégrateur, ou alors se battre pour le pouvoir », assure notre source à Kiev.

Viktor Ianoukovitch, en homme dur et décidé qu’il est, sentant qu’on l’acculait dans un angle, a ainsi pris un tournant à 180° et s’est de nouveau tourné vers la Russie pour lui demander son soutien – en refusant de signer l’accord avec l’UE.


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